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  • Une victoire pour l'Europe

    Par Marc Fiorentino, stratège d'allofinance.com.

    Tout a été dit ou presque sur la crise grecque et le plan de sauvetage adopté jeudi soir par l'Europe. Tout et surtout le pire. Les articles et les commentaires se sont multipliés pour expliquer que l'Union européenne était au bord de l'effondrement et que l'euro était au bord de l'implosion. Les commentateurs se sont rués sur leur dictionnaire de synonymes et ont épuisé tous les termes existants pour illustrer un échec : défaite, déboire, faillite, naufrage, revers, fiasco, bide, débâcle, désastre, flop, sans oublier naufrage voire enterrement.

    On a donc en une semaine enterré l'euro et l'Europe. A la grande joie des fonds spéculatifs anglo-saxons qui ont régulièrement rajouté de l'huile sur le feu pour accroître leurs profits sur leurs positions à la baisse sur l'euro. Rappelons tout de même que depuis le premier jour de la création de l'euro, on nous annonce régulièrement la disparition de la monnaie européenne. Or l'euro, qui s'est, selon les spécialistes, "effondré", vaut environ 1,35 alors qu'il a coté 1,17 à son lancement (et non 1 comme l'a affirmé notre président...).

    Est-ce qu'on peut sortir quelques secondes du "bruit médiatique" et analyser la situation sans agitation ni passion ?

    1. La Grèce ne fera pas faillite. L'Europe a trouvé une solution au problème de financement de la Grèce. C'est déjà un premier point positif.

    2. La solution mixte Union européenne-FMI est applicable à tous les pays européens qui auraient à faire face à des difficultés de financement : seule, l'Union européenne n'aurait jamais pu faire face au financement éventuel de l'Irlande, du Portugal ou encore de l'Espagne et pourquoi pas de l'Italie. En joignant ses forces avec le FMI, l'Europe a "les poches profondes".

    3. L'Allemagne a pris le leadership financier de l'Europe. Angela Merkel a défendu dès le début une théorie simple : on ne peut pas aider des pays qui n'appliquent pas la même orthodoxie financière que nous. On ne peut se sacrifier pour des pays qui ne se sacrifient pas. Et une Europe qui respecterait une rigueur à l'allemande, c'est une Europe qui va dans la bonne direction.

    4. Avec cette aide, tous les pays européens, y compris la Grèce, auront accès sans problème aux marchés pour se financer. Cette aide est une garantie qui, par sa simple existence, rassure les investisseurs et les incite à prêter aux pays européens.

    5. L'Europe continentale a trouvé une solution. Mais qui pourra venir en aide à l'Angleterre ? Cette semaine a été marquée la présentation d'un budget de campagne électoral par le gouvernement anglais, un budget qui refuse toute mesure d'austérité et qui va provoquer à moyen terme une dérive de la dette anglaise.

    6. L'Europe continentale a trouvé une solution. Mais qui pourra venir en aide aux Etats-Unis ? Cette semaine a été marquée par un autre événement majeur : le jour où on nous faisait paniquer sur la Grèce et le Portugal, une panique qui n'a fait monter les taux à dix ans grecs et portugais que de 5 malheureux points de base, le taux à dix ans américain s'envolait de 13 points sur des difficultés de financement sur les marchés du Trésor américain.

    Il est de bon ton d'être aujourd'hui eurosceptique ou eurocatastrophiste. Désolé, mais je ne partage pas du tout cette opinion.

    L'Union européenne sort renforcée de la crise grecque. Elle a pris un large avantage sur les autres zones géographiques. Au plan financier. Et financier seulement. Alors cessez de vous inquiéter pour la dette européenne. Au plan économique, nous sommes cependant loin du compte et les conditions d'une reprise forte de la croissance ne sont pas réunies du fait des rigidités sociales et des craintes sur l'avenir des retraites mais c'est un autre sujet. L'euro pourrait devenir, malheureusement pour les exportateurs européens, une monnaie forte, une monnaie refuge, jouer au niveau mondial le rôle qu'a joué le franc suisse au niveau européen. Si crise de l'euro il y a, elle viendra de son envolée et non de son effondrement.

    Marc Fiorentino


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  • Collaboration

      Joep Bertrams   |
     


    Avec le soutien de la France, l'Allemagne a présenté un plan de sauvetage des finances publiques grecques, adopté par les pays de la zone euro le 25 mars.


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  • L'euro made in USA

     

    Milton Friedman s'était lourdement trompé sur l'euro. Celui qui, avec Keynes, a le plus influencé la pensée économique et monétaire du XXe siècle, était persuadé qu'il n'assisterait pas de son vivant à la naissance de cette monnaie. " Je ne crois pas à la création d'une monnaie unique en Europe dans les années à venir, déclarait-il au printemps 1996. Pas plus en 1997, la date originellement mentionnée, qu'en 1999, celle qui est maintenant avancée, qu'en 2002. "

    Mais les monétaristes ont la vie dure et Friedman mourut en 2006, à 96 ans, sept années après la naissance de ce projet qu'il jugeait irréalisable. En Europe, dirigeants politiques et monétaires se gaussèrent beaucoup de l'erreur de pronostic du Prix Nobel d'économie, qu'ils attribuèrent la fois à son grand âge, à son idéologie détestable (libérale et monétariste, l'horreur absolue), et à sa nationalité (américaine).

    Ils rient beaucoup moins aujourd'hui. Car la crise gravissime que connaît l'union monétaire, Friedman l'avait aussi prédite. Le jour où l'Europe sera confrontée à une grave récession, avait-il expliqué, les rancoeurs et les égoïsmes nationaux ressurgiront, les systèmes de change fixe empêchant tout ajustement adapté à la situation spécifique de chaque pays. L'édifice s'effondrera parce que les pays de la zone n'auront pas l'homogénéité politique, sociale, culturelle et linguistique des Etats américains, parce qu'il n'y aura pas d'Etats-Unis d'Europe. Tout le monde prendra conscience, mais trop tard, qu'il ne peut y avoir d'union monétaire sans union politique, d'euro sans gouvernement européen.

    Il y a à peine quelques mois, pourtant, l'euro apparaissait comme la plus belle monnaie du monde, la plus vertueuse, la plus protectrice. Les banques de la zone euro avaient échappé aux dérives de leurs homologues anglo-saxonnes et la Banque centrale européenne avait fait un travail for-mi-dable. Surtout, grâce au bouclier de l'euro, les économies européennes avaient été préservées des dévaluations sauvages et destructrices, tueuses de commerce. Au point qu'on ne comptait plus le nombre de pays frappant à la porte de l'euro pour profiter à leur tour de ce havre de paix.

    Mais aujourd'hui, le bouclier s'est transformé en glaive. Et c'est à cause de l'euro que l'Europe se retrouve en crise.

    En crises, pour être plus précis. Crise des finances publiques, d'abord, comme en Grèce. C'est grâce à son entrée dans l'euro et à la baisse des taux qui s'est ensuivie que les gouvernements grecs successifs ont pu pendant des années dépenser sans compter l'argent public. C'est ensuite pour tenter de cacher la dérive de ses comptes auprès de Bruxelles et de ses partenaires qu'Athènes a choisi de maquiller son bilan. L'euro a poussé la Grèce au laxisme puis au mensonge, dont la découverte simultanée a provoqué la tempête.

    Crise de compétitivité, ensuite, qui menace directement un pays comme l'Espagne. Comme le rappelle l'économiste Jean Pisani-Ferry, de 1998 à 2008, les salaires espagnols ont augmenté de 50 %, les salaires allemands, de 25 % seulement. Comment Madrid, faute de pouvoir dévaluer sa monnaie, s'y prendra-t-il pour résorber cet écart et faire en sorte que l'Espagne ne soit pas condamnée à la stagnation et au déficit courant éternels ? Mystère que les marchés ne vont pas tarder à essayer de percer à leur manière. Forte.

    Crise institutionnelle aussi. Le dérapage incontrôlé des déficits, en Grèce, mais aussi dans la plupart des pays de la zone, a définitivement enterré le pacte de stabilité et de croissance, qui a prouvé sa totale inefficacité alors qu'il était censé garantir une politique économique vertueuse dans la zone. Quant au psychodrame qui a entouré l'adoption du plan de sauvetage grec, il a rappelé que le traité de Maastricht avait dans ses milliers d'articles tout prévu, sauf l'essentiel (la clause de non renflouement - " no bail out " - ayant été un leurre pour faire accepter l'euro par les Allemands) : à savoir comment faire, quels mécanismes de solidarité faire jouer quand un Etat de la zone se retrouve au bord de la faillite et menace les autres.

    D'où l'idée fumeuse, improvisée et tardive du ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, de créer un Fonds monétaire européen (FME) dont personne - pas même Giscard, c'est dire - n'a vraiment compris en quoi il consistait.

    D'où surtout le recours ultime au Fonds monétaire international. Une double humiliation pour l'Europe. De ne pas avoir pu résoudre seule son problème. D'avoir dû faire appel à l'argent du FMI, dont le premier contributeur est les Etats-Unis, pour sauver la monnaie unique. L'Amérique volant au secours de cette devise qui était censée rivaliser avec le dollar et même le détrôner, on a dû déboucher le champagne à la Maison Blanche pour fêter la naissance de cet euro made in USA.

    Crise d'identité, enfin, avec un euro dont on promettait qu'il rapprocherait les peuples le possédant et dont on s'aperçoit au contraire qu'il les éloigne. Et les déchire. Christine Lagarde dénonce l'égoïsme de la politique économique allemande, les Allemands traitent les Grecs de tricheurs paresseux et les Grecs évoquent le passé sombre de l'Allemagne pour expliquer l'intransigeance de Berlin. Ce qui maintient aujourd'hui l'euro en vie, c'est la complexité technique qu'il y aurait à le défaire et à revenir aux monnaies nationales. On est bien loin " du formidable destin commun " évoqué par Jean-Claude Trichet.

    Bien sûr on peut se dire, pour reprendre le cliché habituel, que tout ce qui ne tue pas l'Union monétaire la rend plus forte, que la crise ouvre enfin la voie à un fédéralisme budgétaire. Peut-être. La seule certitude, c'est quand même que Milton Friedman méritait bien son prix Nobel.

    Pierre-Antoine Delhommais


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