• L’analyse de jacques hubert-rodier

    Un monde de moins en moins pacifique  

    Deux ans après le début de la « grande récession », les relations internationales n’ont pas connu de bouleversements de l’ampleur de ceux qui avaient suivi la chute du mur de Berlin. Dans ses perspectives sur « l’ordre international à l’horizon 2050 », la fondation Carnegie pour la paix internationale observe que la balance des pouvoirs est en train de basculer rapidement du côté de la Chine et prédit que celle-ci devrait surpasser les Etats-Unis d’ici à trente ans. L’espace d’une génération. Cette tendance a« simplement »étéaccélérée par la récession.Mais ce basculement masque un autre phénomène plus inquiétant : celui d’un monde moins pacifique. Certes, le nombre de guerres entre Etats continue de reculer par rapport au début des années 1990 : l’institut de Heidelberg pour la recherche sur les conflits en dénombrait 7 en 2009 contre 9 en 2008. Mais le nombre de conflits « politiques », le plus souvent à l’intérieur des nations et sans qu’il y ait forcément recours à la force, a, lui, nettement progressé au cours des derniers mois. L’institut de l’université allemande en a dénombré 365.L’Institute for Economics and Peace, un think tank créé et dirigé par un homme d’affaires australien – Steve Killelea, philanthrope comme le fut au début du XXe siècle Andrew Carnegie –, propose une autre façon de tracer la carte géopolitique du monde en présentant, pour la quatrième année d’affilée, un « indice mondial de la paix ».Selon le « Global Peace Index 2010 », qui prend le pouls de 149 pays sur les 192 reconnus officiellement par les Nations unies et qui est calculé à partir de 23 indicateurs différents par The Economist Intelligence Unit, le monde est« devenu légèrement moins pacifique ».L’autre conclusion qui ressort des calculs du centre de recherche de l’hebdomadaire britannique est que l’intensification des conflits et l’instabilité croissante dans certains pays sont« apparemment liées à la récession mondiale de la fin 2008 et du début 2009 ».Sur cette échelle de valeurs, la Nouvelle-Zélande est aujourd’hui le pays le plus pacifique au monde, suivie de l’Islande et du Japon. Sans surprise, l’Irak ferme le ban des pays les moins pacifiques du monde, derrière la Somalie, l’Afghanistan, le Soudan, le Pakistan… La région du monde où la paix est la plus largement répandue est l’Europe de l’Ouest : 15 des 20 premiers pays du classement en sont issus. A l’inverse, la région la plus dangereuse reste l’Afrique subsaharienne. Steve Killelea chiffre même, sur les quatre années étudiées, l’absence de paix dans le monde à 28.000 milliards de dollars, soit 7.000 milliards par an…Mais ce qui fait l’intérêt de cette recherche sur l’état du monde, c’est qu’elle tente de définir la notion de paix en dépassant la simple idée d’une absence de conflit, intérieur ou extérieur. Ainsi « The Economist » retient de très nombreux autres facteurs dans ses 23 indicateurs, comme la perception de la criminalité dans la société, le nombre de policiers, d’homicides, de prisonniers, le niveau de développement économique jusqu’aux dépenses d’armement ou encore au transfert d’armements… Ce qui classe à un niveau voisin des pays comme la Grande-Bretagne (31e rang) et la France (32e), juste derrière Singapour et la Pologne (29e).Car l’autre phénomène de la première décennie du XXIe siècle est que, crise économique et budgétaire ou pas, les dépenses militaires dans le monde sont en pleine croissance. D’après l’Institut international de recherche sur la paix à Stockholm (Sipri), elles ont encore augmenté l’année dernière de 5,9 % en termes réels et de 49 % depuis 2000 pour atteindre 1.531 milliards de dollars… Certes, les budgets militaires ont bénéficié des plans de relance de nombreux pays, mais, pour les plus grandes puissances, Etats-Unis (avec plus de 660 milliards de dollars de dépenses militaires) en tête, ou les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), voire la France et la Grande-Bretagne, il s’agit d’un choix stratégique.Car les risques de déstabilisation de la planète tendent bien à s’accroître, et l’heure n’est pas au désarmement, notamment dans le domaine nucléaire, comme le souhaitait le président Obama. Il reste difficilement prévisible de savoir si un pays comme la Corée du Nord est prêt à se lancer dans une aventure militaire désespérée, ou encore si l’Iran, qui masque mal ses ambitions de détenir une capacité nucléaire militaire, est prêt aujourd’hui au pire. Mais il est évident que les tensions au Moyen-Orient, notamment dans le plus ancien conflit du monde contemporain, entre Israéliens et Palestiniens, ne plaident pas dans le sens d’un monde plus pacifique. De même, la crise, et avec elle les risques évidents de tensions sociales, d’augmentation de la criminalité, de la montée de l’insécurité, de l’accélération des courants migratoires, internes ou extérieurs, peut devenir à terme un élément plus important encore de déstabilisation. Sans oublier les rivalités entre grandes puissances, Etats-Unis, Chine, Russie, comme en Afrique ou en Asie centrale. Si les indices comme le Global Peace Index ne peuvent prévoir qu’imparfaitement le monde à l’image de la majorité des économistes, ils tendent actuellement à signaler un monde, de nouveau, de moins en moins  pacifique.

    Jacques Hubert-Rodier est éditorialiste aux « Echos ».

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  • Plus d'impôt, moins de dette : la nouvelle recette du Japon

    Tokyo veut adopter pour les dix prochaines années une stratégie de croissance en rupture avec le passé
    Tokyo Correspondance
     

     

    L'économie du Japon est un peu à l'image de l'équipe nationale de football en Coupe du monde : personne ou presque ne l'attendait aussi brillante. Du coup, une ambiance grisante s'est emparée de l'Archipel ; elle rappelle celle vécue par la France championne du monde en 1998. Les maillots de l'équipe nationale et les produits à l'effigie des joueurs s'arrachent, les voyages vers l'Afrique du Sud connaissent un véritable boom. Dans les convenience stores, les magasins de proximité, il n'est pas rare d'être servi par des vendeurs vêtus du maillot de la formation nationale. Bref, le pays voit la vie en bleu.

    Cette euphorie fait écho aux bons chiffres de l'économie, qui elle aussi surprend. Le 28 juin, Tokyo a annoncé une hausse des ventes au détail - la cinquième mensuelle consécutive - de 2,8 % en mai et sur un an. Et le " tankan ", l'indice de confiance des entrepreneurs, est attendu en progression pour le cinquième trimestre consécutif. Cela alors que la croissance a atteint 4,9 % en glissement annuel au premier trimestre.

    Fort de ces bons chiffres, le gouvernement juge que l'économie est désormais " en redressement ". Il a annoncé une révision à la hausse de ses perspectives de croissance pour l'exercice 2010. Elle pourrait atteindre 2,6 %, contre 1,4 % attendu précédemment. Il s'est aussi réjoui de la décision chinoise d'assouplir sa politique de change. Même modeste, l'appréciation du yuan est perçue positivement. Les groupes nippons qui exportent vers la Chine en profiteront.

    Ces points positifs méritent pourtant d'être nuancés. Le 29 juin, Tokyo a annoncé plusieurs chiffres négatifs pour le mois de mai : une production industrielle en recul de 0,1 %, un taux de chômage en hausse de 0,1 point à 5,2 % et une baisse des dépenses des ménages de 0,7 %. Le tout alors que les revenus des foyers ont fléchi de 2,4 % sur un an et que la déflation persiste.

    Pour les observateurs, la tendance reflète l'essoufflement de l'impact des mesures gouvernementales de soutien à la consommation. " La forte progression du produit intérieur brut (PIB) observée au premier trimestre a bénéficié de la demande externe et des plans de relance ", rappelle Seiji Shiraishi, économiste de HSBC Securities. Elle montre aussi que la demande externe peine à bénéficier aux foyers japonais.

    Réserves

    Plus généralement, cela témoigne de la difficulté du gouvernement de faire de la consommation des ménages un véritable levier de croissance. Même la mise en place de l'allocation mensuelle pour les familles avec enfant de moins de 15 ans ne semble pas y contribuer. Nombre de bénéficiaires, qui ont commencé à la percevoir début juin, préfèrent l'épargner et sa création s'est accompagnée de la disparition d'aides similaires fournies par les collectivités locales.

    A cela s'ajoutent les inquiétudes persistantes sur l'économie mondiale, dont la reprise reste fragile, et sur la crise en zone euro. Même si elle n'attire " que " 12 % des exportations japonaises, celle-ci est importante pour l'Archipel. " Pour l'instant, note Atsushi Nakajima, chef économiste à l'institut Mizuho, les problèmes de l'Europe ne se voient que sur les marchés. Mais, peu à peu, la décélération de la croissance va être de plus en plus apparente. " La chute de l'euro, que certains voient passer sous les 100 yens, contre 110 aujourd'hui, inquiète aussi les sociétés exportatrices.

    C'est donc avec réserve que les observateurs ont accueilli, le 18 juin, l'annonce de la stratégie de croissance du gouvernement pour les dix prochaines années. Ses objectifs : sortir avant mars 2012 de la déflation et porter la croissance annuelle réelle à plus de 2 % grâce à des investissements dans l'environnement, les soins à la personne, les infrastructures ou le tourisme.

    Beaucoup s'interrogent sur le financement de ces mesures, alors que la dette du pays atteint quelque 200 % du PIB. Un problème récurrent que Tokyo veut traiter. Le premier ministre, Naoto Kan, a inscrit le principe d'une hausse de la taxe sur la consommation dans son programme de campagne pour les sénatoriales du 11 juillet.

    Un geste courageux, mais qui paraît, par certains aspects, contradictoire avec les objectifs de redistribution de la richesse que s'est assignés le gouvernement. " Le Japon a longtemps tiré sa force de sa large classe moyenne, mais l'écart de revenu a grandi et de nombreuses personnes ont été laissées derrière, a souligné Yoshihiko Noda, le nouveau ministre des finances, dans un entretien au Wall Street Journal. Restaurer la classe moyenne est la clé pour reconstruire la force du Japon. " Pour cela, il faudra plus qu'un bon parcours en Coupe du monde.

    Philippe Mesmer


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  • René Dosière (PS) : " Un contre-feu aux affaires soulevées récemment "

    ENTRETIEN

    René Dosière est député (app. PS) de l'Aisne. Il mène depuis dix ans un combat opiniâtre pour collecter des informations sur les budgets de l'Elysée et les dépenses des ministères. Son travail a permis de lever un coin du voile sur le train de vie de l'exécutif (L'Argent caché de l'Elysée, Seuil, 2007).

    Comment analysez-vous les mesures d'économie annoncées par Nicolas Sarkozy ?
    Cela donne un sentiment d'improvisation et ressemble à un contre-feu aux affaires soulevées récemment. Au moins en ce qui concerne le gouvernement, parce que, pour ce qui est des administrations, la lettre précise bien que va être maintenue la politique de réduction des effectifs menée depuis 2007. L'objectif proclamé est fort, on parle d'" impératif moral ", mais le résultat manque de cohérence.

    Pour les ministères, il s'agit plus d'un rappel aux règles que de mesures nouvelles...
    Oui. Quasiment chaque paragraphe semble répondre à un des cas qui se sont posés récemment avec tel ou tel ministre. L'assujettissement à l'impôt des logements de fonction, cela devait normalement être la règle. Ce qui est une nouveauté, c'est que l'Etat ne prenne plus en charge la location de logements dans le privé. En revanche, c'est extraordinaire que le chef de l'Etat soit amené à préciser par écrit que les ministres devront acquitter sur leurs deniers personnels leurs frais privés. Et que, sinon, ce sera désormais sanctionné. C'est reconnaître que cette règle de base est aujourd'hui violée et que ces manquements sont restés impunis. Cela veut dire que les ministres avaient pris l'habitude de faire financer leurs dépenses privées par l'argent public. Quel aveu ! C'est ahurissant.

    S'agissant des cabinets ministériels, la lettre du président à son premier ministre ne fait que rappeler la règle que ce dernier avait fixée à son arrivée, en 2007, et qui n'a pas été respectée. Pourquoi le serait-elle maintenant ? Quand on dit que les budgets des cabinets vont être réduits de 10 %, c'est bien mais, en 2009, les dépenses de personnel avaient augmenté de 21 %. Le compte n'y est pas.

    Et en ce qui concerne l'Elysée ?
    Je note surtout que la présidence de la République s'exonère pratiquement des mesures d'économie, à l'exception de la garden-party - on touche là au symbole - et des chasses présidentielles. Curieusement, c'est Nicolas Sarkozy qui avait rétabli ces chasses présidentielles que Jacques Chirac avait déjà supprimées en 1995 pour ne plus y autoriser que des battues de régulation. C'est exactement la formule qui est à nouveau employée.

    Quant à la cession des deux avions moyens courriers actuellement utilisés par la présidence pour compenser le coût de l'avion présidentiel qui sera livré dans quelques semaines, l'annonce en avait déjà été faite au moment de la commande. De plus, ce n'est pas à la même hauteur puisque le nouvel avion représente un coût de l'ordre de 180 millions d'euros, que ne compensera pas la revente des deux Airbus A319.

    Propos recueillis par Patrick Roger


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