• Terroriser les terroristes financiers

    Par Marc Fiorentino, stratège d'Allofinance.com.

    Les "marchés" terrorisent les politiques. Après la crise financière de Lehman, les "marchés" ont exigé des relances massives. Il fallait agir vite et fort. Et tant que les Etats-Unis, la Chine et quelques pays d'Europe n'avaient pas annoncé des dépenses et des investissements de plusieurs centaines de milliards de dollars ou d'euros, les actions ont chuté Elles n'ont rebondi qu'à la fin du premier trimestre de 2009 à la suite de plans gigantesques, souvent bâclés. Des plans dont on savait pertinemment, et on en a la preuve aujourd'hui, qu'ils ne serviraient qu'à gagner du temps et qu'ils n'auraient aucun effet d'entraînement pérenne.

    A l'époque, je vous le rappelle, les "marchés" ne se posaient aucune question sur le fait que ces plans ne pouvaient se faire que par un dérapage dramatique des déficits budgétaires et par des dettes colossales. Je ne me souviens pas d'avoir lu ou entendu une seule voix s'élever sur le risque d'endettement. A titre d'exemple, la Bourse anglaise n'est parvenue à stopper sa chute que le jour où le pauvre Gordon Brown a annoncé que son plan de relance entraînerait un déficit de plus de 12% du PIB. 12% ! Bravo ! Fantastique ! Les "marchés" ont applaudi et les agences de notation n'ont rien dit. Et aujourd'hui les "marchés" remettent la pression sur tous les pays. La mode du jour a changé Les déficits ? Un cauchemar. La dette ? Un cancer. Et les politiques de tous les pays, comme un seul homme, baissent la tête et se plient aux exigences de cette forme moderne de terrorisme financier.

    Les mêmes qui ont réclamé et applaudi à l'annonce de déficits record veulent maintenant des plans d'austérité record. A moins de 100 milliards d'euros de réduction de dépenses, un pays n'est pas crédible, il n'est même pas viable, et les "marchés" l'attaquent sans sommation et les agences de notation dégradent. Pitié ! demande le politique, donnez-moi quelques jours pour trouver 100 milliards de plus de réductions, les mêmes 100 milliards qu'il fallait dépenser il y a un an pour satisfaire aux exigences des "marchés" ! Pitié ne vendez pas ma dette à découvert, ne touchez pas à ma notation, je ferai tout ce que vous demandez ! Mais dans six mois, quelle sera la mode ? Après la relance massive, après la rigueur massive, que va-t-il falloir faire de nouveau pour plaire ? Tout cela n'est pas sérieux et, pourtant, tout cela est très sérieux et très grave.

    Prenons un peu de recul. Quelles sont les évidences difficilement discutables. Premièrement, un pays, comme un ménage ou comme une entreprise, ne peut vivre au-dessus de ses moyens  il faut réduire les dépenses. Deuxièmement, un pays surendetté ne peut continuer à faire de la relance à crédit. Troisièmement, un pays qui passe par une phase d'austérité ne peut pas éviter la récession. Cette semaine, hasard du calendrier, deux événements devraient pourtant nous ouvrir la voie  l'Argentine, qui était entrée en cessation de paiements en 2001, a finalisé la renégociation de sa dette avec 92,4% de ses créanciers. Elle va tourner la page. Elle ne remboursera finalement que 25% du nominal, mais grâce à cela, plus une cure d'austérité elle affiche une croissance de près de 7% et va pouvoir réemprunter sur les marchés. General Motors, qui s'était mis en "Chapter 11" à cause de sa dette, s'apprête à revenir en Bourse pour recommencer une nouvelle vie.

    La morale de ces deux exemples est simple. Quand une entreprise est en difficulté ses actionnaires, ses employés ET ses créanciers sont lourdement sanctionnés. Quand un pays est en difficulté on continue à protéger les créanciers alors qu'on matraque les investisseurs en actions et les habitants. Il faut briser ce tabou. De façon ordonnée certes, pas brutalement comme l'Argentine. Mais il faut mettre les "marchés" et les agences de notation au pied du mur  vous nous mettez la pression ? Pas de problème. Dans ce cas, renégocions notre dette car nous n'aurons jamais les moyens de la rembourser sans passer par dix ans de récession. On verra bien qui sera terrorisé après cette annonce...

    Marc Fiorentino


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  • Chine aride

    Orville Schell

    ANSHUN, PROVINCE DU GUIZHOU, CHINE – Les chutes de Huangguoshu dans la province du Guizhou au Sud-Ouest de la Chine sont une merveille, quand il y a de l’eau. Plus grande cascade d’Asie, l’eau découle d’une abrupte falaise de plus de 70 m de haut pour retomber dans un grand fracas de mousse, de brume et d’arc-en-ciel.

    Malheureusement, cette merveille de la nature fait les frais d’une indignation. Chaque soir, elle est éteinte à l’instar d’une fontaine de jardin. Cette région chinoise, connue pour son climat très pluvieux, ses montagnes, ses fleuves sous-terrains, ses grottes et sa flore tropicale, a récemment été touchée par une sécheresse, qualifiée par beaucoup comme la pire depuis la dynastie Ming.

    Donc, une fois que les touristes qui irriguent cette région pauvre avec leurs précieux revenus quittent les terrasses panoramiques en contrebas des chutes, les autorités ferment les vannes du barrage sur le fleuve de l’eau blanche dont le réservoir a atteint un niveau bas très critique, et l’eau cesse de se déverser. Puis, chaque matin, avant l’arrivée des touristes, elles ouvrent les vannes à nouveau sans cérémonie, de sorte que les chutes silencieuses à l’aspect fantomatique renaissent soudainement grâce à un simulacre de normalité.

    La perturbation d’une partie si élémentaire de l’architecture naturelle de cette région n’est le reflet que d’un des types d’aberrations climatiques graves – depuis les inondations et sécheresses aux blizzards hors saison en passant par les tempêtes de poussière massives – qui touchent la Chine ces derniers temps. Personne ne peut dire avec certitude quelles en sont les causes.

    Dans un effort pour compenser ces schémas climatiques perturbés, les autorités chinoises ont déployé des mesures dispendieuses sans précédent, donc le titanesque projet de transfert de l’eau du nord au sud de 55 milliards de dollars, un effort d’ingénierie massif pour construire trois canaux pour amener de l’eau depuis le sud normalement humide aux régions arides du nord, une vaste campagne pour creuser des puits toujours plus profonds, une campagne nationale pour planter des arbres. Les autorités font même une tentative herculéenne de « modification du climat ».

    D’après Zheng Guoguang, le Directeur de l’administration météorologique de Chine « la science et la technologie exauceront les prières de ceux qui vivent la pire sécheresse depuis des lustres ». Il avance que les deux-tiers des contés chinois (dont le nombre avoisine 3 000) ont usés de méthodes artificielles pour déclencher des pluies, des cas se terminant parfois au tribunal pour avoir percé les nuages de passage pour obtenir de l’eau. Pour ce faire, selon Zheng, près de 6 533 cannons, 5 939 lance-roquettes et de nombreux avions ont été utilisés dans le but d’ensemencer les nuages occupant un tiers de la masse aérienne chinoise avec de la neige carbonique, de l’ammoniaque et du iodure d’argent.

    Or, la science et la technologie peuvent-elles vraiment résoudre les problèmes qui ne sont pas uniquement causés par la Chine ? De plus en plus de scientifiques se rallient à la thèse que le réchauffement climatique a provoqué la modification radicale du schéma actuel des précipitations en Chine. Si c’est le cas, la Chine ne résoudra jamais par elle-même des sécheresses telles que celle que Guizhou endure pour le moment, quel que soit le nombre de projets ingénieux et de grande envergure entrepris par le gouvernement et la quantité d’efforts déployés pour y remédier. Après tout, des problèmes mondiaux, ça se résout à l’échelle mondiale.

    Quand le président Mao régnait toujours en maître, l’un des principes dont il était le plus fier était zili gengsheng, ou celui d’autonomie. Comme la Chine a été opprimée, envahie, semi-colonisée, voire occupée pendant la plupart de ses années de formation, il doutait véritablement qu’un pays étranger – même un allié communiste fraternel – puisse vraiment laisser la Chine tranquille, et encore moins l’aider. Par conséquent, l’élite du Parti s’est engoncée dans sa suspicion et sa méfiance envers le monde extérieur, notamment envers les soi-disant « grandes puissances ».

    Aujourd’hui encore, tandis que la révolution de Mao est terminée depuis longtemps et que la mondialisation a tissé un nouveau réseau d’interdépendance autour de la Chine, une certaine prudence rémanente demeure, surtout chez les anciens dirigeants en ce qui concerne la collaboration avec les étrangers, notamment lorsqu’il s’agit d’« intérêts fondamentaux ».

    Donc le nouveau terrain dans lequel la Chine se trouve empêtré n’est pas seulement dû aux marchés mondiaux. Des questions telles que la prolifération du nucléaire et de l’environnement mondial – en particulier du changement climatique – ont aussi pris d’assaut les dirigeants chinois (comme tout un chacun). Qu’on ne l’aime ou pas, partout dans le monde les dirigeants sont bloqué dans une impasse dont ils ne peuvent sortir.

    Ainsi, malgré la prédilection de la Chine pour prendre ses distances, la coopération n’est tout simplement plus une option. C’est une nécessité. Ce qui signifie que la Chine doit aussi réviser sa vision inébranlable de la souveraineté. C’est un effort très difficile à fournir que de s’adapter, surtout pour un pays comme la Chine, dont le passé regorge d’une histoire où il se figure être au centre du monde tout en restant une entité inviolable qui peut fermer ses portes à chaque fois qu’il choisit de le faire. Cette époque est révolue.

    Les responsables chinois se sont engagés vers un processus d’ouverture depuis plus d’une génération. Ils restent cependant irritables à toute allusion à une interférence extérieure, y compris à la suggestion que ce qui intéresse leur nation peut aussi intéresser les autres nations, et vice versa. La sécheresse à Guizhou, quelle qu’en soit les causes, nous rappelle que le destin du people chinois est inextricablement lié à ce qui se passe ailleurs. Aucun pays ne peut abandonner ou rechercher des solutions de manière unilatérale sans envisager l’intérêt général.

    Orville Schell is Director of the Center on US-China Relations at the Asia Society.

    Copyright: Project Syndicate, 2009.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Aude Fondard


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  • Citoyens-actionnaires

    Les plans de rigueur sont inutiles sans stratégie à moyen et long terme

    Initialement limitée à la Grèce, la défiance des marchés financiers s'étend progressivement à l'ensemble de la zone euro. Les investisseurs internationaux hésitent de plus en plus devant la dette des Etats européens. L'euro a perdu près de 20 % de sa valeur depuis six mois. Autrement dit, les Européens se sont appauvris de 20 %.

    La réaction des investisseurs est légitime. C'est celle d'un créancier qui s'inquiète de détenir une créance sur une entreprise dans laquelle il n'a plus confiance.

    C'est en effet un scénario de stagnation, voire de récession, qui se dessine pour la zone euro. Le potentiel de croissance est limité du fait d'une démographie peu dynamique et d'une productivité qui plafonne. Par ailleurs, la chute de l'euro entraîne une diminution du pouvoir d'achat. La peur de l'avenir pousse les ménages à épargner plus. La consommation va donc stagner, et les entreprises vont réduire leurs investissements. Le chômage va augmenter. La dette publique, en panne de croissance et d'investisseurs, va se maintenir à un niveau élevé. A ce scénario pourrait s'ajouter un choc pétrolier, une déflation ou une faillite bancaire.

    Cette réaction des créanciers devrait nous interpeller, nous autres Européens. Nous avons vis-à-vis des Etats les mêmes relations que les actionnaires vis-à-vis des entreprises. Nous investissons dans l'Etat par le paiement des impôts. Comme les entreprises, les Etats peuvent financer leurs investissements par du capital, en levant plus d'impôts auprès de leurs contribuables/actionnaires, ou par de la dette, s'ils trouvent des investisseurs pour leur prêter de l'argent.

    Nous investissons également dans l'Etat le temps que nous consacrons à ses institutions et même la mobilisation possible de nos enfants. Nous participons à la prise de décision par les élections. Nous profitons directement de la création de valeur par les mécanismes de retraite par répartition et de redistribution ainsi que par les biens publics. Et en cas de faillite de l'Etat, nous perdons ces actifs dans lesquels nous avons investi.

    Dans le cas d'une entreprise, actionnaires et créanciers doivent partager une même confiance dans le modèle de développement : stratégie, avantages concurrentiels, solidité et expérience du management, engagement des actionnaires dans la durée. C'est la qualité de ce modèle qui va déterminer le retour sur investissement pour l'actionnaire et la capacité de remboursement pour le créancier.

    Les créanciers n'ont pas toujours été rigoureux dans leur analyse du modèle concernant les Etats, ce qui a abusé les actionnaires. Les créanciers ont fait confiance au privilège des Etats de pouvoir imposer des augmentations de capital à leurs actionnaires. Les Etats peuvent en effet toujours augmenter les impôts pour rembourser leurs dettes ; c'est pourquoi on parle de dette souveraine. Cette possibilité de lever l'impôt n'est toutefois pas illimitée : dans un monde ouvert, les capitaux, les bénéfices et les salaires peuvent se déplacer d'un pays à un autre et donc échapper à la taxation d'un Etat.

    Par ailleurs, l'environnement économique a poussé les créanciers à acheter trop de dettes des pays développés. Les Banques centrales ont maintenu une liquidité surabondante dans les pays développés pour y soutenir la croissance. Cette liquidité a été placée pour partie dans la dette publique.

    Dans les pays en voie de développement, du fait de l'insuffisance de la protection sociale et des inégalités de revenus, une surépargne s'est créée qui trouve difficilement à s'investir localement. Cette surépargne détenue par un petit nombre d'acteurs économiques est donc placée dans des produits financiers fabriqués dans les pays développés, à rendement faible mais à risque supposé limité : dette publique, dérivés de portefeuilles de crédits, dont les subprimes, etc.

    Aujourd'hui encore, dans le cas des Etats-Unis, la dette publique profite du rôle de monnaie d'échange internationale et de monnaie de réserve du dollar. Par ailleurs, les pays en voie de développement sont les créanciers des Etats-Unis et de l'Union européenne, mais ils en sont également les fournisseurs. Et comme pour une entreprise, un créancier hésite toujours un moment avant de faire tomber son débiteur lorsque celui-ci est également son principal client.

    Mais, à la suite du doute jeté sur les statistiques grecques en décembre 2009, les créanciers commencent à se pencher sur le modèle de développement des Etats européens. Sous la pression, ces derniers se déchargent d'une partie de leur dette sur les banques commerciales et les Banques centrales, et décident de réductions substantielles des dépenses publiques pour améliorer leur bilan. Les dépenses publiques ont cependant déjà été fortement sollicitées pour sauver les acteurs économiques touchés par la crise (banques, industries, Etats surendettés).

    Les gouvernements s'attaquent donc en premier lieu aux dépenses de l'enseignement, de la recherche, de la culture et de la protection sociale. C'est ainsi que les Etats-Unis ont arbitré le plan de sauvetage des banques contre le budget de la NASA. De même, l'Allemagne, dont les banques restent aujourd'hui en grande difficulté, a annoncé une réduction des prestations sociales.

    En procédant ainsi, les Etats européens manquent leur objectif. Ces économies de court terme ne garantissent pas la viabilité à long terme du modèle de développement. En outre, les Etats de la zone euro sont entrés dans une spirale d'annonces successives d'économies qui va être très difficile à arrêter.

    Comme dans une entreprise, les plans de réduction de coûts ne servent à rien s'ils ne sont pas au service d'une stratégie à moyen-long terme. Et comme dans une entreprise, les créanciers ne retrouveront la confiance que si les actionnaires que nous sommes recapitalisent. Cette recapitalisation s'entend au sens propre - rapatrier les capitaux logés dans les paradis fiscaux et consentir à nouveau à l'impôt - comme au sens figuré - réinvestir dans un projet politique et des institutions d'ici à 2012.

    Notre projet politique depuis trente ans - la croissance économique garante de la prospérité et du bien-être individuel - a montré ses limites : montée dramatique des inégalités, existence d'un quart-monde mal logé et mal nourri, famines dans le tiers-monde, catastrophes écologiques, instabilité internationale... C'est donc le monde dans son ensemble qui a besoin d'être repensé.

    C'est un vaste projet qui reste à écrire. Mais, dans tous les cas, il faudra qu'il replace l'homme au centre du monde. Car, sans confiance dans l'homme, pas de vouloir-vivre collectif. Sans confiance dans le rapport de l'homme au monde, pas de bien-être individuel et pas d'énergie, l'homme trouvant son équilibre dans son rapport au monde. On a beaucoup dit et écrit après la seconde guerre mondiale sur le caractère suspect a priori de tout projet pour l'homme, le mal irréductible et radical qu'il y aurait en l'homme et le lien qui se serait cassé entre l'homme et le monde, l'étrangeté de l'homme au monde.

    La réalité telle que nous savons aujourd'hui l'appréhender peut paraître complexe et étrange, mais elle est toujours intelligible et la connaissance du monde et l'harmonie avec le monde sont plus que jamais un enjeu pour demain.

    Florence Marie et Guillaume Sarlat

    Cadres de banque


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