• France-Allemagne, le malaise

    (PHOTO AFP)Il est urgent de conjurer les divergences économiques entre Paris et Berlin. C'est le socle indispensable sans lequel l'Europe deviendra un protectorat

     

    C'est à une Europe qu'inquiétait déjà la compétition multipolaire, frappée en 2008-2009 par l'effondrement mondial de l'économie casino, que se sont attaqués les marchés financiers. La voilà, nouvelle grenouille, piquée par ces nouveaux scorpions, qui punissent les Etats, surendettés... pour avoir fait les pompiers !

    Cependant, la nécessité de reprendre le contrôle de l'endettement public dans nos pays n'est pas contestable, même si les Etats-Unis sont dans une situation pire que bien des pays européens. Nous devons nous guérir de cette addiction au déficit, sinon, dixit Jacques Attali, " nous serons tous ruinés dans dix ans ". Mais comment ?

    Un malaise naît de la manière dont cette question a surgi et s'est imposée ; de la façon, conflictuelle et laborieuse, dont les Européens y ont répondu ; du rôle que la Commission de Bruxelles voudrait en profiter pour s'attribuer ; de l'actuelle attitude allemande ; de l'état réel de la relation franco-allemande ; de la nature de la gouvernance économique qui en sortira et de la politique économique qui en découlera.

    Qui va décider quoi ? Cela doit être clarifié. N'épiloguons pas plus sur le Moloch financier. On y trouve des créanciers sincèrement inquiets de l'incapacité des Etats à honorer leurs obligations. Des libéraux extrêmes qui pensent faire oeuvre de salubrité. Des spéculateurs indifférents aux conséquences de leur action sur les sociétés. Et sans doute chez quelques-uns d'entre eux, anglo-saxons, le plaisir d'ébranler un euro jamais complètement accepté (et pourtant sa dépréciation actuelle est plutôt une bonne chose...). Dans l'idéal, il faudrait ne rien devoir aux marchés financiers, surtout si l'on perturbe l'ordre monétaire dominant ! Ou, au moins, les reréguler. En attendant, la réalité est là...

    La crise des dernières semaines a fait renaître, chez les nostalgiques du fédéralisme, restés nombreux chez les commentateurs en France, l'espérance d'une aubaine. Postulat : nous avons une monnaie, l'euro, gérée de façon fédérale. Nous devons faire la même chose pour les politiques économiques. Mais qu'entend-on par fédéralisme (ou par intégration) ? Ce mot " fédéralisme ", panacée pour certains, peut revêtir deux significations très différentes.

    Si la Commission entend, sous couvert d'examen précoce des bases économiques de budgets que les gouvernements seraient désormais obligés de lui soumettre avant un premier vote par les parlements, se substituer aux décisions finales de ces derniers en décrétant ce qui est acceptable, et ce qui ne l'est pas, ce serait un saut majeur, et furtif, dans un fédéralisme espéré par les technocrates européistes, mais jamais accepté ni ratifié par les peuples. Ce serait illégitime, et hors traité. Le dernier lien entre l'Europe et la démocratie serait rompu. Les gouvernements de la zone ne doivent pas l'accepter. Or, les décisions prises par les Vingt-Sept, en juin, à ce sujet, restent ambiguës.

    Si, en revanche, la Commission et les autres Etats membres font sur ces avant-projets des observations, des recommandations, voire des mises en garde publiques, non seulement c'est acceptable mais cela aurait pu être fait plus tôt car c'était déjà prévu par les articles 103 et 109 du traité de Maastricht. Chaque gouvernement, chaque Parlement, reste en dernier ressort libre de sa décision. Il s'agit alors de coordination, pas de fédéralisation. La souveraineté n'est ni dissoute ni abandonnée ni transférée. Elle est exercée en commun au sein de la fédération d'Etats-nations.

    Au nom de l'efficacité, on prétendra que la coordination, par rapport à un fédéralisme idéalisé, serait inefficace. Mais on ne l'a jamais sérieusement mise en oeuvre. On est en droit de penser que le caractère public du débat qui naîtrait de ces évaluations publiques aurait en deux ou trois ans de coordination un puissant effet harmonisateur. Deux mesures le renforceraient :

    - l'harmonisation complète des calendriers budgétaires au sein de la zone euro, pour que tous ses membres, franchissant en même temps les étapes budgétaires, puissent comparer et débattre, de façon synchronisée ;

    - l'évaluation publique par la Commission, non seulement du respect de critères fétiches, mais, de façon plus dynamique, de ce qui converge ou diverge entre Etats membres.

    Quand un gouvernement, un parlement décidera de diverger, il devra expliquer pourquoi. En résumé, s'en remettre à la Commission par fatigue et perte de confiance en soi, non. Enclencher à seize un ambitieux cercle vertueux, public et démocratique, oui. Il faut essayer.

    Pour le moment, ce n'est pas la Commission, mais plutôt l'Allemagne et sa chancelière, Angela Merkel, et plus largement la relation franco-allemande, qui laissent perplexes. Mécontente d'avoir dû souscrire à l'accord du 7 mai de soutien conditionnel à la Grèce, l'Allemagne semble vouloir maintenant imposer ses conceptions rigoureuses à toute la zone euro, voire aux Vingt-Sept. Cela mérite un débat sérieux qui ne doit pas être escamoté.

    Ecartons d'emblée plusieurs critiques injustes adressées à l'Allemagne. Elle serait " égoïste ". Et alors ? Est-ce que les autres pays sont altruistes ? Ce n'est pas anormal que chaque pays se soucie, au point de départ, de ses intérêts nationaux et de ceux de ses contribuables, surtout lorsque l'on est le premier payeur potentiel et que l'on n'a pas oublié l'histoire. Même Helmut Kohl - chancelier de 1982 à 1998 - le faisait. Cela ne doit pas empêcher ensuite un intérêt européen commun. Même chose pour la " lenteur " allemande : la Grèce n'était pas prête en février pour l'accord de mai.

    En revanche, la " gouvernance ", l'absence de coordination des décisions et la politique économique allemande d'austérité font problème. Si Mme Merkel a finalement concédé qu'une gouvernance économique à vingt-sept était possible, elle la refuse toujours à seize (la zone euro), avançant deux arguments peu convaincants :

    - ne pas affaiblir la Banque centrale. Mais en quoi celle-ci serait " affaiblie " si les Seize avaient des politiques économiques cohérentes ?

    - ne pas créer une Europe à deux vitesses. Mais elle existe déjà ! Certains (16) ont l'euro comme monnaie, d'autres (11), non. Il doit y avoir de l'idéologie, ou des arrière- pensées, dans ce refus. Peut-être n'est-ce pas son dernier mot. Mme Merkel ne veut pas de sommet à seize, " sauf nécessité ". Eh bien, prouvons que c'est nécessaire, et avançons ainsi, pragmatiquement, sans créer de nouvelles institutions.

    Par ailleurs, alors qu'on parle coordination, Mme Merkel a décidé, seule, d'un plan d'austérité allemand dont, avant le G20, les Etats-Unis (le président Obama, le New York Times, Paul Krugman) ont vivement contesté l'opportunité économique, car, même limité, il peut avoir un effet négatif, voire déflationniste. Plusieurs autres Etats membres ont ainsi multiplié les annonces nationales. Si les mots " gouvernance " ou " coordination " ont un sens, tout cela devrait maintenant faire l'objet d'échanges avant, être présenté ensuite et expliqué de façon plus harmonisée et pas dans une course panique.

    Il est aussi urgent de cesser de parler de cette nouvelle gouvernance économique uniquement de façon répressive : il n'est question, ces jours-ci, que d'austérité, de surveillance, de punition, de sanction, d'expulsion ! Si la zone euro finit par être perçue comme un camp de redressement, cela tuera ce qui reste de l'idée européenne dans l'esprit des peuples.

    A-t-on perdu tout sens politique ? Expliquons que l'assainissement est un passage nécessaire, pas un but en soi, et présentons une vision de l'avenir. C'est aussi pourquoi ce serait une double et grave erreur de rouvrir la négociation sur les traités, surtout dans le seul but de durcir les sanctions.

    Si nous ne parvenons pas à convaincre les Allemands de renoncer à cette idée, alors, révision pour révision, nous pourrions proposer que l'on élargisse les missions de la Banque centrale, au-delà de la seule lutte contre l'inflation, et que l'on inscrive le principe d'une gouvernance économique de la zone euro. Puis négocier.

    Nous demandons sans doute beaucoup à l'Allemagne, mais elle-même, convaincue de la justesse de sa ligne, exige beaucoup de ses partenaires. Depuis le chancelier Schröder - 1998-2005 - , l'Allemagne a réclamé que l'on tienne davantage compte de la démographie dans la définition des droits de vote au Conseil européen, ce qu'Helmut Kohl avait dit qu'il ne demanderait jamais. Elle l'a obtenue lors de la convention, ce qui a mis fin à la parité fondatrice Allemagne-France-Italie (et Grande-Bretagne), étrangement, sans aucun débat. Cela double son poids au Conseil. Cela lui confère des responsabilités particulières.

    Elle ne peut pas s'attendre à la simple extension à toute l'Europe de son modèle de stabilité, aussi respectable et performant soit-il (ce qui réduirait d'ailleurs ses exportations en Europe). Elle doit accepter que la politique économique menée dans l'Union européenne, et au sein de la zone euro, soit le résultat d'une synthèse entre sa culture, compréhensible, de refus de l'inflation et de lutte contre les déficits, et l'absolue nécessité d'une croissance nouvelle (post-bulle, régulée, écologique, etc.) pour l'Europe. Que cette " politique mix " soit modulable, réactive, qu'elle ose comporter un volet monétaire et promeuve, au niveau mondial, le " juste échange ".

    La France et l'Allemagne ont rarement les mêmes positions de départ. Mais là, cela fait quand même beaucoup de divergences. Or il n'y a pas en Europe d'alternative réelle à l'entente franco-allemande. Pour redonner à cette relation sa nécessaire vitalité, il faut peut-être tout remettre à plat : le fond et les attitudes. On se doutera que, ayant participé à plus de cent rencontres Kohl-Mitterrand, et à des dizaines de Conseils européens avec eux et Jacques Delors, je n'écrive pas cela à la légère.

    Mais, à tout prendre, cela serait plus salutaire que de continuer cahin-caha, de vrai désaccord en semi-compromis, ponctués par des interpellations publiques réciproques mal ressenties chez le partenaire et à des invocations rituelles, et vaines, uniquement en France, à la résurrection du couple franco-allemand et, au final, à une absence de vraie stratégie commune. Il ne s'agit pas de déclencher un pugilat public incontrôlé, au hasard des micros rencontrés, tout cela aggravé par des malentendus linguistiques, mais d'avoir une explication préparée, franche, méthodique, directe, d'abord au sommet, ensuite à tous les niveaux. Cela peut conduire momentanément à une crise froide qu'il faudra assumer, s'il n'y a pas moyen de faire autrement. Et, bien sûr, s'il fallait en passer par cette épreuve, ce serait pour que la relation en sorte plus forte, fondée sur des compromis historiques, durables, pour former un moteur européen révisé.

    Je ne veux pas me poser ici en donneur de leçons. Je sais à quel point c'est difficile, et que les contacts au sommet sont déjà constants. Mais cela semble ne pas aboutir. Conclure utilement un tel débat suppose une relation franco-allemande fondée sur l'" intimité ", comme l'ont rappelé Helmut Schmidt et Valéry Giscard d'Estaing.

    J'ajouterai : une volonté partagée. Pas plus à leur époque qu'à celle de Mitterrand et Kohl (et Dumas et Genscher), a fortiori aujourd'hui, avec le temps qui passe, cette intimité n'est une donnée de la nature. Elle est à (re)construire ou à consolider chaque jour, surtout si l'on veut qu'elle soit opérationnelle. Un vrai débat à grande échelle sur les choix actuels entre économistes des deux pays, sur le budget, les monnaies, la fiscalité, puis entre les politiques ensuite, avec les autres Européens, semble nécessaire pour qu'émerge la synthèse.

    N'oublions pas que, pendant ce temps, la fin du monopole occidental se confirme et la compétition multipolaire s'amplifie. Et que nous devons faire de l'Europe un de ces pôles - ce qui n'est pas acquis -, faute de quoi elle deviendra un protectorat.

    Maintenant que les attentes excessives envers le traité de Lisbonne (indépendamment des personnes choisies pour les principaux postes, et qu'il est trop facile de critiquer) se sont dissipées, on peut rappeler que, pour que l'Europe pèse, il faut d'abord que les principaux pays européens s'unissent sur les orientations stratégiques : la régulation financière (ce qui a l'air acquis entre la France et l'Allemagne et même, sur quelques points, avec la Grande-Bretagne, triangle magique), l'écologie, les relations avec la Russie, la Chine, le Moyen-Orient, etc., voire les relations avec les Etats-Unis (mieux saisir l'opportunité Obama).

    La Commission de Bruxelles pourrait aider à cette convergence stratégique en indiquant sans détour les divergences à surmonter. Il est temps de cesser d'opposer de façon dogmatique " méthode communautaire " et " méthode intergouvernementale ", comme s'obstinent à le faire les fédéralistes. Aucune des deux n'a jamais fonctionné sans l'autre. On ne va pas rechanger le traité ni les réalités européennes.

    Que peuvent bien faire Catherine Ashton - vice-présidente de la Commission européenne, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères - , Herman Van Rompuy - président du Conseil européen - ou José Manuel Barroso - président de la Commission européenne - , si la France et l'Allemagne et d'autres grands pays sont en désaccord ? Alors que, dans le cas inverse, ils peuvent beaucoup. Il faut que l'Europe se dote ainsi, de façon pragmatique et volontaire, assortie de calendriers, de vraies stratégies multipolaires, déclinées pôle par pôle, émergent par émergent, grand sujet par grand sujet. Tout est lié : le redémarrage d'une entente franco-allemande, clarifiée et productive, entraînant les autres partenaires.

    Une action coordonnée au sein des Seize, des Vingt-sept, du G7, du G20, etc. Ne nous relançons surtout pas dans des querelles institutionnelles ! Si le moteur franco-allemand remarche bien, les Européens arriveront à définir des stratégies et des politiques communes, quitte à passer par des moments de tension. Question de volonté.

    Mais il faut que tout ce qui se passe et se décide en ce moment en Europe, à chaud, soit beaucoup mieux expliqué et non de façon fragmentée ou précipitée ; que les opinions soient prises à témoin par plusieurs leaders s'exprimant ensemble, chez eux et en dehors de leur propre pays, pour que l'on sache où l'on va ; que les Parlements soient saisis et en débattent ; que la coordination nouvelle se manifeste concrètement, au G20 et ailleurs.

    Une zone euro cohérente est le levier dont nous avons besoin. Les autres scénarios sont inquiétants. Le moment est important.

    Hubert Védrine

    Ancien ministre des affaires étrangères (1997-2002)

    Conseiller diplomatique de François Mitterrand (1981-1986), secrétaire général de l'Elysée (1991-1995), préside l'Institut François-Mitterrand.

    Il est l'auteur de " Face à l'hyperpuissance " (Fayard, 2003) et du rapport sur " La France et la mondialisation " (Documentation française, 2007).


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  • La régulation financière et la taxation des banques, urgences oubliées du G20

    L'adoption prochaine par le Congrès des Etats-Unis d'une loi réformant Wall Street devrait contraindre les Européens à s'atteler, eux aussi, à une réforme financière
    Toronto (Canada) Envoyé spécial
     

    La taxation des banques : elle est laissée à l'appréciation de chacun. La régulation des marchés financiers : elle attendra le sommet de novembre, en Corée du Sud. Sur les sujets qui devaient constituer le gros de ce G20 il y a encore peu, les participants au sommet de Toronto ont jugé qu'il était urgent d'attendre. Les divergences restent trop importantes, l'impréparation aussi. Le communiqué final, adopté dimanche 27 juin, " s'engage à agir ensemble pour honorer les engagements de réforme du secteur financier " pris lors des précédents sommets. S'engager à honorer ses engagements : on a connu urgence plus solennelle... Au sommet de Londres, en avril 2009, le G20 appelait à se doter au plus tôt des moyens de surmonter " les défaillances importantes dans le secteur financier, dans la réglementation et la supervision financières, (...) causes fondamentales de la crise ".

    Samedi, à l'issue du G8, le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Mexicain Angel Gurria, avait livré ce verdict : " Tant que la maison commune brûlait, chacun devait jeter de l'eau avec les autres pour éteindre l'incendie. Maintenant que la croissance mondiale est de retour, il redevient plus difficile de trouver des terrains communs d'accord. "

    Dès lors, le communiqué final reste très soucieux de préserver la marge de manoeuvre future de chacun. Le niveau de capitaux propres des banques ? Un cadre réglementaire sera adopté, mais ses " dispositions progressives tiendront compte des points de départ des pays et des circonstances qui leur sont propres ". Bref, ses normes seront peu contraignantes.

    La " supervision efficace " ? Le Conseil de stabilité financière (CSF, un organisme créé il y a quinze mois qui regroupe les organes de régulation financière des membres du G20) est chargé avec le FMI de présenter des " recommandations " pour la fin de l'année. Il en sera de même de la lutte contre le risque systémique et de l'amélioration de la transparence financière.

    Approches différentes

    Nicolas Sarkozy s'est félicité de ce que la taxation des banques, destinée à alimenter un fonds d'aide d'urgence en cas de crise, soit " reconnue comme légitime " par le G20. En réalité, l'initiative promue par le président français et la chancelière allemande, Angela Merkel, visant à adopter une décision collective en ce sens, a été abandonnée après s'être heurtée à de fortes réticences.

    Sur ce sujet, le communiqué final est sans appel : les inévitables coûts induits par une future réforme financière font l'objet d'" une série d'approches stratégiques : certains pays ont choisi une taxe financière ; d'autres ont adopté une approche différente "...

    Enfin, l'imposition d'une " contribution sur les transactions financières " (de 0,05 %) n'est à aucun moment évoquée dans le document final. Les " financements innovants " chers à M. Sarkozy demeurent une ambition lointaine.

    Reste une réalité : en adoptant un projet de loi de réforme financière qui sera vraisemblablement voté par leur Congrès cette semaine, les Etats-Unis ont déterminé le cadre qui manquait jusqu'alors à une négociation générale. Rien ne pouvait réellement avancer tant que la réforme de Wall Street n'était pas engagée. M. Obama a d'ailleurs été félicité par la plupart de ses interlocuteurs pour être parvenu à ses fins.

    Désormais, chacun " devra s'adapter ", reconnaissait un participant à l'une des nombreuses réunions organisées à Toronto en marge du G8 et du G20 par les banques centrales des pays concernés.

    Christine Lagarde, la ministre française de l'économie, l'a expliqué : " Pour les Etats-Unis, cette loi est un gros progrès ; et elle nous oblige, nous Européens, à nous y atteler. " Après sa conférence de presse, M. Sarkozy a indiqué en aparté qu'à son avis, la régulation financière internationale ne sera pas bouclée à Séoul. Elle sera la grande affaire de la présidence française du G20. Le délai de dix-sept mois supplémentaire n'a pas semblé l'indisposer.

    Sylvain Cypel


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  • Dans le piège des lobbyistes

    Dziennik Gazeta Prawna Varsovie

    Mayk

    Les groupes d’intérêts sont aujourd’hui plus puissants à Bruxelles qu’à Washington. Faute de texte réglementant précisément leurs activités, ils peuvent influencer à leur guise le travail législatif européen.

    Marta Kucharska

    Daniel Gueguen est un vétéran des lobbyistes bruxellois. Pour les défenseurs de la transparence du système, c’est un adversaire de taille. Pour les bénéficiaires de ses services, en revanche, il est simplement un professionnel doté d’un don de persuasion. Gueguen a même fondé une sorte d’académie du lobbying : le European Training Institute. Et comme il l’avoue volontiers, Bruxelles est un paradis pour les diplômés de son école, qu’il préfère qualifier de “personnes travaillant en faveur des affaires de l’Union européenne”.

    Bruxelles, nouvel eldorado du lobbying

    Ce paradis a dépassé Washington et est devenu la capitale mondiale du lobbying. Avec seulement 1 million d’habitants, la ville, où siègent les plus importantes institutions européennes, s’est transformée au cours de ces vingt-cinq dernières années en eldorado pour les professionnels qui influencent les eurocrates. En 1985, rapportent les auteurs du livre Bursting the Brussels Bubble [“Faire éclater la bulle bruxelloise”, que vient de publier ALTER-EU, The Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation/L’Alliance pour une réglementation de transparence et d'éthique], quelque 654 lobbyistes travaillaient ici ; ils sont aujourd’hui au moins 15 000. En 2009, il y en avait un millier de moins à Washington. Les créateurs de règlements européens jouissent de surcroît d’une position bien plus confortable que leurs homologues américains. Le règlement susceptible d’encadrer leur activité n’existe pas.

    En juin 2008, dans le cadre de l'Initiative pour la transparence, la Commission européenne a créé un registre des groupes d'intérêts. Le seul problème est qu’il reste facultatif. A ce jour, 2 771 organisations s’y sont inscrites. Ce registre ne contient que des informations de base, et un lobbyiste n’a nulle obligation de préciser quelle directive ou projet législatif il compte influencer, affirme William Dinan de l’université de Glasgow. Et ce n’est pas tout. Selon Paul de Clerk, l’un des auteurs de Bursting the Brussels Bubble, les groupes d’intérêts peuvent se contenter d’indiquer dans le registre une simple estimation de leurs dépenses mensuelles au titre du lobbying en faveur d’un client, dans une fourchette allant de 1 000 à… 1 million d’euros. Avec une telle pratique, il est quasi impossible de déterminer le coût réel de la promotion d’une réglementation donnée.

    Les effets du lobbying dans l’UE frôlent parfois le ridicule. Il arrive que des députés européens qui n’ont pas la moindre idée sur la politique énergétique tiennent, après quelques séances de formation avec des conseillers, des propos dignes des experts des grandes entreprises énergétiques. Pour combler son manque de spécialistes, la Commission européenne fait régulièrement appel aux services de groupes d’experts, censés fournir des expertises indépendantes. Officiellement, ceux-ci travaillent gratuitement. Les auteurs de Bursting the Brussels Bubble assurent qu’ils sont rémunérés par les grands groupes.

    Le groupe d'experts sur les biocarburants infiltré

    Si vous analysez la composition des groupes d’experts sur les finances et la banque, il est facile d’identifier des conseillers liés à Barclays ou Paribas, par exemple”, soutient Paul de Clerck. Il ajoute que l’une des actions les plus impressionnantes des lobbyistes, ces dernières années, a été l’infiltration du groupe d’experts sur les biocarburants. Ce n’était pourtant rien comparé à ce qui s’est passé lors des travaux sur la directivee REACH (Enregistrement, Evaluation et Autorisation des Produits Chimiques).  En 1998, le Conseil des ministres de l’Environnement a décidé de réglementer l’utilisation, par l’industrie chimique européenne, d’environ 100 000 substances chimiques qui pouvaient être produites, importées ou vendues sans aucune information relative aux effets de leur utilisation. C’est aux institutions gouvernementales qu’il revenait de vérifier la nocivité potentielle de divers agents chimiques et de leur éventuelle interdiction.

    En 2001, la Commission européenne a proposé de placer l’industrie chimique sous contrôle. Les fabricants et les importateurs devaient désormais fournir des informations sur les propriétés des substances utilisées, et remplacer les produits chimiques dangereux par des équivalents moins nocifs. Ce fut aussi le début du lobbying européen sous sa forme actuelle.

    Les lobbyistes ont prétendu que les propositions de la Commission allaient tuer l’industrie chimique en Europe et conduire inévitablement à une hausse du chômage. Les principales forces dans la lutte contre le projet de la Commission ont été les firmes Bayer et BASF. En 2003, l’Association allemande des produits chimiques a versé des financements en faveur des partis politiques. La CDU-CSU [conservateurs] a empoché un total de 150 000 euros, le FDP [libéraux] 50 000, et le SPD [sociaux-démocrates] 40 000 euros.

    Quant à l’effet de cette opération de lobbying, le voici : conformément à la loi passée en force, l’industrie chimique est obligée de fournir des informations de base sur tous les produits chimiques commercialisés en quantités annuelles supérieures à 1 tonne. Mais au lieu de 100 000 produits chimiques, comme prévu initialement, les dispositions de la directive REACH n’en concernent finalement que 30 000.

    Selon les experts, le lobbying s’est définitivement inscrit dans le paysage de Bruxelles. Les lobbys agiront en toute liberté jusqu’au jour où, lors d’un processus législatif européen, on fera apparaître leurs agissements entravant effrontément la loi. Seul un grand scandale les impliquant pourrait conduire à une réglementation de l’activité de ceux qui “travaillent en faveur des affaires de l’Union européenne”.


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