• La BCE face au grand écart de croissance en zone euro

    La Banque centrale européenne doit composer avec une Allemagne en plein boom et une Europe du Sud à la traîne
    Bruxelles Bureau européen

     

    Une zone euro à deux vitesses, et une Banque centrale (BCE) plus tiraillée que jamais : ainsi se présente le front économique après six mois de crise de la dette souveraine au sein de l'Union monétaire.

    Les Européens espèrent avoir traversé le pire, après avoir volé, en mai, au secours de la Grèce, et mis en place un mécanisme inédit de renflouement des Etats menacés de faillite. Mais la vigilance demeure de mise, en dépit d'une relative accalmie cet été.

    Aux avant-postes, la BCE effectue sa rentrée jeudi 2 septembre dans un contexte redoutable : elle va devoir composer avec des écarts significatifs de croissance entre les pays membres de l'Union monétaire. La vitesse du redémarrage de l'économie allemande (+2,2 % au deuxième trimestre) a laissé sur place tous ses partenaires. Le deuxième dans la course à la croissance, les Pays-Bas, a affiché + 0,9 % ; les trois autres poids lourds de la zone, France, Italie et Espagne, enregistraient respectivement + 0,6 %, + 0,4 % et + 0,2 %.

    " Tous les choix de politique monétaire vont être plus difficiles ", estime Jean Pisani-Ferry, le directeur du centre de réflexions économiques Bruegel, à Bruxelles : " Le conseil des gouverneurs va être plus divisé, la prise de décision sera plus compliquée, au risque de rendre la BCE moins réactive. "

    Les écarts de croissance n'ont, certes, rien de nouveau pour la BCE. Mais la crise a inversé les rapports de force. Pendant les dix premières années de l'euro, ce sont les pays de la périphérie, Espagne et Irlande en tête, qui ont surclassé les pays plus centraux, comme l'Allemagne et la France.

    Ajustement douloureux

    Depuis la récente tempête, les économies autrefois les plus dynamiques font face à un ajustement douloureux. " Le choc qui affecte la périphérie - crise de la dette et/ou éclatement de la bulle immobilière - nécessite une politique monétaire accommodante ", analyse Jacques Cailloux, économiste à Barclays capital. " Or, ajoute-t-il, si la reprise se poursuit en Allemagne, et dans les pays du centre, la BCE sera censée intervenir pour tenir l'inflation sous contrôle, alors même que les mesures prises pour gagner de la compétitivité dans la périphérie, comme les baisses de salaires, vont étouffer l'inflation dans la partie la plus fragile de l'Union monétaire. "

    Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, a souvent répété que la diversité conjoncturelle n'était pas un obstacle, prenant exemple sur ce qui se passe aux Etats-Unis, et les écarts qui peuvent exister entre les Etats fédérés.

    Mais les économistes ne sont guère convaincus. Ils notent que la mobilité du travail est grande outre-Atlantique, faible en Europe. Et ils observent que compte tenu du poids économique de l'Allemagne (27 % du produit intérieur brut de la zone euro), c'est largement en fonction de la conjoncture dans ce pays que la BCE définit sa politique monétaire. Ce qui signifie que si l'Allemagne continue sur sa lancée, l'institut d'émission pourrait être obligé de relever ses taux alors même qu'un pays de la zone euro serait sous la menace d'une récession. Ce serait un coup fatal pour les " lâchés " - Grèce ou Espagne - mais aussi très dur pour les pays du " peloton " comme la France. " Une hausse des taux d'intérêt aurait un double impact sur les pays en plein ajustement : renchérir le coût de leur endettement, et fragiliser leur reprise ", craint M. Cailloux.

    Besoins inverses

    Dans ce contexte, les gouvernements suivront de près la moindre initiative de la BCE. En France, où les dirigeants redoutent de longue date d'être surclassés par les performances de la machine à exporter allemande, l'inquiétude est discrète, mais réelle. " Il est clair que si les divergences se creusent entre la France et l'Allemagne, les deux pays vont avoir des besoins symétriquement inverses sur le plan monétaire : l'Allemagne jouera la carte de la maîtrise des coûts, et de la lutte contre l'inflation, la France surendettée misera sur la relance par les salaires et aura intérêt à voir sa dette grignotée naturellement par un minimum d'inflation ", analysait un haut fonctionnaire français au plus fort de la crise financière.

    La question est de savoir si les divergences vont persister, en particulier entre Berlin et Paris. Pour de nombreux économistes, une grande partie de la croissance allemande dépend des exportations, et pourrait s'atténuer en cas de ralentissement aux Etats-Unis et dans les pays émergents.

    Pour Jean Pisani-Ferry, " tout dépendra, au-delà des écarts de croissance, des divergences sur le front de l'inflation ". La hausse des prix reste modeste en Allemagne comme dans l'ensemble de la zone euro. Cette stabilité incite les banquiers centraux à laisser leurs taux inchangés, à 1 % depuis mai 2009 ; un statu quo qui arrange tous les gouvernements.

    Philippe Ricard avec


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  • Mouammar Kadhafi a été accueilli avec tous les égards en Italie, avec qui le leader libyen a clos son contentieux post-colonial à coups de contrats. Il avait en revanche obtenu des excuses et des dédommagements de la ministre des Affaires étrangères suisse Micheline Calmy-Rey pour clore l'incident diplomatique né de l'arrestation du fils du leader libyen à Genève.

    Mix&Remix, L'Hebdo (Lausanne)


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  • L’Union en panne de leaders

    Trouw Amsterdam

    Alors que l’UE traverse une crise économique et un malaise politique et social, ses dirigeants semblent manquer de volontarisme pour y remédier. Le politologue Rob de Wijk les appelle à renverser la tendance pour freiner le déclin du continent.

    Rob de Wijk

    L’influence de l’Europe est en déclin. On a pu le constater lors du sommet de Copenhague sur le climat, lorsque le souhait européen de parvenir à des accords contraignants sur la diminution des gaz à effet de serre n’a pas été satisfait. Avec la crise financière, les problèmes sont devenus encore plus manifestes. La décision d’accorder une aide aux pays qui risquent de faire faillite a été prise trop tard. Il a fallu recourir au fonds monétaire international (FMI) pour la mettre en œuvre. Idem concernant la mise en place d’une surveillance économique : les mesures ont été prises également tardivement, alors qu’une véritable union politique s’imposait pour pouvoir contraindre des pays comme la Grèce à un comportement correct.

    Manque de dynamiques nationales

    Le manque de dynamisme de l’Europe résulte de la somme des manques de dynamismes nationaux. En Hongrie, par exemple, cela a conduit à une crise politique qui mine tout ce que représente l’Europe. En pleine crise financière européenne, le parti de droite, la Fidesz, a conquis début 2010 une majorité de deux tiers au Parlement, lui permettant de modifier la constitution à son gré. Cette victoire ouvre la voie à la dictature, et le résultat des élections traduit avant tout un rejet de la politique. Les idées extrémistes, comme celles du parti d’extrême droite Jobbik, qui rejette la responsabilité du malaise sur les juifs et les tsiganes, ont désormais le champ libre. Cette crise est une variante extrême d’un malaise politique qui se fait sentir dans presque tous les Etats membres de l’UE et qui fait obstacle à une politique constructive.

    Curieusement, l’Europe semble résignée face à ce déclin. Cette résignation peut en partie s’expliquer par le succès du processus d’intégration européenne proprement dit. Celui-ci a apporté prospérité et sécurité. Mais il également rendu les gens blasés de leur bien-être. Tout ce qui menace le paradis ainsi créé aboutit au mécontentement, à demander "moins d’Europe" et à désigner des boucs émissaires : les juifs, les tsiganes, les musulmans ou encore "les riches".

    Tout cela conjugué à l’absence de dynamisme des politiques nationales empêche les Etats membres de respecter des promesses essentielles, comme la mise en œuvre des objectifs de Lisbonne de 2000. L’Europe n’est pas devenue "l’économie de connaissance la plus compétitive et dynamique au monde". Le nouveau plan "Europe 2020" ne devrait pas non plus aboutir.

    Pas de véritable réflexion

    Une autre explication du déclin est l’extrême vitesse de circulation des informations : les hommes et femmes politiques courent d’un battage médiatique à l’autre ce qui empêche toute réflexion approfondie pour des solutions durables aux problématiques qui se posent. De plus, les leaders manquent souvent de connaissances et de perspicacité. Par conséquent, il leur est difficile de justifier la nécessité des mesures politiques contestées. Prenez l’exemple du vieillissement de la population. Pour l’instant on compte encore quatre actifs pour un retraité dans l’UE. En 2040 ils ne seront plus que deux actifs par retraité. Il faut donc des immigrés pour compenser ce vieillissement démographique.

    Selon Eurostat, 40 millions d’immigrés entreront dans l’UE d’ici 2050, permettant ainsi de compenser en partie les effets de la faible natalité et de l’augmentation de l’espérance de vie. Et pourtant, les politiciens veulent freiner l’immigration. Or sans augmenter le nombre d’immigrés, le déclin de l’Europe s’accélérera. Espérons que la crise financière fasse comprendre aux hommes politiques qu’il faut renverser la tendance négative. Pour ce faire, ils doivent réussir à travailler ensemble et mobiliser la capacité d’innovation des Européens afin d’adapter l’UE aux temps qui changent.


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  • A Wall Street, rien n'a changé

    De nombreux banquiers américains et éditorialistes du Wall Street Journal se comportent comme si la crise financière n’était jamais arrivée.

    L’art du «grand mensonge» est de répéter quelque chose assez souvent, et avec un porte-voix assez puissant, pour que votre distorsion de la vérité ne soit pas mise en question. C’est la technique adoptée par le Wall Street Journal, qui attaque et déforme de façon obsessionnelle les nombreuses poursuites que j’ai initiées contre AIG et son ancien PDG Hank Greenberg.

    Les enjeux dépassent largement le cadre de telle ou telle affaire. En voulant réécrire l’histoire du cataclysme économique que nous avons traversé, certaines personnes tentent de mettre en doute les conclusions dictées par le bon sens, qui découlent d’une interprétation exacte de l’histoire. Elles cherchent désespérément à préserver une philosophie anti-régulation particulièrement fanatique et en définitive nuisible, courant dominant des 30 dernières années. Elles veulent protéger une interprétation détraquée et erronée du fonctionnement des marchés, un point de vue aujourd’hui ouvertement rejeté par des personnalités aussi farouchement attachées à l’économie de marché que le juge Richard Posner et l’ancien président de la Réserve fédérale Alan Greenspan. Admettre le bien-fondé des poursuites des entreprises coupables les empêcherait de rejeter, comme elles le font actuellement, la moindre petite réaction gouvernementale à la crise financière.

    Vu la situation, et étant donné le récent éditorial publié par le Wall Street Journal, il convient d’apporter quelques précisions. Greenberg a été poussé à démissionner de son poste de PDG d’AIG par son propre conseil d’administration—du propre chef de ce dernier—après qu’il avait refusé de répondre à des questions concernant son implication dans des contrats de réassurance frauduleux créés par sa compagnie. Cinq personnes ont été reconnues coupables par un jury dans le Connecticut en 2008 pour leur rôle dans ces fraudes. Le procureur général, lors de son résumé de l’affaire, a qualifié Greenberg de «complice non accusé». À New York, le juge en charge de cette affaire, initiée par l’État lorsque j’étais procureur général, l’a qualifiée de «désastreuse» et utilisé l’expression «entreprise criminelle» pour désigner AIG. AIG en tant que personne morale est parvenu à un accord avec mon bureau en 2006 en révisant ses résultats financiers et en acquittant une amende de 1,6 milliard de dollars. Les actionnaires attendent à présent l’approbation judiciaire d’un accord de versement de 750 millions de dollars supplémentaires en compensation des dommages provoqués par ces malversations comptables.

    Contrairement à ce que revendique l’éditorial du Journal, les poursuites intentées contre Greenberg et AIG étaient à la fois appropriées et efficaces. Plus important peut-être, elles étaient nécessaires pour défendre la justice et l’éthique sur les marchés.

    L’éditorial du Journal cherche aussi à dénigrer les poursuites intentées par mon bureau contre Marsh & McLennan pour toute une série de délits économiques et financiers. L’éditorial souligne que deux des poursuites contre des employés de l’entreprise ont été abandonnées après que les prévenus avaient été reconnus coupables. Le juge avait découvert que certaines preuves qui auraient dû être livrées à la défense ne l’avaient pas été (les procès ont eu lieu alors que je n’étais plus procureur général). Malheureusement pour la crédibilité du Journal, son éditorial omet d’évoquer les nombreux employés de Marsh reconnus coupables et condamnés à des peines de prison, ou de dire que l’attitude de Marsh était un flagrant abus de position dominante: fixation des prix, agiotage et ristournes, tous conçus pour nuire aux clients et au marché tandis que Marsh et ses employés empochaient bénéfices et pots de vin. La société Marsh a payé une amende de 850 millions de dollars et a changé de direction. À l’époque des malversations, Jeff Greenberg, le fils de Hank Greenberg, était PDG de Marsh. Il a été obligé de démissionner.

    Comment interpréter que des voix soi-disant sensées du monde des affaires continuent de nier le fait tout simple que des comportements irresponsables doivent être abordés frontalement, et les règles de conduite suffisamment modifiées pour permettre d’assurer une fondation solide à la future croissance économique?

    Je crains que nous n’ayons toujours pas élaboré un contrat social ou un accord général sur le rôle du gouvernement vis-à-vis du marché permettant d’atteindre un équilibre—à la fois en termes de comportement individuel et de responsabilité collective. Il se peut que nous vivions les dernières heures d’un régime en train de disparaître, désorientés par la perspective faussée de trop de gens qui ont peut-être trop bien fait au cours des dix ou vingt dernières années. Steve Schwarzman, fondateur et PDG du fonds d’investissement Blackstone, en est une bonne illustration. Schwarzman a récemment comparé la tentative de taxer les rémunérations souvent astronomiques octroyées aux managers des fonds d’investissements comme des revenus ordinaires —ce qui serait normal—à l’invasion de la Pologne par Hitler. Cette abominable déclaration, de la part de quelqu’un qui a dépensé des millions de dollars pour son propre anniversaire, rappelle de manière bien malheureuse l’état d’esprit de certains de nos chefs d’entreprises. Il est grands temps que des voix plus éclairées du monde des affaires prennent leur propre porte-voix et se fassent entendre.

    Eliot Spitzer
    Ancien gouverneur de l’État de New York.

    Traduit par Bérengère Viennot

    Photo: Les acteurs du film Expendables (Expendables: Unité spéciale) en représentation sur le parquet de la Bourse de New York, le 19 août 2010. Brendan McDermid / Reuters


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