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  • Crise: le dernier craquement américain

    Le Trésor des Etats-Unis a cessé de soutenir l'immobilier dans la crainte de ne pouvoir se financer. La menace d'une rechute dans la récession se précise.

    Le mois d’août 2010 aura marqué un nouveau tournant dans la crise financière. Non pas, comme certains pouvaient le craindre, en raison d’une crise de change ou du système bancaire mais à la suite d’une décision dramatique et discrète que le gouvernement américain n’a pas pu ne pas prendre: abandonner à son sort le secteur immobilier.

    De fait, l’immobilier est un élément clé de l’économie américaine. En faisant croire pendant des années aux Américains qu’ils étaient riches, et qu’ils pouvaient emprunter et consommer, le logement a representé alimenté les deux tiers de la croissance. C’est par lui qu’a commencé la crise, avec les prêts subprimes, et c’est par lui que le gouvernement a cru sortir de la crise, en nationalisant pratiquement tout son financement. La Réserve fédérale américaine (Fed) a ainsi offert 400 milliards de dollars de garanties aux organismes de financement du logement, permettant aux investisseurs privés de continuer de les financer.    

    Depuis 2009 cela semblait être un succès. La valeur des patrimoines immobiliers a cessé de décroitre, ce qui a permis aux ménages de maintenir leur consommation. Les gouvernants ont pensé créer ainsi un cercle vertueux: la dépense publique crée la croissance, qui augmente la valeur de l’immobilier, qui pousse à la consommation, qui augmente la croissance et les recettes fiscales, qui financent la dépense publique. Autrement dit, l’immobilier étant le moteur du patrimoine, donc de la consommation, il est la condition du financement de la dette publique. Etrange situation, où on pensait qu’il fallait aggraver la dette (en finançant l’immobilier) pour trouver les moyens de la financer (par la croissance que provoque l’immobilier!)!

    Mais cela n’a pas suffit et ce cercle vertueux est en train, à l’heure même où nous écrivons, de se transformer en cercle vicieux. 

    D’une part, malgré tous les soutiens et tous les financements garantis, les prix de l’immobilier neuf  et ancien recommencent à chuter. Les gens ne peuvent plus les financer. Ils doivent renoncer à leurs maisons. Le nombre de saisies  immobilières  augmente et  le nombre des ventes de logement est le plus faible depuis quinze ans.

    D’autre part, la dette publique ne se réduit pas: elle dépasse 13 trillions de dollars (13 mille milliards de dollars), dont 4,5 trillions de dette intra-gouvernementale et 8,5 milliards de dettes à l’égard du marché, financées à parts égales par les investisseurs américains et les  étrangers.  Parmi les étrangers qui possèdent la dette publique américaine, un tiers sont des détenteurs privés et donc deux tiers des détenteurs publics. Le financement de cette dette est de plus en plus difficile: chaque mois, le Trésor doit trouver jusqu’à 700 milliards de dollars pour se refinancer.

    Pour y parvenir, le Trésor a longtemps espéré que la croissance y pourvoirait. Comme elle a chuté, malgré tous les stimulants, il a du prendre  deux décisions dramatiques: d’abord, en début de l’année 2010, il a du cesser de soutenir la croissance par la dépense publique, ce qui a entrainé une réduction de la croissance du PIB (qui pourrait n’avoir été que de 1,2% au deuxième trimestre). Mais, à ce moment-là, le Trésor continuait de financer l’immobilier, dernier moteur de la croissance, même au risque d’aggraver encore la dette.

    Puis, en août, plus grave encore, plus inquiet que jamais sur le financement de la dette publique,  le Trésor à interrompu le financement de l’immobilier, dernier moteur de la croissance.

    C’est une décision historique. Le gouvernement américain a choisi de considérer que l’impossibilité de financer la dette publique est un danger plus grand que l’effondrement de l’immobilier. Le Trésor a donc arrêté  en juillet 2010 d’accorder la prime de 8.000 dollars qu’il accordait à ceux qui achetait leur premier logement; et le mois suivant, en aout 2010, la Fed a arrêté l’achat des titres hypothécaires et des dettes des organismes de financement du logement pour se concentrer sur le financement des  bons du Trésor à maturité longue.

    Une telle solution est extrêmement risquée. Elle devrait entrainer une chute de la valeur des patrimoines immobiliers et une crise de financement des agences de crédit immobilier, que le Trésor est supposé garantir. Cette chute de la valeur de l’immobilier pourrait entraîner une chute de la consommation et de la croissance et rendre plus difficile la rentrée des impôts et le financement du déficit. Cela pourrait aussi discréditer le bilan de la Fed, dont les actifs immobiliers perdraient leur valeur (estimée encore à un trillion de dollars).

    Certains évaluent le total des risques pesant alors sur le Trésor à 20 Trillions de dollars. C’est dire qu’il a fallu que la situation des finances publiques soit difficile pour que le Trésor et la Fed se résignent à une manœuvre aussi désespérée. Pour qu’elle réussisse, il faudrait que les entreprises et les ménages prennent des risques, empruntent et investissent. En période de crise  profonde, c’est peu probable. La récession menace à nouveau outre-Atlantique et c'est une perspective très dangereuse pour le reste du monde.   

    Jacques Attali

    Photo: Une maison en cours de construction à vendre en Virginie Kevin Lamarque / Reuters


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  • Quand l'appétit des spéculateurs

    met à son menu la fin des paysans

     

    En Russie et en Europe les sécheresses provoquent un recul des productions de céréales. Si les phénomènes climatiques que connaissent l'Union européenne, la Russie et la Chine sont à l'origine d'une baisse des productions, les répercussions économiques qu'elles entraînent pour les paysans sont, quant à elles, provoquées par la forte dérégulation des marchés et une spéculation effrénée sur ces matières premières agricoles.

    Alors que l'ensemble des expertises officielles s'accordent à rejeter toute réelle possibilité de pénurie pour l'alimentation du bétail, le prix du blé a bondi de 70 % en un mois : de 130 euros la tonne début juillet à 224 euros la tonne aujourd'hui.

    Depuis que la Russie - troisième exportateur mondial de blé - a décrété un embargo sur ses exportations jusqu'à la fin de l'année, les spéculateurs et, en particulier, les fonds de pension sont sur le pied de guerre, achetant les matières premières agricoles à tour de bras. Leur appétit aura très vite des conséquences sociales désastreuses. Les émeutes de la faim qu'ont connues en 2008 les pays du Sud, alors que la tonne de blé atteignait 298 euros sous les effets de la spéculation, sont encore dans tous les esprits.

    Tous les ingrédients qui avaient conduit à cette situation sont, hélas, de nouveau présents. Les prix vont continuer d'augmenter et de connaître de fortes fluctuations que l'inévitable remontée des cours du pétrole ne pourra qu'aggraver. Force est de constater que depuis 2008, tout a été fait, au nom de la simplification de la politique agricole commune (PAC), pour réduire à néant les outils européens existants de gestion des marchés alors qu'il fallait mieux maîtriser les marchés, réduire la dépendance aux importations de denrées alimentaires, entraver l'extension des agrocarburants au détriment des cultures vivrières, constituer des stocks d'urgence.

    A partir de ce constat, les décideurs se sont convaincus de l'importance de relancer les investissements dans l'agriculture. Le revers de la médaille, c'est la ruée sur les terres arables de certains Etats et groupes privés qui mettent à mal le développement d'une agriculture paysanne, pourtant seule à même de répondre aux problèmes de la faim et de pauvreté des pays du Sud.

    Le prix des céréales explose

    En France, la montée des prix frappe de plein fouet les éleveurs. Les régions de l'Ouest et de montagne, grandes productrices de lait et de viande, sont les plus fortement touchées. A l'inverse, les céréaliers français voient leurs revenus s'accroître considérablement alors même que plus d'un tiers des aides de la PAC - 20 milliards d'euros sur 54 milliards - leur sont déjà alloués. Le prix des céréales explose, ceux du porc et de la viande bovine baissent, tandis que le prix du lait reste en dessous des coûts de production.

    Les éleveurs qui ont opté pour des systèmes herbagers - qui respectent l'environnement et leur apportent une plus grande autonomie pour l'alimentation du bétail - seront les plus injustement touchés par l'augmentation des prix des céréales, et donc de l'alimentation animale, alors qu'ils sont parmi les moins aidés par les dispositifs publics. La loi de modernisation de l'agriculture (LMA) ne fera qu'accentuer la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agroalimentaires, malgré un faux discours sur la régulation des productions.

    C'est là toute l'absurdité d'un système d'aides européennes essentiellement orientées vers la production intensive plutôt que vers le soutien des emplois dans l'agriculture durable. L'OMC, l'Union européenne et le gouvernement français continuent la politique du " laisser faire " au nom du libéralisme économique.

    Devrons-nous attendre une nouvelle crise alimentaire aux conséquences dramatiques pour que l'Union européenne se préoccupe enfin des paysans ? Nous demandons une modulation des aides compensatoires, afin qu'un quart des aides PAC 2010 aux céréaliers (5 milliards d'euros) soit redirigé vers les éleveurs et vers des politiques de coopération internationale.

    Il est temps d'amorcer une transformation écologique et sociale de notre modèle agricole. Cela passe par un encadrement fort des marchés afin de garantir des prix justes pour les producteurs, tout en préservant le pouvoir d'achat des consommateurs. La réforme de la PAC qui s'amorce constitue une opportunité unique pour remettre à plat les orientations stratégiques de la politique agricole européenne. C'est un nouveau contrat entre la société et ses paysans qu'il nous faut construire.

    José Bové,

    eurodéputé Europe Ecologie ;

    René Louail,

    paysan, conseiller régional Europe Ecologie au conseil régional de Bretagne ;

    François Dufour,

    paysan, vice-président d'Europe Ecologie de Basse-Normandie ;

    Serge Morin,

    paysan, vice-président Europe Ecologie de Poitou-Charentes.


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  • La " flexsécurité " à la peine

     

    Si les chiffres inquiétants de l'économie américaine ou le redressement rapide de l'économie allemande monopolisent l'attention, l'état des marchés du travail des pays scandinaves de l'Union européenne est également instructif.

    La crise du début des années 1990 avait propulsé le taux de chômage à près de 10 % au Danemark et en Suède. Il avait même dépassé 17 % en Finlande, alors très liée à une économie russe en effondrement. Mais à la fin du XXe siècle, le Danemark était proche du plein-emploi alors que le chômage avait fortement régressé dans les deux autres pays.

    Il n'en fallait pas moins pour voir dans ces excellents résultats obtenus en une poignée d'années, l'existence d'une troisième voie en matière d'emploi : la " flexsécurité ", " flexisécurité " ou encore " flexicurité ". En effet, les trois pays ont partagé - avec des variantes importantes - une stratégie d'activation du marché du travail à travers une flexibilité assurée par une relative facilité de licenciement, conjuguée à une " sécurisation " du travailleur.

    Celui-ci bénéficie à la fois d'allocations chômage généreuses et de formations professionnalisantes pour partie obligatoires. Ainsi, les entreprises peuvent s'adapter à la demande, ne pas être dissuadées d'embaucher, et les sans-emploi conservent leur " employabilité ". Théoriquement, les créations-destructions d'emplois s'accélèrent mais l'impact net sur l'emploi est positif, le chômage de longue durée régresse, évacuant la peur du chômage. Les exemples scandinaves se sont mus en " modèle " dans la dernière décennie.

    La Commission européenne a placé les principes de ce modèle au centre de sa stratégie pour l'emploi. En France, à droite comme à gauche, il était devenu un leitmotiv qui a rythmé les propositions pour l'emploi des principaux candidats lors de la dernière élection présidentielle. En pratique, on peut lire de nombreuses mesures adoptées en France comme inspirées de ce modèle.

    Par exemple, la réforme de la représentativité syndicale cherche à constituer des syndicats à l'image de ceux de l'Europe scandinave, puissants représentatifs et " responsables " considérés comme un prérequis d'une flexsécurité consensuelle. L'actuel premier ministre, François Fillon, ne cache pas son objectif de construire une " flexisécurité à la française ".

    Toutefois, à côté de cette interprétation dominante des performances scandinaves, des explications alternatives étaient proposées. En particulier, les pays scandinaves ont fait le choix de l'innovation en augmentant sensiblement l'effort de recherche et développement au moment du basculement dans l'économie de la connaissance. Suède et Finlande sont ainsi devenues les deux pays qui ont l'activité la plus intensive en recherche et développement (R & D) au sein de l'OCDE.

    Des géants tels Nokia ou Eriksson ont su surfer sur l'émergence des technologies mobiles, s'imposant comme des leaders mondiaux. Par ailleurs, le contenu de certaines formations offertes ou le fait que des sans-emploi préféraient reprendre un emploi en deçà de leurs prétentions plutôt que de suivre ces formations, soulevaient des doutes sur les qualités réelles de la flexsécurité, même dans son berceau, le Danemark.

    La crise semble donner corps à ces doutes. Contrairement à l'Allemagne ou à l'Autriche, la Suède et la Finlande n'ont pu échapper à une hausse rapide du chômage, le portant à près de 9 %. Le Danemark, qui partait d'un niveau de chômage plus bas, a pu le contenir autour de 7 %. Mais surtout, ces pays censés ne connaître qu'un chômage de flux de créations et de destructions d'emplois découvrent le chômage de file d'attente dont les jeunes sont les premières victimes. Le chômage des jeunes, pourtant très éduqués, a dérivé ainsi à des niveaux record qui s'éternisent.

    Selon les derniers chiffres d'Eurostat, en juin, le taux de chômage des moins de 25 ans est de 12 % au Danemark. Pire, avec respectivement, 22 % et 25 %, les taux finlandais et suédois dépassent celui observé en France, réputée le pays du chômage des jeunes. Comme les jeunes Scandinaves participent bien plus que les jeunes Français au marché du travail, ces chiffres signifient même qu'une proportion plus forte de la jeunesse est touchée par le chômage en Europe scandinave qu'en France, et cela même si l'on retire de ces statistiques les étudiants à la recherche d'emploi.

    Même si le chômage de longue durée demeure contenu, les institutions ne semblent pas capables de tenir la promesse d'assurer une fluidité du marché du travail. Ces difficultés coïncident avec des déboires de l'industrie scandinave, entre la vente par Ford d'un Volvo affaibli à un constructeur chinois ou le retard de Nokia dans le virage des smartphones marqué par le succès des sociétés nord-américaines.

    La situation est tellement inquiétante en Suède que des experts étrangers - même des Français - sont mobilisés pour proposer des solutions en faveur des moins de 25 ans. De quoi interroger le sens des réformes menées en France depuis dix ans. Une interrogation qui pourrait animer les prochaines universités d'été ou autres journées parlementaires des grands partis politiques qui ont longtemps encensé le modèle scandinave.

    Philippe Askenazy

    Directeur de recherche au CNRS, Ecole d'économie de Paris


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