• La plus grande escroquerie de l'Histoire ?

    La confusion sur les hypothèques liées aux subprimes menace les banques américaines

     

    Imaginez la scène. Sans emploi depuis des mois, vous devez rendre les clés de votre maison à la banque. Pas un, mais trois représentants de banques différentes cognent à votre porte. Chacun d'eux tient dans la main un certificat de propriété pour votre maison. Après vérification, les trois papiers sont... des faux ! Et personne ne sait qui possède votre maison.

    On pensait avoir tout vu des banquiers de Wall Street. Mais le Foreclosure Gate (" scandale des saisies ") pourrait battre tous les records de fraude financière... et nous replonger tous au coeur d'une nouvelle crise.

    Aux Etats-Unis, de 2004 à 2007, les grandes banques ont consenti sans retenue des millions de prêts hypothécaires. Même une femme de ménage gagnant 10 dollars l'heure pouvait s'offrir à crédit une baraque de 500 000 dollars (361 000 euros). Les banques ont fait fortune en regroupant les hypothèques et en les revendant sous forme de produit financier à des investisseurs, comme des régimes de retraite.

    Or quand vous échangez des milliers d'hypothèques par jour, il devient long et coûteux d'aller voir le notaire à chaque fois. Les banques ont donc créé leur propre système informatisé (appelé MERS) pour enregistrer les transactions de ventes et d'achats.

    Aujourd'hui, des millions d'Américains perdent leur emploi et doivent redonner les clés de leur maison aux banques. Seul problème : les enregistrements MERS contiennent peu de détails et ne valent rien aux yeux de plusieurs juges qui autorisent le processus de saisie d'une hypothèque. Pour récupérer les maisons, les banques doivent présenter un acte notarié. Incapables de retrouver les documents originaux - détruits ou perdus -, ni de reconstituer la chaîne de transmission de la propriété des hypothèques, plusieurs banques auraient décidé de fabriquer de faux papiers et les ont fait autoriser par des avocats sans scrupule (l'un d'eux affirme même en avoir autorisé 10 000 en un mois). Résultat : fouillis total à la grandeur du pays. Plusieurs banques se trouvent à réclamer la même maison, et des propriétaires se font évincer alors qu'ils ne devraient pas l'être.

    Scandaleux ? Attendez, le pire arrive. Selon un nombre croissant d'analystes, si les banques ont créé le système MERS (qui, rappelons-le, produit des documents peu détaillés sur l'hypothèque et l'emprunteur), ce n'était pas pour économiser quelques sous. C'était pour revendre en douce à des investisseurs des tonnes d'hypothèques frauduleuses (qui contenaient de fausses informations sur l'emprunteur, ou qui ne respectaient pas certaines conditions de base). Sans documentation suffisante, les acheteurs de ces produits ne pouvaient en vérifier correctement la qualité. On parle ici d'une fraude majeure, à l'échelle du pays.

    Si les faits - qui s'accumulent chaque jour - viennent confirmer cette théorie, les grandes banques feront face à une montagne de poursuites judiciaires. Elles perdront aussi leurs droits sur des milliers de maisons. Janet Tavakoli, experte de la finance aux Etats-Unis, parle d'une facture possible de plus de 700 milliards de dollars (505 milliards d'euros) pour les banques. En d'autres mots : la faillite pour plusieurs d'entre elles.

    Les contribuables américains n'accepteront jamais de payer encore une fois pour les banquiers. Surtout pas dans ce contexte. (Les politiciens, qui reçoivent des millions en contributions politiques de Wall Street, c'est une autre histoire...) Une telle incompétence, couplée à une intention criminelle, ne mérite qu'une chose : qu'on laisse ces banques faire faillite - de façon ordonnée - pour de bon. C'est d'ailleurs ce qu'on aurait dû faire il y a deux ans.

    David Descôteaux

     

    Associé à la chaire d'études politiques et économiques américaines de l'université de Montréal


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    L'argent dépensé d'avance

    Désormais, l'Insee calcule les "dépenses pré-engagées", celles sur lesquelles il n'est pas possible de faire des économies, parce qu'elles sont déterminées "par un contrat difficilement renégociable à court terme". Le loyer, bien sûr, et les charges locatives, le chauffage, l'électricité, mais aussi les cantines, les abonnements au téléphone (Internet inclus) et à la télévision, les assurances, les intérêts. Mais n'y figurent ni les traites (sauf les intérêts) ni les impôts (parce que le revenu du ménage est calculé après impôts). Autant dire que, dans nombre de cas, le seuil moyen des 20% du revenu monétaire est largement dépassé.


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  • L'économie après la mondialisation heureuse


    Le pilotage automatique a échoué ; reste à inventer le pilotage manuel

    Le G20, ou les incertitudes de la régulationAlors que la France va présider le G20, le surendettement, les effets pervers du krach de 2008, et les risquessystémiques planent toujours sur l'économie mondiale et compromettent la sortie de crise

    Comment expliquer la crise du système capitaliste et l'impossibilité présente des Etats ou du G20 à reprendre la situation en main ? Depuis 1980, la conjoncture internationale, à mesure qu'elle se globalise, semble devenir de plus en plus insaisissable. Pratiquement aucun économiste n'avait prévu la dépression de l'été 2008 ou n'est simplement en mesure de prédire la conjoncture à moins de trois mois.

    Fin 2010, alors que la croissance demeure atone aux Etats-Unis et dans la zone euro, bien peu d'experts sont véritablement en capacité de dire ce qu'il conviendrait de faire pour relancer l'économie. Le nouveau concept de " rilance " - rigueur d'un côté pour rassurer les marchés, relance de l'autre pour soutenir l'activité - ajoute à la perplexité.

    En fait, cette propagation rapide de la crise financière à la sphère économique n'est-elle pas due au processus de globalisation lui-même ? L'interdépendance recherchée et souhaitée entre la finance et l'ensemble de l'économie mondiale est aujourd'hui effective. En période de croissance forte, cette interdépendance est potentiellement porteuse de profits. Sans régulation, les inconvénients de ce modèle sont néanmoins nombreux : explosion des inégalités, consommation rapide des ressources naturelles, écart grandissant entre zones de production et zones de consommation aboutissant à une économie de flux.

    Or, aujourd'hui, les marchés auxquels nous avons confié notre avenir ne semblent plus en capacité d'assurer un bien-être collectif. La mondialisation " heureuse " n'existe plus. Elle n'est plus au bénéfice de tous mais seulement de quelques-uns. Sait-on que le commerce intra-firme représente, selon les experts, de un tiers à la moitié du commerce mondial aboutissant à produire à bas coûts ce que l'on peut vendre avec des marges élevées dans les pays développés ? La globalisation favorise l'expansion de certaines zones économiques - les pays émergents - au détriment de l'activité dans les pays développés et, dans une large partie, du monde en développement.

    Les grands opérateurs internationaux - firmes multinationales, spéculateurs et financiers - profitent de ce système, de cette distanciation entre zones de production et zones de consommation. Ils ont avantage à acheter à bas coûts dans les pays émergents et à vendre à prix élevés dans les pays développés. Une économie de flux s'est mise en place où chaque opérateur entend prélever sa dîme.

    Mais alors, comment réagir dans une telle conjoncture ? Comment retrouver un équilibre dans la répartition des richesses produites ? Est-il possible de réguler à nouveau l'économie mondiale en la mettant au service du développement humain de tous ? Tout retour en arrière est-il définitivement impossible ? Face à la crise de l'été 2008, les Etats ont tenté courageusement d'intervenir - stabilisation de la crise par la dépense publique - et les G20 de Washington et de Londres ont proposé de fixer de nouvelles règles - liste noire des paradis fiscaux, gouvernance des marchés financiers, dotation supplémentaire pour le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour aider les pays en difficulté.

    Toutefois, ces tentatives de reprise en main semblent avoir fait long feu. Les déficits des Etats se sont creusés et les marchés n'ont pas tardé à " doucher " cet interventionnisme jugé excessif et laxiste dont ils avaient été les premiers bénéficiaires. Via la dette souveraine qu'ils financent, les marchés imposent à nouveau la rigueur de peur de voir leurs créances souveraines se dévaloriser. Via le dogme intangible de la liberté pleine et entière du commerce international, ils bloquent toute velléité de régulation globale, immédiatement assimilée à du protectionnisme - la bête immonde - qui risquerait de limiter les flux. La main invisible doit rester insaisissable.

    Pour redonner un minimum de perspective aux générations futures, il faudrait s'accorder sur la mise en place d'un autre système économique, social et écologique où l'homme reprenne en main les manettes de son avenir, où la puissance publique ait à nouveau le droit d'intervenir en matière économique face au diktat des opérateurs économiques. Il faudrait surtout que les Etats, un à un, ou pris collectivement dans le cadre du G20, aient le courage de fixer de nouvelles règles économiques en se donnant les moyens de les faire respecter. Il faudrait enfin que les zones de production se relocalisent en partie à proximité des bassins de populations afin que l'économie se mette à nouveau au service de la satisfaction des besoins locaux.

    Le pilotage automatique de l'économie mondiale par les marchés n'est plus la solution, nous le savons. Il nous a conduits collectivement dans le mur. La loi des avantages comparatifs imaginée par l'économiste anglais David Ricardo (1772-1823) - tous les pays peuvent tirer avantage d'un commerce international ouvert - s'efface en faveur de la loi des avantages absolus qui privatise l'accumulation de richesses au profit des plus forts. Ne laissons pas de funestes augures nous faire croire qu'il conviendrait d'en faire encore un peu plus en matière de libéralisation. Cessons d'être dogmatiques et ayons le courage de regarder la réalité en face.

    Les démocraties doivent à nouveau faire entendre leurs voix en se donnant les moyens de saisir effectivement la main invisible du marché qui nous gouverne actuellement. Telle devrait être, en 2011, l'ambition de la présidence française du G20.

    Stéphane Madaule

    Essayiste, maître de conférences à Sciences Po Paris


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  • De lourdes incertitudes pèsent sur la croissance dans la zone euro

    Soutenue en Allemagne mais fragile dans d'autres pays, l'activité risque d'être freinée par les plans de rigueur

     

     

    Avis de brouillard sur la croissance en zone euro. Les nouvelles économiques en provenance des pays de la monnaie unique se succèdent, soufflant alternativement le chaud et le froid. Ainsi jeudi 28 octobre, la Commission européenne a indiqué que la confiance des chefs d'entreprise et des consommateurs de la zone euro avait atteint, en octobre, son plus haut niveau depuis décembre 2007.

    Pourtant, une semaine plus tôt, l'indice PMI révélait que la croissance de l'activité privée avait ralenti en octobre, pour le troisième mois consécutif. La reprise peut-elle caler ? Ou faut-il plutôt s'attendre à un atterrissage en douceur de la croissance européenne ?

    " On se trouve dans une période d'incertitude telle qu'on n'en avait pas connue depuis des décennies. Les indicateurs sont très confus, il est devenu extrêmement complexe de dire précisément où l'on va ", indique Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. Au rang des bonnes nouvelles, la croissance robuste de l'Allemagne, première économie européenne : Berlin prévoit désormais une progression du produit intérieur brut (PIB) de 3,4 % cette année. Le nombre de chômeurs vient de repasser sous la barre symbolique des 3 millions. Les exportations carburent, les salaires grimpent, la consommation repart doucement. Un cercle vertueux dont pourrait profiter le reste de la zone.

    Pressions diverses

    Et pourtant, " l'Europe ne se réduit pas à la situation allemande, tout comme on avait tort, il y a six mois, de la résumer à la situation de la Grèce ", insiste Bruno Cavalier, chef économiste de la société de Bourse Oddo. L'économie européenne est aujourd'hui soumise à des pressions diverses, susceptibles de peser sur la reprise. Les experts s'inquiètent notamment des effets sur la croissance de la remontée de l'euro. Une appréciation qui tombe mal, au moment où les pays de l'eurozone s'apprêtent à passer ensemble de la relance à la rigueur.

    Au début de l'été, " on espérait que le resserrement budgétaire serait atténué par la baisse de l'euro. Ce n'est plus le cas ", souligne Gilles Moëc, économiste chez Deutsche Bank. Après avoir dégringolé de 16 % en six mois par rapport au billet vert, dans le sillage de la crise grecque, la monnaie unique a regrimpé d'autant depuis juin. Elle semble servir de variable d'ajustement sur un marché des changes soumis à de fortes tensions et s'échange désormais entre 1,38 et 1,40 dollar.

    S'il se poursuit, ce rebond risque d'éroder sérieusement la compétitivité des produits de la zone euro, donc de pénaliser les exportations au moment où le commerce mondial s'essouffle. Et, par ricochet, de décourager les entreprises souhaitant investir et embaucher. Pour les experts, un euro à 1,40 dollar pourrait, l'an prochain, amputer la croissance de 0,5 %, tandis que les politiques de réduction budgétaire devraient peser sur la demande intérieure.

    Faut-il croire au risque de rechute ? " On ne doit pas le surestimer, mais il existe ", juge Jean-Michel Six, chef économiste Europe chez Standard & Poor's. Un tel scénario a, selon lui, 20 % à 25 % de chances de se réaliser, notamment en cas de nouveau choc outre-Atlantique. L'économie américaine envoie elle aussi des signaux contradictoires. " Les Etats-Unis ne sont pas sortis du bois, estime M. Six. Le marché immobilier va toujours mal. "

    Dans le doute, la plupart des experts prédisent une croissance molle en 2011... tout en soulignant qu'une moyenne ne signifie pas grand-chose tant les disparités sont fortes entre les pays : la zone euro offre un tableau plus contrasté que jamais, partagée entre la locomotive allemande, les pays du " peloton " tels la France et l'Italie, et ceux de la " périphérie " affichant une croissance atone.

    Cette hétérogénéité complique la tâche de la Banque centrale européenne (BCE). " Si elle définit sa politique monétaire en fonction d'une moyenne des pays, elle risque de mécontenter tout le monde, si elle prend l'Allemagne comme référence, elle risque de pénaliser les plus faibles ", décrit Bruno Cavalier.

    Hésitations et désaccords sont perceptibles au sein de l'institut d'émission européen. Ses choix seront pourtant déterminants pour la reprise. Trop de laxisme créerait des déséquilibres. Mais trop de rigueur accélérerait à coup sûr l'appréciation de l'euro. A fortiori au moment où la Réserve fédérale américaine (Fed) s'apprête, elle, à assouplir sa politique monétaire.

    Marie de Vergès


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