• Une crise déclenchée et entretenue par l’excès de liquidité (2/5)
    LA CRISE N'EST PAS FINIE - 2007-2010: voici trois ans que notre économie est en crise. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes étudie la période récente et nous livre son diagnostic: pour en sortir, il va falloir régler des problèmes structurels graves.

     

    Le mot important est «inutile». Il est impossible de comprendre l’origine de la crise bancaire, l’incroyable créativité en termes de produits financiers totalement désolidarisés de l’économie réelle si nous n’avons pas en perspective cette masse inconnue jusqu'alors, par son ampleur de liquidités auxquelles les banquiers ont trouvé des usages purement financiers. Rappelons des faits bien connus: l’accroissement des réserves de changes ces dernières années, principalement des pays exportateurs de pétrole ou de matières premières et des pays asiatiques, a été effectivement une première dans l'histoire économique mondiale. En effet, les réserves de changes, en un peu moins de cinq ans, ont pratiquement quintuplé. Ceci est à la fois l’illustration et l’origine de l'extraordinaire dynamique de l'économie mondiale, mais surtout de la non stérilisation de ces réserves.

    Ces réserves furent essentiellement investies en dettes libellées en dollars américains, d’un montant supérieur à 2.450 milliards de dollars, comme ce fut le cas pour la Chine qui, à elle seule, totalise encore près du quart des réserves de changes mondiales. Les prix des matières premières et du pétrole n’auraient jamais crû ainsi s’ils n’avaient été l’objet de bulles, c’est-à-dire d’argent inutile, puisque nous ne retrouvons pas un niveau d’investissements réels correspondant à cette hausse de prix qui est donc bien, pour partie, spéculative. Bien entendu, de nombreux autres actifs furent de véritables points d’accumulation de bulles permettant ainsi le développement des techniques financières, somme toute assez banales, comme les titrisations. Mais ce qui fut moins banal, c'est que les titrisations, qui en elles-mêmes sont des techniques utiles, n’ont pas été développées pour alléger réellement les bilans des banques et générer des fonds propres permettant ainsi des formes de crédits plus utiles pour les économies. C’est même l’inverse qui s’est produit. Prenons l’exemple le plus incroyable: les banques ont créé, pour relancer les titrisations, des véhicules spécifiques, les SIV (Special Investment Vehicles). Et bien sur certains plans,  les SIV furent liés à des titrisations exclusivement investies en CDS (Credit Default Swap) , c'est-à-dire des dérivés de crédit. Cela fut un exemple parfait d’un détournement de procédures.

    Le basculement des économies dans la crise fut la conséquence du caractère insensé de cette création de liquidités. Trop de liquidités incontrôlées et largement inutiles entraînèrent à un moment déterminé une véritable panique bancaire, le gel des positions des uns et des autres, la cessation des transactions entre institutions financières prises individuellement, et, au final, une crise de liquidités. Sur ce plan-là, la crise financière actuelle est très originale puisque c’est la première fois que les primes de risques augmentent considérablement avant les défaillances des entreprises. Ceci est le reflet d’une restriction considérable de la liquidité sur les marchés du crédit bien plus qu’une dégradation importante des fondamentaux des entreprises. Ce n’est qu’après, vraisemblablement à la fin du printemps 2008, que les entreprises connurent un véritable choc sur leur trésorerie, puis leur capacité de financement et finalement, par effet systémique, sur leurs carnets de commandes. Ensuite, nous constatâmes une augmentation généralisée des primes de risques dans le secteur des entreprises. Le résultat est connu. Les Etats-Unis et la zone euro plongèrent dans la récession. On pourrait en tirer une conclusion d’évidence: il est désormais prioritaire de repenser complètement le circuit de financement de manière suffisamment efficace, largement non bancaire, pour éviter que cette récession ne se transforme complètement en crise. Pour résumer, la crainte générale est celle d’une transmission de ces difficultés de liquidités au crédit. Cette crainte n’est pas inventée. Il existe un caractère simultané de la baisse de la croissance, de la hausse des faillites et de celle des spreads. Le cycle cumulatif à la baisse est malheureusement en marche. On le remarque notamment dans l’économie américaine qui fut la première victime de l'excès de liquidités. Chacun le sait, l’économie américaine se développa artificiellement par un excès d’endettement de tous les acteurs économiques. Ceci concernait tous les agents: l’Etat fédéral, les ménages via les prêts hypothécaires et donc les banques, et enfin la titrisation des crédits aux ménages ou aux entreprises. Ce mécanisme permit d’auto-entretenir ce cycle d’endettement jusqu’à la crise des subprimes de l’été 2007.

    Jean-Hervé Lorenzi

    Lien : La guerre des monnaies, dernière étape de la crise


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  • Réforme des retraites, les fausses évidences

     

    Repousser l'âge légal de la retraite va-t-il permettre d'allonger la durée de la vie active ? En France, cette affirmation, qui semble aller de soi, pourrait bien être une fausse évidence. Pourtant elle est répétée à l'envi par tous les responsables du gouvernement pour justifier la réforme.

    Dans notre pays, en effet, l'âge de liquidation de la retraite, dont il est uniquement question avec les reports prévus à 62 ans et 67 ans, est nettement déconnecté de l'âge effectif de sortie du marché du travail. L'âge médian de sortie du marché du travail stagne à 58 ans depuis 2003 (58,9 ans en 2010), alors que l'âge moyen de liquidation de la retraite a progressé sur la même période et se situe à 61,6 ans.

    Ainsi 40 % des personnes qui font valoir leur droit à la retraite ne sont déjà plus en activité. Durant les deux ans et demi qui les séparent de l'entrée dans le système de retraite, elles sont prises en charge par l'Assurance-chômage ou des minima sociaux en attendant de pouvoir liquider leur retraite. On peut donc s'interroger sur les bénéfices financiers d'une réforme qui consiste à transférer pour partie les coûts du système de retraite vers d'autres dépenses sociales.

    Ce constat remet en question l'assimilation qui est faite par le gouvernement entre âges légaux de la retraite et âge de sortie du marché du travail. Or, l'équilibre financier du système de retraite repose avant tout sur la capacité que la réforme envisagée aura de retarder l'âge effectif de sortie d'activité. Car allonger la vie active procure un double dividende en matière de financement des retraites puisque, simultanément, le nombre de cotisants actifs est majoré alors que diminue d'autant le nombre de pensionnés.

    On est donc conduit à émettre des doutes sérieux sur la pertinence des paramètres retenus par le gouvernement. Quant aux finalités de la réforme, elles constituent une évidence assez largement partagée, tant dans le pays qu'au niveau européen. L'objectif adopté par le Conseil européen de Stockholm en 2001 d'atteindre au moins le minimum de 50 % de la tranche d'âge des 55-65 ans en emploi en 2010 n'avait pas d'autre visée que de préparer les pays membres au vieillissement de leurs populations tant au niveau de leur compétitivité que de l'équilibre des comptes sociaux.

    Seniors, le retard français

    Hélas, la réforme des retraites de 2003 ainsi que le Plan d'emploi senior de 2006 n'ont pas permis à la France d'accomplir des progrès significatifs en ce domaine : notre pays reste en queue de peloton. Le taux d'emploi des 55-64 ans stagne à 39 % en 2010, contre 48 % pour la moyenne de l'Europe. Depuis 1996, on enregistre une progression de seulement 30 % de ce taux contre + 64 % pour la Finlande et + 84 % aux Pays-Bas. Le taux d'emploi des 60-64 ans ne dépasse pas 17 %, contre 39 % pour la moyenne européenne.

    Contrairement à ce qui est affirmé, le principal retard français ne réside donc pas dans des âges d'ouverture des droits à retraite, qui seraient les plus bas d'Europe. Ainsi la réforme des retraites adoptée en Finlande en 2005 a maintenu à 60 ans l'âge plancher d'ouverture des droits. La Suède l'a fixé à 61 ans, alors que 70 % des Suédois sont encore en activité entre 55 et 65 ans. Ces deux pays ont opté pour une retraite choisie à partir d'un âge plancher d'ouverture des droits et mis en oeuvre des mécanismes pour inciter à la prolongation d'activité de type " surcote ". Ils ont supprimé tout âge légal standard de la retraite.

    Le retard français tient, en premier lieu, à un âge effectif de sortie du marché du travail extrêmement précoce et notablement inférieur à l'âge d'ouverture du droit à retraite. Cette réalité persistante apporte la preuve que les freins à l'emploi ne sont pas principalement d'ordre légal. Ils relèvent de politiques de formation, du travail et de l'emploi inadaptées au contexte du vieillissement de la main-d'oeuvre. Il serait donc urgent de permettre aux seniors de durer en emploi en rendant le travail soutenable, et de convaincre les entreprises que les seniors peuvent être autre chose qu'une variable d'ajustement de leur masse salariale.

    Une autre réforme des retraites est possible et souhaitable qui ne demeurerait pas confinée aux paramètres d'âge d'ouverture des droits mais s'attacherait aussi à lever les freins à la prolongation de l'activité des seniors dans notre pays. La seule réforme efficiente est celle qui avance sur ses deux jambes : emploi et retraite.

    La réforme adoptée en l'état pourrait bien déboucher, contrairement à ce qui est annoncé, à l'extension d'une période de précarité en fin de vie active, comparable à celle réservée aux jeunes en début de vie de active, au lieu d'aboutir à un allongement de la durée de la vie de travail.

    Anne-Marie Guillemard

    Sociologue,auteur des " Défis du vieillissement ", Armand Colin, 360 p., 33,40 euros


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  • Le point de vue des chroniqueurs de l'agence économique Reuters Breakingviews

    Le sauvetage financier de la Californie ne passera pas par la marijuana

     

    Les rentrées financières qu'espère la Californie avec la marijuana pourraient bien s'évanouir en fumée. Les électeurs de cet Etat américain, extrêmement endetté, diront la semaine prochaine s'il faut ou non légaliser la possession en faible quantité de marijuana, autoriser les particuliers à en cultiver ou encore laisser aux pouvoirs locaux la responsabilité de décider de l'existence et des modalités de son commerce. Les enjeux financiers sont énormes.

    L'Etat californien estime à 1,4 milliard de dollars (1,01 milliard d'euros) le produit sur les ventes et les taxes que la marijuana lui rapporterait. Les amateurs de drogue comme les créanciers de l'Etat sont très favorables à l'adoption d'un tel texte, mais même si ladite motion était adoptée, la réalité pourrait rester en deçà de leurs attentes.

    Déjà, il n'est pas certain que les électeurs approuveront ce texte. Les récents sondages indiquent que les opinions défavorables sont en train de prendre le dessus, même s'il faut considérer ces chiffres avec prudence, car il n'est jamais facile de déclarer que l'on est favorable à la dépénalisation d'un délit.

    Le département de la justice a par ailleurs signifié qu'il entendait continuer à faire respecter la loi fédérale, quel que soit le résultat du scrutin. Le gouvernement américain peut déclarer illégal le commerce de la drogue en Californie et y envoyer des agents pour arrêter ceux qui collecteraient des taxes sur les ventes. Il peut aussi porter l'affaire devant les tribunaux pour empêcher les autorités californiennes de délivrer des licences de culture et de commercialisation. Mais l'Etat fédéral n'a pas d'assez d'agents pour démanteler toute la filière sans l'appui de la police locale : ses résultats ne seraient donc que partiels.

    Grand référendum

    La motion soumise au vote ne contribuera pas non plus à statuer plus clairement sur la possession de drogue. Cette année, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, a déjà avalisé un texte qui a rétrogradé la détention de moins d'une once de la qualité de délit mineur à celle de simple infraction. La punition par une amende de 100 dollars est maintenant identique à celle sanctionnant une infraction au code de la route.

    En fait, le plus grand référendum jamais organisé sur la marijuana est en train de tourner au fiasco, même si les partisans du texte rassemblent très large, des adolescents fumeurs de marijuana au milliardaire George Soros. Légaliser la marijuana et la frapper de taxes aurait l'avantage de créer des recettes, de se débarrasser de lois régulièrement bafouées, ainsi que de diminuer la criminalité et les trafics associés. Mais les enjeux sanitaires et sociaux ne sont pas minces.

    Sur breakingviews.com

    Robert Cyran

    (Traduction de Christine Lahuec)

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