• Bill gates, une charité bien ordonnée  

    Avec le Giving Pledge, le fondateur de Microsoft veut inciter les milliardaires du monde entier à investir leur fortune dans des œuvres sociales. La démarche est généreuse mais cache, peut-être, une autre façon d’exercer son pouvoir…

    Tout a commencé par un dîner secret. Le mardi 5 mai 2009, à New York. Ce jour-là, à l’initiative de Bill Gates et de Warren Buffett, 11 milliardaires totalisant entre 120 et 130 milliards de dollars d’actifs personnels, dissertent dans l’intimité de la maison du président, à la Rockefeller University, au cœur de Manhattan. Le débat du jour : la philanthropie peut-elle contribuer à remodeler le monde ? Et, si oui, de quelle manière ?A dire vrai, des personnalités comme George Soros, Michael Bloomberg, John Rockefeller Sr. et bien sûr Bill Gates et Warren Buffett, sont déjà des spécialistes de l’action charitable. Avec de 3 à 4 milliards de dollars de dons utilisés chaque année, la Bill & Melinda Gates Foundation est, de loin, la fondation la mieux dotée de la planète. Et ce n’est pas fini… Le fondateur de Microsoft et sa femme sont en effet bien décidés à continuer à l’alimenter avec la quasi-totalité de leur fortune. Soit une bonne cinquantaine de milliards de dollars à venir. Warren Buffett, lui aussi, a promis qu’il céderait l’essentiel de sa richesse (au moins 30 milliards de dollars) à cette même fondation.

    Une promesse de don

    Mais tous les grands milliardaires de la planète ne sont pas (encore) aussi généreux. D’où cette fameuse réunion de New York, destinée à trouver un moyen de mobiliser pour la bonne cause le plus de donateurs possible à travers le monde. Tous ensemble, espèrent ces riches décideurs, ils seront plus efficaces pour solutionner quelques-uns des grands problèmes de la planète, comme la faim dans le monde, l’éradication de maladies anciennes du type malaria ou tuberculose…Vaste programme, mais tous les espoirs sont permis, tant les poches de ces personnalités semblent profondes. Et paradoxalement peu sollicitées : car même aux Etats-Unis – le pays le plus généreux en matière de charité publique avec environ 300 milliards de dollars de dons annuels –, les plus riches contribuent encore peu, au regard de leurs fortunes respectives. Selon un calcul effectué par le magazine « Fortune », les 400 plus gros contribuables américains, représentant à eux seuls 138 milliards de dollars imposables, n’ont consacré en 2007 que 8 % de ce montant (11 milliards de dollars) à des donations. Souvent avec le souci de payer moins d’impôts. Bill Gates estime, lui, que seuls 15 % des Américains les plus riches consacrent une part significative de leur fortune à des œuvres philanthropiques.Comment inciter les autres à le faire ?« L’objectif était de proposer quelque chose de très simple, qui ne soit surtout pas un contrat impliquant des avocats. Juste un engagement moral, mais public », a expliqué, depuis, Warren Buffett.Il a fallu plusieurs autres dîners pour finaliser le projet. C’est au cours de l’un d’eux, organisé à Palo Alto, en Californie, par un milliardaire du capital-risque, Ray Lane (devenu le mois dernier le président non exécutif de Hewlett-Packard) qu’a germé l’idée du fameux Giving Pledge (promesse de don).Annoncée le 6 août dernier, cette initiative regroupe déjà 40 milliardaires qui s’engagent, via une lettre signée et disponible sur le site www.givingpledge.org, à consacrer au moins la moitié de leur fortune à la philanthropie. Si possible de leur vivant.Un simple engagement moral. Mais les initiateurs du projet en sont convaincus : une fois le pas franchi publiquement, aucun des milliardaires ne pourra se permettre de reculer.Pour tous ceux qui l’ont déjà signé, c’est l’occasion de montrer ce qu’ils font déjà. Pour certains, comme Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, l’engagement était peu connu. Dans sa lettre de quelques lignes seulement, il révèle avoir depuis longtemps placé l’essentiel de sa fortune dans un fonds dont la vocation est d’apporter« 95 % des sommes engagées à des causes charitables ».George Lucas, le réalisateur de « La Guerre des étoiles », est plus disert. Dans une véritable profession de foi, il révèle qu’il consacrera l’essentiel de sa fortune à une meilleure éducation des jeunes. Son engagement est lui aussi ancien : cela fait vingt ans déjà qu’il anime la George Lucas Educational Foundation, dont l’objectif principal est d’améliorer les méthodes d’enseignement, grâce aux technologies de l’information.« Renforcer le niveau éducatif de nos enfants sera décisif pour la survie de l’humanité », assène-t-il. Rien de moins.

    Pouvoir et influence

    Pour faire avancer leur cause, ces 40 « super-philanthropes » souhaitent naturellement que leur club s’élargisse. Bill Gates a donc déjà repris son avion, notamment vers l’Asie, pour convaincre des milliardaires chinois et indiens de rejoindre le « Giving Pledge », afin de lui donner une dimension plus internationale. Sans grand succès pour le moment… Mais qu’importe. Le deuxième homme le plus riche du monde prend d’autant plus à cœur ce rôle d’évangéliste qu’il va à la rencontre de gens qu’il connaît et qui lui ressemblent. Le plus souvent des self-made-men ayant fait fortune eux-mêmes, a priori davantage prêts à se séparer de leur fortune que ceux qui en ont hérité. C’est lui qui le dit.Leur motivation principale viendrait du fait qu’ils échangent finalement de l’argent contre du pouvoir et de l’influence.« Ce modèle de philanthropie est basé sur des résultats concrets et sur le fait que les donateurs peuvent contrôler les actions et les résultats des causes auxquelles ils se consacrent », décrypte Matthew Bishop, coauteur de « Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World ».« Par exemple, il y a encore cinq ans, personne ne pensait sérieusement que l’on pourrait prochainement éradiquer la malaria, alors que l’ONU y travaille depuis quarante ans. Pourtant, Bill Gates est parvenu à assembler une coalition regroupant des gouvernements, de grandes multinationales de la santé et plusieurs ONG afin que des actions concrètes soient mises en place, en plus des financements qu’il apportait. Aujourd’hui, grâce à ces actions, on considère que la malaria pourra bel et bien être vaincue dans le monde avant la fin de la décennie. »Ce qu’explique Bill Gates à ses pairs, c’est que, avec ce capitalisme philanthropique, ils pourront continuer d’appliquer des recettes familières, celles qui leur ont permis de s’enrichir : suivre des stratégies de type capital-risque, recourir à des techniques de management et des outils technologiques pour mesurer les « performances » de leurs investissements, etc. Sans oublier qu’ils peuvent continuer à se servir de leurs puissants réseaux relationnels pour ces actions nouvelles.

    De l’opacité au népotisme

    Si personne ne peut critiquer en soi le concept de capitalisme philanthropique, ni reprocher à Bill Gates une initiative telle que le Giving Pledge, certains commencent néanmoins à s’inquiéter du phénomène. En pointant le danger qu’il y aurait à orienter l’essentiel des dons vers des fondations constituées – et souvent pilotées – par ces milliardaires eux-mêmes. L’influence et le pouvoir qu’ils en retirent« pourraient avoir un effet perturbateur sur le fonctionnement de la démocratie », estime ainsi Christopher Caldwell, éditorialiste du « Financial Times ». D’autres s’interrogent aussi sur le fait que des sommes de plus en plus importantes puissent être gérées par des structures finalement opaques, échappant à tout contrôle – contrairement aux grandes entreprises qui réalisent des chiffres d’affaires comparables mais sont contraintes à un minimum de transparence. Certains soulignent également le risque de népotisme inhérent à ce type de structure : une fondation peut très bien servir à verser des salaires importants à des membres de sa famille ou des amis…Viennent enfin les critiques de fond. Si certaines fondations, comme celle de Bill Gates, deviennent « trop riches », elles pourraient devenir, de fait, la seule source de financement de certaines causes. Avec l’inconvénient paradoxal de ne pouvoir distribuer autant d’argent que s’il venait de plusieurs sources. Bill Gates, lui-même, reconnaît que sa fondation reste une « minuscule » structure et donc qu’elle ne peut dépenser autant qu’il le souhaiterait.Pour autant, cela ne l’empêche pas de jouer déjà un rôle important dans la société américaine.« Parce qu’il a déjà donné plus de 650 millions de dollars à des écoles ou des organismes éducatifs publics qui partagent ses idées sur la façon d’éduquer les enfants, certains estiment qu’il est le ’vrai’ ministre de l’Education », résume Matthew Bishop. Son influence s’étend donc jusqu’à la sphère politique, et ce n’est certainement qu’un commencement.D’une façon générale, le Giving Pledge risque de modifier en profondeur la conception de la philanthropie dans le monde, et les spécialistes du sujet estiment indispensable une réflexion nouvelle sur son rôle et ses missions. Aux Etats-Unis, la philanthropie telle qu’elle se pratique depuis quarante ans est le fruit d’un vaste débat de société, qui a eu lieu en 1969, et a abouti à une grande réforme fiscale. Aujourd’hui, l’essor du phénomène nécessite sans doute un nouveau débat dans le pays, sous l’égide du gouvernement américain. A en croire Bishop, le moment serait d’autant plus propice que« Barack Obama est le président américain le plus favorable à un partenariat avec la philanthropie capitalistique depuis longtemps »…

    Michel Ktitareff à Palo Alto

    Bill Gates, le visionnairede l’informatique sur  lesechos.fr/diaporama Convaincu de la nécessité de donner une dimension plus internationale au programme Giving Pledge, Bill Gates a pris son bâton de pèlerin. Comme ici, en juin, au Mexique.bloomberg


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  • Les options du Japon

    Joseph S. Nye


     

    TOKYO – Les actuelles tensions entre la Chine et le Japon ont relancé le débat sur l’ampleur du naufrage japonais depuis les années de gloire dans les années 80. Dans la mesure où ce déclin est ancré dans une réalité, le Japon peut-il rebondir ?

    L’économie du Japon  a traversé deux décennies de croissance apathique résultant des mauvaises mesures politiques adoptées à la suite de l’éclatement de la bulle financière massive du pays au début des années 90. En 2010, l’économie de la Chine a surpassé celle du Japon en taille globale, bien qu’elle ne représente qu’un sixième de celle du Japon lorsque ramenée par habitant. En 1988, parmi les dix premières entreprises mondiales en terme de capitalisation boursière, huit étaient Japonaises. Il n’y en a plus aucune aujourd’hui.

    Mais, malgré ces mauvaises performances, le Japon garde d’impressionnantes ressources de pouvoir. Il possède la troisième économie mondiale, des industries pointues et l’armée conventionnelle la mieux équipée des pays asiatiques.

    Il y a à peine vingt ans, de nombreux Américains craignaient d’être doublés par le Japon lorsque son revenu par habitant avait dépassé celui des Etats-Unis. Tous prédisaient un bloc pacifique mené par le Japon qui exclurait les Etats-Unis et envisageaient même l’éventualité d’une guerre entre les deux pays. La prévision du futurologue Herman Kahn était que le Japon deviendrait une super puissance nucléaire et que l’évolution du rôle du Japon serait identique au « changement apporté dans les relations européennes et mondiales par l’ascension de la Prusse dans les années 1870. »

    Ces prévisions extrapolaient sur un impressionnant état de service japonais. Aujourd’hui, cependant, elles devraient nous rappeller le danger de projections linéaires basées sur des ressources de pouvoir au développement rapide.

    A la veille de la deuxième guerre mondiale, le Japon représentait 5% de la production industrielle mondiale. Dévastée par la guerre, elle n’a plus retrouvé ce niveau jusqu’en 1964. De 1950 à 1974, le Japon a connu une remarquable croissance annuelle de 10% et dans les années 80, il était la deuxième économie nationale mondiale, comptant pour 15% de la production globale.

    Le Japon était aussi devenu le plus important créancier du monde et le plus grand pourvoyeur d’aide internationale. Sa technologie était globalement équivalente à celle des Etats-Unis – et même en avance dans certaines branches manufacturières. Le Japon a limité son armement (réduisant ses dépenses militaires à environ 1% du PIB), et s’est concentré sur la croissance.

    Ce n’était pas la première fois que le Japon s’était totalement réinventé. Un siècle et demi en arrière, le Japon devint la première nation non occidentale à s’adapter avec autant de succès à la globalisation moderne. Après des siècles d’isolation, la restauration Meiji fut très sélective par rapport au reste du monde et, en moins de 50 ans, le pays était devenu suffisamment fort pour défaire une grande puissance européenne dans la guerre russo-japonaise.

    Le Japon peut-il encore se réinventer ? C’est justement ce que demandait en 2000 une commission du cabinet du Premier ministre sur les objectifs du Japon pour le XXIème siècle. Mais peu de choses furent réalisées. Compte tenu de la stagnation économique, des faiblesses du système politique, du vieillissement de la population et des réticences par rapport à l’immigration, il sera difficile de parvenir à un changement fondamental.

    Mais le Japon conserve encore un standard de vie élevé, une force de travail hautement qualifiée, une société stable et certains secteurs technologiques et manufacturiers de pointe. En outre, sa culture (à la fois traditionnelle et populaire), l’assistance au développement à l’étranger, et le soutien des institutions internationales lui confèrent encore une puissance douce, et séduisante.

    Mais il semble peu probable qu’un Japon revitalisé, d’ici dix ou vingt ans, devienne un compétiteur économique ou militaire global, ainsi que le prévoyaient les observateurs il y a vingt ans. D’une taille comparable à celle de la Californie, le Japon n’aura jamais l’envergure géographique ou démographique de la Chine ou des Etats-Unis. Et sa puissance douce est entravée par des politiques et des attitudes ethnocentriques.

    Certains hommes politiques japonais parlent de réviser l’Article 9 de la constitution, limitant les forces d’auto-défense du pays, et certains ont évoqué l’armement nucléaire. Ces deux propositions semblent déraisonnables et improbables aujourd’hui.

    Par contre, si le Japon devait s’allier avec la Chine, les ressources des deux pays constitueraient une puissante coalition. En 2006, la Chine devint le plus important partenaire commercial du Japon et le nouveau gouvernement formé par le Parti Démocratique du Japon en 2009 s’est attelé à améliorer les relations bilatérales.  

    Mais cette alliance est improbable. Non seulement les blessures des années 30 ne sont pas refermées, mais la Chine et le Japon ont des visions divergentes quant à la juste place du Japon en Asie et dans le monde. La Chine s’est par exemple opposée à ce que le Japon obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies.

    Plus récemment, après l’arrestation du capitaine d’un bateau de pêche chinois par les autorités maritimes japonaises près des îles très disputées de Senkaku, la Chine répondit brutalement par l’arrestation d’hommes d’affaires japonais, l’annulation de voyages d’étudiants et la suspension des exportations de minéraux de terre rares dont dépendent certaines industries primordiales japonaises.

    L’attitude de la Chine a choqué de nombreux Japonais et sapé sa puissance douce au Japon. Un professeur japonais a d’ailleurs résumé la chose en termes footballistiques en disant que la Chine avait marqué « contre son camp ». Dans la très improbable hypothèse que les Etats-Unis se retirent de l’Asie de l’est, le Japon pourrait rejoindre la locomotive chinoise ; mais il est plus probable que le Japon préservera son alliance américaine pour conserver son indépendance vis-à-vis de la Chine.

    Le principal danger pour le Japon aujourd’hui est une tendance à se refermer sur lui-même plutôt que de chercher à devenir une puissance civile globale qui réaliserait son large potentiel en fabriquant des produits publics globaux. Le Japon a réduit son budget d’assistance et moitié moins d’étudiants japonais étudient à l’étranger qu’il y a vingt ans. Un Japon introverti  constituerait une perte pour l’ensemble de la planète.
     

    Joseph Nye, ancien vice-secrétaire d’état à la défense, est professeur d’université à Harvard. Son prochain ouvrage The Future of Power (L’avenir du pouvoir, ndt) doit paraitre en février 2011.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

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  • Pays émergents et tsunami de capitaux

    Nouriel Roubini


     

    NEW-YORK – Depuis des décennies les flux de capitaux en direction des pays émergents suivent un mouvement de yoyo. L'année dernière il y a encore eu un phénomène de ce genre avec l'arrivée massive de capitaux, de titres et d'investissements à revenu fixe sur les marchés émergents supposés avoir de bons fondamentaux macroéconomiques, financiers et politiques.

    Ce véritable tsunami tient à des facteurs cycliques à court terme (les différentiels de taux d'intérêt et un flot de liquidité à la recherche d'actifs à haut rendement, en raison de taux d'intérêt quasiment nuls et de la poursuite des mesures de relâchement monétaire qui réduisent les opportunités dans les pays avancées aux économies atrophiées). Mais des facteurs séculaires interviennent aussi : le différentiel de croissance à long terme entre pays émergents et pays avancés, la tendance croissante des investisseurs à étendre leur activité à de nouveaux marchés et l'attente de l'appréciation à long terme des devises des pays émergents (en terme nominal et en terme réel).

    Au vu de ces éléments, la question clé qui se pose aux pays émergents est de savoir comment faire face à ce flux de capitaux qui va inéluctablement pousser à la hausse leur devise et menacer leurs exportations qui sont le moteur de leur croissance.

    La première solution est de ne rien faire et de laisser leur monnaie s'apprécier. C'est peut-être un bon choix si l'arrivée des capitaux et la pression à la hausse sur leur devise tiennent à des facteurs fondamentaux (un excédent des comptes courants, une devise sous-évaluée, un différentiel de croissance important et persistant).

    Mais, l'arrivée de capitaux tient souvent à des facteurs à court terme, une exubérance irrationnelle ou un engouement passager, qui peuvent conduire à une surévaluation de la monnaie, à la mise en difficulté des nouveaux secteurs qui se lancent dans l'exportation et des secteurs d'importation non-concurrentiels, ainsi qu'à une perte de compétitivité. En conséquence le déficit des comptes courants peut se creuser dangereusement et limiter la croissance.

    Ce problème est exacerbé du fait que le premier exportateur mondial, la Chine, intervient agressivement pour limiter toute appréciation du renminbi. Si elle ne change pas de politique, les autres pays émergents vont sans doute s'aligner sur elle pour ne pas perdre en compétitivité.

    Laisser une devise s'apprécier a un coût, aussi la deuxième solution consiste à intervenir sur le taux de change en vendant des réserves. Cela permet de contenir la pression à la hausse du taux de change, mais nourrit la bête, car cette intervention attise encore la surchauffe des marchés. Il en résulte inflation et hausse excessive du crédit, susceptibles d'entraîner de dangereuses bulles des actifs.

    La troisième solution consiste également à intervenir sur le taux de change, mais en neutralisant son impact sur la base monétaire - ce que l'on appelle une intervention stérilisée. Cela évite l'inflation et l'augmentation du crédit, mais du fait qu'elle maintient le différentiel des taux d'intérêt à un niveau élevé, cette politique entretient le flux de capitaux des pays avancés à taux d'intérêt faible vers les pays émergents à taux d'intérêt élevé, ce qui contribue au problème qu'elle était supposée régler.

    La quatrième solution consiste à contrôler les capitaux entrants (ou à déréglementer leur sortie).  Si on laisse de coté la question de savoir si ce type de contrôle peut être contourné, l'expérience montre que le contrôle de l'entrée des capitaux spéculatifs n'a guère d'incidence sur le flux de capitaux. Aussi, il ne permet pas de réduire la pression cyclique à la hausse à court terme sur la monnaie.

    La cinquième solution est de réduire le déficit budgétaire pour pousser à la baisse les taux d'intérêt d'un niveau élevé qui attirent les capitaux. Mais du fait de l'amélioration de la balance extérieure et de la baisse du risque souverain, une politique budgétaire assainie risque d'attirer les capitaux.

    Une sixième solution – notamment quand un pays a réalisé une intervention partiellement stérilisée pour empêcher une appréciation excessive de sa monnaie – consiste à réduire le risque d'une bulle du crédit ou des actifs en imposant un contrôle prudentiel du système financier. Il s'agit d'éviter une croissance excessive du crédit que provoquerait sans cela une intervention sur le taux de change. Néanmoins, le contrôle direct de la croissance du crédit, s'il est nécessaire, est souvent imparfait et guère contraignant.

    La dernière solution consiste en une intervention stérilisée permanente et à grande échelle  - ou encore, ce qui est revient au même, au recours à des fonds souverains ou à d'autres mécanismes de stabilisation budgétaire – de manière à accumuler les actifs étrangers nécessaires pour compenser les effets de l'entrée à long terme de capitaux sur la valeur de la monnaie. L'avantage de cette solution est d'agir sur les facteurs à long terme qui jouent un rôle important dans l'arrivée des capitaux, au moment où les investisseurs des pays avancés réalisent qu'ils ne sont pas en bonne position en terme d'actifs sur les marchés émergents et qu'ils réduisent leur portefeuille de valeurs domestiques.

    En général une intervention stérilisée échoue : si les actifs des pays avancés et émergents sont interchangeables, les flux de capitaux entrants se maintiennent aussi longtemps que les différentiels de taux d'intérêt persistent. Mais la demande pour les actifs des pays émergents n'est pas sans limite et ne peut remplacer celle concernant les actifs des pays avancés – même à différentiel de taux d'intérêt donné – car les risques de liquidité et de crédit liés à ces actifs ne sont pas les mêmes.

    Autrement dit, à moment donné une intervention stérilisée persistante sur le marché des changes à hauteur de plusieurs points de pourcentage du PIB devrait permettre de répondre à la demande supplémentaire pour des actifs des pays émergents et arrêter l'arrivée de capitaux, même si le différentiel de taux d'intérêt persiste. Comme la stérilisation suscite l'émission d'actifs domestiques, les investisseurs au niveau international peuvent diversifier leur portefeuille sans que cela ne provoque une appréciation excessive de la monnaie, avec tous les inconvénients que cela entraîne pour les pays émergents.

    Certes, il ne faut pas empêcher systématiquement l'appréciation de la monnaie. Quand c'est justifié par les fondamentaux économiques, il est préférable de laisser le taux de change monter progressivement. Mais si l'appréciation d'une monnaie est due à un flux de capitaux qui résultent de la volonté de diversification des investisseurs des pays avancés, les pays émergents peuvent et doivent y résister.

    Nouriel Roubini est professeur d'économie à l'université de New-York (Stern School of Business, NYU) et président de Roubini Global Economics. Cet article résume une étude intitulée How Should Emerging Markets Manage Capital Inflows and Currency Appreciation ( http://www.roubini.com/analysis/137656.php).

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  • IL SERAIT VAIN DE VOULOIR GOUVERNER UN EMPIRE SUR LEQUEL LE SOLEIL NE SE COUCHE JAMAIS !


    Voilà qu’avec le sommet du G20 va être célébrée la grand-messe de la mondialisation à l’occasion de laquelle devraient être consacrées les lois d’une bonne gouvernance mondiale !

    La mondialisation est devenue un champ de bataille sur lequel s’affrontent tenants et opposants, affligés tous qu’ils sont dans ce domaine – comme dans beaucoup d’autres- du syndrome du thermostat.
    Ils manipulent en effet cet instrument complexe de la mondialisation de la même façon que beaucoup d’entre-nous manipulent le thermostat en n’en reconnaissant que les positions extrêmes.

    Les inconditionnels de la mondialisation clament : « Tout et tout de suite ! », « Rien et jamais ! » s’insurgent les opposants.
    Les premiers n’ont jamais clairement défini ce qu’ils entendent par cette mondialisation à laquelle s’opposent les seconds.

    Il faut bien reconnaître que les premiers entendent que la mondialisation ne soit qu’un processus d’ouverture des économies nationales sur un marché planétaire. L’Homme étant sans importance, le processus doit être instantané quelles qu’en soit les conséquences sociales.

    Les seconds s’opposent à la mondialisation dans la mesure où elle n’est pas, avant toute autre chose, cet objectif vers lequel devrait tendre l’humanité d’assurer l’épanouissement de l’Homme par la communication et l’échange entre individus dans le respect des différentes cultures.

    L’ineffable concept de développement dit durable est l’outil, parfait utilisé par les premiers pour parvenir à leurs fins, ses composantes sont dans l’ordre des priorités : l’Économie, l’Environnement et le Social

    Ne serait-il pas plus raisonnable, ce développement étant qualifié d’autoporteur, que sa seule composante soit le Social, de façon à atteindre le parfait épanouissement de l’Homme, l’Économie n’étant que l’outil pour y parvenir, mis en ½uvre dans le respect de l’Environnement ?

    Mais ne serait-ce pas la soif de pouvoir de maints de nos gouvernants qui, au travers de cette mondialisation effrénée, leur fait rechercher les secrets d’une gouvernance mondiale qui ne saurait porter que sur l’Économie ?
    N’oublient-ils pas le malheureux dans leur conception uniquement matérialiste de la gouvernance, qu’il sera éternellement vain de vouloir gouverner un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais ?

    Joseph Staline se prélasse à Sotchi au lever du soleil. Il est un peu surpris, mais pas trop quand même, que l’astre du jour s’adresse humblement à lui.
    « Oh grand Staline sais-tu à quel point je t’admire ? Tu es un homme merveilleux, un grand chef, un petit père adorable pour le peuple qui t’aime tant. Permets que ma modeste lumière éclaire ton merveilleux empire je te promets de ne pas te porter ombrage. ».
    « Mais oui camarade soleil, toutefois ne t’attarde pas trop dans certains recoins où il n’y a rien d’intéressant pour toi, d’ailleurs je te ferai surveiller. ».

    Le soir est venu Staline avide de compliments et de flatteries revient se prélasser sur la plage.
    Le soleil ne dit rien, il l’interpelle donc : « Dis donc camarade soleil t’aurait-on coupé la langue que tu ne dis plus rien, ou as-tu oublié de me faire louanges et compliments que je mérite tant ? » « Que non ! mais maintenant mon petit bonhomme je suis passé à l’Ouest ! ».


    Bergerac le 5 novembre 2010

    Jean-Pierre Canot


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