• Le contre-projet fiscal du centriste Jean Arthuis

    Le contre-projet fiscal du centriste Jean Arthuis
      

    Laurent Mauduit

    C'est un diagnostic sévère de la politique économique impulsée par Nicolas Sarkozy que dresse Jean Arthuis, le président (Alliance centriste) de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> des finances du Sénat dans un entretien en vidéo avec Mediapart. Estimant qu'elle est guidée par une vision qui « gagnerait à être exprimée de manière plus claire » et que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> n'est « pas préparée à la mondialisation », l'ancien ministre des finances du gouvernement d'Alain Juppé s'inquiète aussi d'une « explosion des déficits publics », qui va être encore être aggravée par un grand emprunt qu'il juge « très étonnant ».
    Il dresse aussi un réquisitoire contre la politique fiscale du gouvernement. Parlant de la baisse de <st1:personname productid="la TVA" w:st="on">la TVA</st1:personname> pour la restauration, il explique pourquoi il a « combattu cette disposition ». Et dans le cas du bouclier fiscal, il fait même son autocritique : « Nous nous sommes tirés une balle dans le pied avec ce fameux bouclier fiscal. J'en parle d'autant plus volontiers que je l'ai voté. Je reconnais que j'ai commis une erreur ». 

    A la veille de la présentation par Nicolas Sarkozy, lundi 14 novembre, de ses arbitrages sur le grand emprunt, Mediapart a en effet jugé utile de donner la parole aux présidents des deux commission des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, le centriste Jean Arthuis et le socialiste Didier Migaud, pour faire avec eux un tour d'horizon de la politique économique actuelle. Un tour d'horizon pour analyser d'abord les justifications ou les failles du grand emprunt lui-même ;  pour établir ensuite l'état réel des finances publiques que la récession a déjà fortement ébranlé et qui vont été fortement affectées par ce même grand emprunt ; et pour faire le point sur les réformes fiscales récentes du gouvernement.

    Pour le premier de ces deux grands entretiens, que l'on découvrira au travers de cinq vidéos successives, Jean Arthuis se montre d'abord critique à l'encontre de ce que les spécialistes appellent le « cadrage » d'ensemble de la politique économique. Pour lui, l'enjeu principal pour la politique économique est de préparer <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> à la mondialisation. « Et très franchement, dit-il, je crois qu'elle ne s'y est pas préparée ». « La vision gagnerait à être exprimée de manière plus claire », ajoute-t-il. 

    Tout en admettant que le gouvernement fait des réformes, il déplore que certaines d'entre elles « soient en deçà des annonces » ou mal calibrées. Il s'attarde sur deux d'entre elles en particulier, la réforme de la taxe professionnelle, qui a suscité un tollé parmi tous les élus locaux, gauche et droite confondues, et la baisse de <st1:personname productid="la TVA" w:st="on">la TVA</st1:personname> pour la restauration. Revenant sur le « coup de semonce » de la commission des finances du Sénat qui, à l'unanimité, avait voté un amendement annulant la baisse, Jean Arthuis se montre particulièrement critique à l'encontre de cette dernière disposition. « Moi, je ne l'ai pas votée. J'ai même combattu cette disposition », dit-il. Il en profite pour défendre ce qui est depuis très longtemps son credo personnel : un rééquilibrage général de la fiscalité, de sorte qu'elle frappe davantage la consommation et moins la production. 

    Mediapart interroge ensuite Jean Arthuis plus précisément sur ce grand emprunt, dont Nicolas Sarkozy va présent lundi prochain le montant exact (30 à 35 milliards d'euros sans doute), les modalités définitives (il devrait faire appel aux marchés financiers et non aux particuliers), et les investissements qu'il financera (numérique, recherche, enseignement supérieur, etc.).

     Dans les premières secondes de la deuxième vidéo que l'on visionnera ci-dessous, la réaction du président de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> des finances du Sénat retient l'attention. Cela commence par une drôle de petite mimique, comme si, dans son for intérieur, l'intéressé pensait que tout cela était pure folie. Et cela se poursuit par cette sortie mi-moqueuse mi hallucinée : « Très étonnant, ce grand emprunt !» 

    Jean Arthuis fait effectivement observer que le Parlement vient tout juste de voter le projet de loi de finances pour 2010. Mais, poursuit-il, « nous savons que ce projet de loi de finances est incomplet parce que dès le mois de janvier, il va falloir examiner un projet de loi de finances rectificatives pour évoquer le grand emprunt ». Et il ajoute : « Cela veut dire que le déficit prévisionnel que nous venons de voter, 117,5 milliards d'euros... n'est pas le déficit définitif. Il faudra y ajouter le montant du grand emprunt. C'est à dire que l'on sera aux alentours de 150 milliards d'euros. Auxquels il faudra ajouter les 33 ou 35 milliards de déficit de la protection sociale ». 

    Depuis que le chef de l'Etat a lancé cette idée de grand emprunt, une question reste de fait en suspens : ne s'agit-il que d'une méga-opération de communication ? Nicolas Sarkozy n'a-t-il fait que réinventer une sorte d'éphémère Commissariat général du Plan, pour pointer les investissements d'avenir, sans que l'on soit certain que ces investissements seront effectivement engagés ? Ou bien ces investissements seront-ils bel et bien engagés ?

     Autrement dit, la norme budgétaire actuelle qui prévoit une stagnation en volume des crédits publics va-t-elle être remise en cause ? Et du même coup, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> va-t-elle s'éloigner encore davantage du respect de ses engagements européens, ceux induits par le Traité de Maastricht et par le pacte de stabilité ? Pour Jean Arthuis, l'énigme n'en est visiblement pas une, car il donne peu de crédit à la promesse de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> de tenir ses engagements européens.

      « J'en doute car cette crise n'est pas une crise comme les autres », dit-il . Avant d'ajouter, sévère : « J'ai le pressentiment que le potentiel de croissance de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> va être atteint pour quelques années». Jean Arthuis se montre d'autant plus critique que, selon lui, certains crédits publics, comme le crédit impôt recherche, peuvent contribuer à accélérer les délocalisations, si on n'y prend pas garde.   

    Dans la troisième partie de notre entretien, Jean Arthuis s'inquiète que la politique fiscale manque également de cohérence. A preuve, l'audit d'ensemble de la fiscalité qui avait été promis en 2007, sous l'appellation de « revue générale des prélèvements obligatoires » (RGPO), en préalable à toute réforme d'ensemble, n'est-il pas tombé aux oubliettes ? N'assiste-t-on pas à une cascades de réformes désordonnées ? Le responsable centriste en convient : « <st1:personname productid="La RGPO" w:st="on">La RGPO</st1:personname> n'est pas allée à son terme », admet-il. Et il s'en inquiète d'autant plus que « ce qui est au coeur du pacte républicain, est-ce que ce n'est pas l'impôt ? ».

      « Nous avons une fiscalité qui est extrêmement complexe, qui est du pain bénie pour tous les conseillers fiscaux », poursuit-il, faisant observer que grâce à « la prolifération des niches fiscales » le grand jeu de certains contribuables est celui de l'optimisation fiscale : « Comment respecter la loi mais payer le moins possible d'impôt... ». Quand on lui fait observer que le chef de l'Etat avait pourtant promis une réforme de ces niches fiscales, Jean Arthuis répond donc avec agacement : « Elle tarde ! ».   

    Usant de mots qui sont peu fréquents dans les thématiques de la droite et même du centre, Jean Arthuis admet donc qu'il faut réhabiliter l'impôt. Le constat retient d'autant plus l'attention que la politique de baisse des impôts a été l'alpha et l'oméga de toutes les politiques fiscales conduites par la gauche et par la droite depuis plus de deux décennies. 

      « Malheureusement, nous n'échapperons pas à un relèvement, confirme-t-il, mais nous nous sommes tirés une balle dans le pied avec ce fameux bouclier fiscal. J'en parle d'autant plus volontiers que je l'ai voté. Je reconnais que j'ai commis une erreur, parce que le bouclier fiscal s'applique non pas au revenu de référence mais au revenu fiscal ».    

    En clair, pour Jean Arthuis, le bouclier fiscal fonctionne comme un piège, car si des hausses d'impôt s'avèrent nécessaires, les plus hauts revenus, ceux qui profitent du bouclier, y échapperont d'autant plus facilement que ce même bouclier prend en compte non pas les revenus de référence des contribuables mais les revenus après déductions ou abattements. « Ce qui est une vraie injustice », dit-il.  

      Il en veut pour preuve le prélèvement supplémentaire de 1,1% sur les revenus mobilier et fonciers qui a été décidé pour financer la généralisation du Revenu de solidarité active (RSA) : « Ceux qui sont au bouclier fiscal, c'est à dire ceux qui ont les revenus les plus élevés ne supportent pas le supplément d'impôt (...) Donc c'est un boomerang insupportable ».   

    Pour le parlementaire, il y a donc « nécessité d'abroger le bouclier fiscal ». Pour lui, « le bouclier fiscal est une mauvaise réponse à un mauvais impôt », l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L'abrogation du bouclier devrait donc, selon lui, aller de pair avec la suppression de l'ISF lui-même. Et pour compenser l'effet de cette double suppression au profit des plus hauts revenus, Jean Arthuis préconise de relever à 45% (au lieu de 40% actuellement) du taux marginal de l'impôt sur les revenus et de « revisiter à la hausse le barème de l'imposition des plus-values », qui a été fortement abaissé ces dernières années. 

       Dans la quatrième partie de cet entretien, Mediapart interpelle Jean Arthuis : la nomination par Nicolas Sarkozy de Henri Proglio à la tête d'EDF -lequel Henri Proglio reste par ailleurs président du conseil de surveillance de Véolia-, après celle de François Pérol à la présidence des Caisses d'épargne ou encore celle de Stéphane Richard à France Télécom, pour en devenir ultérieurement le président, cela vous choque ? Réponse carrée : « Oui ! ».

      Le sénateur se dit aussi très inquiet que le « système assez endogamique » des patrons du secteur privé soit importé dans les entreprises publiques. Et faisant allusion à la très forte augmentation du salaire du patron d'EDF (1,6 million d'euros annuel contre 1,1 million pour son prédécesseur), il ajoute : « Alors, que ceci se produise au CAC40, je veux bien... mais quand il s'agit d'entreprises contrôlées par l'Etat, il serait bon que l'Etat donne le "la". Lorsque l'on gagne 500.000 euros par an, qu'apportent les euros supplémentaires ? Un chef d'entreprise doit être imprégné d'une éthique, d'une déontologie ».   

    Jean Arthuis pointe aussi le « risque de conflit d'intérêt » auquel va être exposer Henri Proglio, à cheval entre EDF et Veolia. « Si l'élite n'est pas imprégnée d'un minimum de principes déontologiques, alors oui,  l'avenir est inquiétant », souligne-t-il.

      

    Dans une cinquième partie, Mediapart interroge Jean Arthuis sur ses projets politiques à  la veille des élections régionales. « Moi, je milite pour la refondation de la famille centriste », dit-il. Il se dit prêt à travailler de nouveau avec le MoDem de François Bayrou, à faire liste commune avec lui, et même diriger une liste aux régionales, mais il fixe ses conditions.  

    Encore un discours intéressant et humain.

    Migaud et Arthuis contrel'emprunt Sarkozy 

    lien : lien article et vidéos 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :