• Les fonctionnaires italiens vont en baver

    Les fonctionnaires italiens vont en baver

    Trois millions de salariés du public sont touchés par le plan d’austérité du gouvernement Berlusconi. Cela risque de provoquer un exode des compétences et une dégradation du service.

    LucaPiana L'Espresso

    Gino Gumirato était l’un des experts nommés par Barack Obama à la commission chargée d’étudier le projet de réforme du système de santé américain. Après le lancement de la réforme, Gumirato est rentré en Italie. Cet homme de 45 ans, originaire de Padoue, a derrière lui un cursus international et une longue carrière dans le secteur public de la santé. Il est actuellement directeur administratif de l’Azienda Sanitaria locale de Rome [antenne locale de la sécurité sociale], qui gère l’hôpital Santo Spirito et l’hôpital ophtalmologique. Dans le cadre du plan de rigueur mis en place par le ministre de l’Economie, Giulio Tremonti, le salaire de Gino Gumirato – comme celui de nombreux autres fonctionnaires – va diminuer de manière draconienne.

    Gumirato se demande s’il n’est pas temps pour lui de changer de vie. “Deux points me semblent importants, explique-t-il. Le premier, c’est que le système de santé italien repose sur les hôpitaux publics. Le second, c’est que, dans les moments difficiles, chacun doit apporter sa contribution. On dit que les hauts fonctionnaires touchent un paquet d’argent. La réalité est tout autre. Avec le plan d’austérité, mon salaire – 120 000 euros brut par an – va baisser. Je toucherai le double du salaire d’une infirmière surveillante. Mon travail consiste cependant à gérer un budget de 1,5 milliard d’euros et à diriger 4 000 employés. En outre, je ne touche aucune prime, aucune indemnité de départ, et mes frais de déplacement ne sont pas pris en charge.”

    En Europe, les Italiens sont parmi les plus mal lotis

    Le cas de Gino Gumirato n’est pas isolé. De nombreux salariés quittent déjà le secteur public. Il est clair que le plan d’austérité vise essentiellement les fonctionnaires. Tous sont concernés, quel que soit leur niveau : les infirmiers urgentistes, les secrétaires de la sécurité sociale, mais aussi les planqués des ministères, les universitaires et les médecins hyperspécialisés. Les augmentations de salaire sont bloquées jusqu’à la fin 2012.

    Pour les enseignants, déjà sous-payés, cette restriction s’accompagnera du gel des primes d’ancienneté. C’est pourtant le seul moyen qu’ils ont de gagner un peu plus. Tous les mécanismes d’augmentation automatique des salaires seront suspendus jusqu’en 2013. Cela vaut également pour les magistrats, les préfets et les hauts fonctionnaires.

    D’après les calculs de la Confederazione Italiana Sindacati dei Lavoratori [CISL, principal syndicat de travailleurs], cette suppression des augmentations contractuelles rapportera environ 6,4 milliards d’euros en trois ans – de l’argent sonnant et trébuchant qui contribuera certainement à assainir les finances publiques. Mais pour Carlo Dell’Aringa, l’un des plus éminents spécialistes italiens du monde du travail, la baisse de la rémunération des agents publics “aura de profondes conséquences”. Le gouvernement justifie ce plan d’austérité en rappelant que, dans les réformes des contrats lancées en 1993, les salariés du public avaient été privilégiés par rapport aux employés les plus mal lotis du secteur privé. [Cette réforme, connue sous le nom de privatisation de la fonction publique, visait à mettre fin à certains privilèges. Depuis, la majorité des agents publics – à l’exception, entre autres, des magistrats, des policiers, des militaires et des professeurs d’université – sont des contractuels soumis au droit privé.] Dell’Aringa considère toutefois ce plan comme “une grave erreur”. “Suspendre l’application du nouvel accord collectif [sur les salaires], signé il y a un an dans un climat de polémique, c’est un non-respect des engagements pris, avec, pour conséquence, une fêlure sociale profonde, explique l’économiste. N’oublions pas que les fonctionnaires italiens sont parmi ceux qui, en Europe, gagnent le moins bien leur vie. Dans l’éducation nationale, la situation est véritablement scandaleuse : nous sommes les plus mal lotis d’Europe.”

    Prenons l’exemple d’un policier prenant son service le matin, à qui l’on demande de venir travailler en urgence au milieu de la nuit. “Il ne percevra qu’une indemnité de 6 euros, brut évidemment”, explique Felice Romano, secrétaire du Sindacato Italiano Unitario Lavoratori Polizia [SIULP, syndicat de police]. Le salaire réel est de 1 200 euros par mois pour un agent de police et de 1 600 euros pour un inspecteur en chef. A côté de cela, certains gaspillages perdurent. “Plus de 600 000 voitures de fonction circulent en Italie. L’immense majorité de ces véhicules est gérée par les forces de l’ordre pour les escortes des hommes de pouvoir”, souligne Romano, qui estime qu’entre 10 000 et 15 000 hommes sont ainsi chaque jour mobilisés au service des autorités. La suppression promise de ces privilèges de caste reste à vérifier.

    Certains métiers trouveront sans doute des voies d’issue : les infirmiers, toujours très demandés, pourront travailler dans le privé, et les médecins spécialisés, exercer en libéral. L’éducation nationale subira en revanche d’importants bouleversements. Afin de bien comprendre la situation, il convient de rattacher la diminution des salaires aux restrictions budgétaires déjà existantes. Le plan Tremonti de 2008 était on ne peut plus clair : 130 000 suppressions de postes – dont 87 000 professeurs d’université, le reste concernant les agents techniques et les maîtres auxiliaires – devront permettre d’économiser 8 milliards d’euros d’ici à 2012.

    Les primes de productivité doivent être maintenues

    Pour la première année, la mission a été accomplie : 42 000 postes de professeurs d’université ont été supprimés, ainsi que 15 000 postes d’employés administratifs et de gardiens. Les conséquences ne nous étonneront guère : des milliers de remplaçants se sont retrouvés sans emploi. Et voilà que tombe le coup de massue sur les salaires. Pour un professeur âgé de 50 ans, le gel des primes d’ancienneté signifie une perte de 150 à 200 euros par mois. Enfin, les enseignants vont recevoir une nouvelle claque. En 2008, le gouvernement avait promis que 30 % des économies réalisées seraient attribuées à l’éducation nationale sous la forme de primes au mérite. Si tout fonctionne comme prévu, cela signifie 1 milliard d’euros par an. Mais, si les accords collectifs sont gelés, tout cela risque de tomber à l’eau.

    Ainsi, c’est précisément le mécanisme mis en place pour récompenser l’amélioration de la productivité qui risque de se gripper. Dans son analyse, Dell’Aringa ne fait pas de quartier : “Tremonti a supprimé les primes de productivité, punissant ceux qui se comportent correctement. Pourquoi ne pas intervenir de manière sélective ? Certains agents – notamment ceux qui travaillent dans des organismes de la sécurité sociale – bénéficient de privilèges inadmissibles. Il faut intervenir, sinon le secteur public paiera un prix trop élevé.” “Il serait regrettable que l’on supprime les fonds alloués aux primes au mérite, en particulier dans l’éducation nationale”, déplore de son côté Andrea Gavosto, directeur de la Fondation Agnelli [institut de recherche indépendant créé par Fiat]. D’après lui, il faudrait plutôt “passer d’une logique consistant à augmenter la prime d’ancienneté pour tous à un système récompensant les enseignants les plus compétents”. Giovanni Faverin, secrétaire général de la CISL, ne perd toutefois pas espoir. “Les outils conçus pour augmenter la transparence du secteur public et mesurer la qualité des services fonctionnent toujours. Mais, selon moi, le plus urgent serait d’obliger les 10 000 administrations locales à regrouper 80 % des services qu’elles dirigent. Il faut réévaluer les frais de tous les maires d’Italie – y compris ceux des petites villes –, qui, à peine élus, se prennent pour des shérifs.”

    En Allemagne

    Le taux de chômage brut est passé en Allemagne de 8,1 % en avril à 7,7 % en mai, selon l’Agence fédérale pour l’emploi. Au total, 3,24 millions de personnes recherchaient un emploi, soit 165 000 de moins qu’en avril. Cette amélioration s’explique par la traditionnelle reprise printanière des embauches dans les activités de plein air telles que le bâtiment. Mais même en données corrigées des variations saisonnières, le nombre de chômeurs a baissé de 45 000. De fait, la conjoncture s’améliore en Allemagne grâce à la reprise des exportations, qui sont favorisées par la faiblesse de l’euro.
    Ces exportations risquent toutefois de faire les frais des plans de rigueur adoptés par de nombreux pays européens.


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