• Quand les banques siphonnent les crédits d'impôts pour la recherche

    06 Octobre 2009 Par Martine Orange

    «C'est le dispositif le plus ambitieux pour la recherche dans le monde. Bien sûr, cela coûte cher mais cela pourrait coûter encore plus cher, qu'il ne faudrait pas hésiter. Car il permet de soutenir la recherche en France», insistait Nicolas Sarkozy au printemps. A sa suite, Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, défendait devant les sénateurs le crédit impôt recherche (CIR) comme «l'outil le plus efficace pour renforcer la recherche privée»

     La cause de toute façon est entendue auprès des parlementaires. Même si le dispositif représente «un coût considérable» pour le budget de l'Etat – 3,5 milliards d'euros en 2009, selon les estimations, sans compter les remboursements anticipés des années antérieures –, il devrait être reconduit sans discussion lors du débat sur le projet de loi de finances 2010. La plupart des parlementaires estiment que le mécanisme est un des leviers les plus simples et les plus efficaces pour soutenir la recherche. «Surtout dans les PME», rajoute-t-on en chœur.  

    Est-ce si sûr ? Aucun bilan n'existe depuis que la loi, revue en 2008, permet à toutes les entreprises de bénéficier d'un crédit d'impôt de 30% sur l'ensemble de leurs dépenses de recherche et de développement dans la limite de 100 millions d'euros. Mais le dernier état des lieux sur le crédit impôt recherche établi en juillet 2009 par Gilles Carrez, rapporteur à la commission des finances de l'Assemblée nationale, soulève déjà bien des questions.

    Le rapport examine les dépenses réalisées entre 2004 et 2008, période où déjà le dispositif avait été révisé. Alors qu'auparavant l'Etat n'accordait un crédit d'impôt que pour les dépenses nouvelles de recherche, à partir de 2004, plusieurs réformes ont été adoptées, supprimant d'abord l'obligation de réaliser les dépenses en France, puis prenant en compte l'ensemble des dépenses de recherche et non plus leur accroissement, dans une proportion de 10% limitée à 16 millions d'euros. Ces changements ont déjà amené un renchérissement notable du dispositif : de 430 millions d'euros en 2004, la dépense fiscale est passée à 1,6 milliard d'euros en 2008.

    Contrairement aux attentes et aux buts projetés, ce n'est pas l'industrie mais les services qui sont les premiers destinataires du crédit impôt recherche. «Le secteur des services avec 1.174 millions d'euros en 2007 représente près des deux tiers des créances», note le rapport à partir des données transmises par le ministère de la recherche qu'il juge «riche d'enseignements». La tertiarisation de l'économie française explique sans doute en partie ces chiffres. Mais est-ce la seule explication ? Le rapport ne va pas plus loin dans l'analyse. Contacté pour avoir plus d'explications, Gilles Carrez n'a pas répondu à nos appels.

     

    Dommage car la suite est encore plus surprenante. Quel est le secteur qui a le plus profité du crédit impôt recherche réformé, selon le rapport parlementaire ? Les services bancaires et les assurances ! En 2007, il s'est trouvé 930 établissements bancaires et financiers pour être bénéficiaires du crédit impôt recherche. A lui seul, ce secteur a obtenu 312 millions d'euros de crédit d'impôt recherche, soit 18% du total. L'année précédente, leurs créances s'élevaient à peine à 11 millions d'euros. 

     

    Par comparaison, les secteurs comme la recherche, la pharmacie et les services de télécommunications ont reçu moins de 200 millions d'euros ensemble. On ne parle pas des vieux secteurs industriels comme la mécanique, le textile ou le transport, qui ont bénéficié à peine de 50 millions d'euros à eux trois. 

    Sur quelles bases les banques peuvent-elles se trouver dans un tel dispositif de soutien à la recherche ? Pour arrêter le cadre des dépenses pouvant donner lieu à crédit d'impôt, le gouvernement s'est référé à la liste élaborée par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). L'organisme y inclut les dépenses de recherche liées aux logiciels, aux modélisations mathématiques liées aux produits financiers et autres. En un mot, tout ce qui a fait les délices puis les déboires de la finance actuelle.

     

    Au-delà de cette conception très large de la recherche se pose la question de la réalité de ces recherches. Les grandes banques n'ont qu'un ou deux grands centres de recherche, à Paris et à Londres généralement. De même, leurs plates-formes informatiques ont été centralisées et pour certaines délocalisées dans des pays à bas coût comme le Maroc, quand il ne s'agissait que de traitement de données usuelles. Comment en arrive-t-on à  930 établissements bancaires et d'assurances, quand ils n'étaient que 240 en 2006 ?

     

    L'interrogation est la même pour les sociétés de conseil et d'assistance aux entreprises, les deuxièmes bénéficiaires du crédit impôt recherche en 2007. Elles ont obtenu cette année-là 271 millions de crédit d'impôt recherche répartis entre 282 entreprises. En 2005, elles n'étaient que quatorze à se partager un total de 18 millions d'euros de crédit d'impôt. Pour quels travaux ? Mystère.

    Car le contrôle lié à ce dispositif paraît des plus sommaires. Alors que les chercheurs dans les laboratoires publics doivent soumettre tous leurs projets à des comités de validation, justifier l'objectif de leurs travaux et les montants dépensés au centime près, les entreprises privées ont quant à elles pour seule obligation d'exposer leur projet à l'administration fiscale. Depuis la nouvelle loi, si elles ne reçoivent pas de réponse dans les six mois, l'agrément du fisc est considéré comme acquis.

     

    Aucune condition n'est posée, ni de succès ni d'emploi. Ainsi Rhodia a vu son crédit impôt recherche passer de 7 à 20 millions entre 2007 et 2008, ce qui n'a pas empêché le groupe de chimie de diminuer ses effectifs. De même, l'entreprise indienne d'informatique Wipro a bénéficié de 7 millions d'euros de crédit d'impôt recherche pour mettre au point de nouveaux produits liés à des infrastructures de réseaux, et aux connexions sans fil. Tout était développé par son centre de recherche français à Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes), racheté deux ans auparavant. Une fois les technologies mises au point, les brevets déposés, argent et technologies ont été transférés en Inde. L'entreprise, qui compte 60 chercheurs, doit fermer le 8 octobre.

     

    Par la suite, les contrôles fiscaux semblent assez rares. «Les deux tiers des entreprises ayant opté pour le CIR n'ont pas subi de contrôle fiscal», écrit ainsi Innovatech-conseil, une société spécialisée dans le montage des dossiers de crédit d'impôt sur son site. «Sur le tiers restant, une grosse majorité affirme que le contrôle n'a pas été approfondi, qu'il a parfois pu se résumer à de simples vérifications téléphoniques» ; «Une infime partie a fait l'objet d'un redressement fiscal : 230 contrôles environ aboutissent à un redressement partiel ou total», conclut-elle.

     

    A la lumière de ces premières données, les autres constats dressés par le rapport ne surprennent plus. Ainsi, note Gilles Carrez, «le crédit d'impôt recherche bénéficie massivement aux grandes entreprises. (...) En 2005, les PME représentaient 87 % des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche, mais leurs créances de CIR qu'un tiers du total des créances. En 2007, bien que le montant des créances ait doublé – et le nombre de bénéficiaires augmenté de 60 % –, on remarque que les PME représentent désormais 89,4 % des bénéficiaires du CIR, dans le total des créances qui a augmenté à 43 %. A contrario, on peut lire ces chiffres comme révélant que 718 grandes entreprises (soit 10,6 % des bénéficiaires) ont capté 57 % de l'avantage fiscal».

     
     La réforme de 2008 risque d'accentuer encore ces dérives. «La réforme aboutit à attribuer 10  milliards d'euros d'aides aux grandes entreprises – le double de l'effort en faveur de l'université –, ce qui constitue une politique industrielle et de la recherche peu efficace et très coûteuse. Les bons centres de R&D privés ne s'achètent pas avec des incitations fiscales. A l'inverse, un soutien aux jeunes entreprises innovantes a un très fort effet de levier sur <st1:personname productid="la R" w:st="on">la R</st1:personname>&D privée et sur notre potentiel de croissance», déplorait le docteur Philippe Pouletty, président de France Biotech, dès l'instauration du nouveau crédit impôt recherche. 

     Il faudra attendre un rapport parlementaire dans deux ou trois ans pour mesurer la réalité de cette crainte. En attendant, les banques auront certainement découvert un nouveau gisement de recherche pour capter des crédits de l'Etat.

    Commentaires :

    Ca laisse perplexe quand on lit cet article sur la faillite des modèles mathématiques financiers daté de mars 2008. Il semble surtout que le marketing soit devenu une discipline scientifique de pointe... Et quand on voit les sommes en jeu, on se dit qu'il y a des claques qui se perdent. D'un côté, on sous-finance des chercheurs qui sont obligé de passer leur temps à s'évaluer ou à vendre leur projet et qui ne font leur véritable travail que le weekend et de l'autre on distribue ……..

    Mais c'est de l'argent qui manque aux recettes de l'Etat et qui augmentent le déficit. Un déficit, qui est du pain béni pour tous ceux qui prêtent à l'Etat.

     J'aimerais compléter cet article avec deux graphiques extrait du Rapport Economique, Perspectives 2008 de l'OCDE.

    1. Le premier c'est le traitement fiscal de <st1:personname productid="la R" w:st="on">la R</st1:personname>&D dans l'OCDE et quel avantage fiscal pour 1 $ de dépense (nous sommes champion avec le Mexique et l'Espagne) et l'augmentation de 2001 à 2008 et colossal. à vous de juger.

    Traitements fiscal R/D 

    2. Que faisons nous comme investissement ( nous sommes dans la moyenne), mais surtout aucun impact entre 2001 et 2006.

    Investissement Recherche /développement comparaison 

    Donc la conclusion : les contribuables financent  l'enrichissement privé. Mais on peut aussi retourner la proposition ce n'est pas la mauvaise "gestion de l'Etat" qui creuse nos déficits, mais plutôt nos système fiscaux utilisé à des fins d'enrichissement privés.

    Dans la même veine un chercheur du CNRS à publié un article sur les IDE (entrée et sortie de capitaux). La aussi il montre la faille (la même que cet article)

    La France, paradis de l'investisseur... 

    Et maintenant nous avons un système..........cela mérite réflexion. Et on nous …..avec les déficits.

    Ces deux articles nous ferait « économiser » environ 2 milliards et en laissant nos Prélèvements obligatoire aux niveaux d’avant cela fait 40 milliards (au moins temporairement). Ainsi nous avons déjà 42 milliards sur 150, pas mal. Pas besoin de laisser filer le déficit qui enrichit encore les ménages les plus riches (car ils perçoivent les intérêts).

    Et si nous cherchons bien, dans l’optique de ces deux articles ………..on trouvera encore.

    NB : j’ai les rapports pour ceux que cela intéresse.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :