• Attention à ne pas faire de zèle dans l'austérité

    Interview de Olivier Blanchard : « Attention à ne pas faire de zèle dans l'austérité »

    Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI Au moment où Pékin et Washington s'inquiètent des risques de contagion de la crise de la dette européenne, Olivier Blanchard, économiste en chef au FMI, livre en exclusivité à « La Tribune » son analyse sur la pertinence des remèdes adoptés.

     

    Les soubresauts des marchés vous inquiètent-ils ?

    Les marchés se demandent si la Grèce va pouvoir rembourser sa dette ou non. Vu le comportement des gouvernements grecs dans le passé, leurs incertitudes sont compréhensibles. S'ajoutent aussi les doutes sur la capacité de l'Union européenne à délivrer l'argent qu'elle a promis pour financer le gouvernement grec. Cela n'est très probablement pas justifié, mais tant que l'argent n'est pas là, l'inquiétude demeurera. Et, enfin, il y a des doutes sur la politique de la BCE. Il est donc important de faire trois choses. Que le gouvernement grec montre sa détermination a mettre en place le plan d'ajustement établi avec l'aide du FMI et de l'Union européenne, ce qu'il est de fait en train de faire. Que les Parlements votent les mesures voulues par les gouvernements et que soient connues les règles de mise en oeuvre des fonds. Et que la BCE clarifie sa communication et convainque les marchés qu'elle continuera, si nécessaire à acheter des obligations d'Etat.

    Les mesures d'austérité imposées à la Grèce ne rappellent-ils pas les solutions contestées du FMI des années 1990 ?

    Les remèdes sont adaptés. La Grèce a besoin d'un ajustement budgétaire dès maintenant. Celui-ci ne sera pas favorable à la croissance à court terme, mais il n'y a pas d'alternative. La Grèce a également un problème de compétitivité. Comme elle appartient à la zone euro, elle n'a pas la maîtrise de son taux de change et ne peut pas dévaluer pour stimuler ses exportations. Elle n'a que deux solutions: réduire les salaires par rapport à ses concurrents, ou devenir plus productive, les deux n'étant bien sûr pas incompatibles. Le programme mis en place repose sur ces deux axes, réduction des déficits et amélioration de la compétitivité, par des mesures structurelles. Paradoxalement, l'inquiétude des marchés est aussi la source d'une bonne nouvelle pour la Grèce, dans la mesure où elle a provoqué une baisse de l'euro. La moitié des exportations grecques va hors de la zone euro. La dépréciation de l'euro va l'aider à retrouver une partie de sa compétitivité.

    D'autres pays ont-ils déjà accompli des efforts aussi importants?

    L'Irlande dans les années 1980, la Finlande et la Suède dans les années 1990 ont réussi des ajustements en gros de la même dimension. Mais ces pays bénéficiaient d'un environnement économique plus favorable en termes de croissance. Et ils avaient la maîtrise de leur taux de change.

    Les marchés attendent-ils d'autres pays qu'ils prennent des mesures radicales pour réduire leur déficit budgétaire ?

    Les marchés ont souvent tendance à mettre une série de pays dans le même panier. De fait, les autres pays européens n'ont pas besoin de prendre des mesures aussi draconiennes que la Grèce. Ils sont plus crédibles au départ, ont une dette moins élevée, et peuvent s'offrir un ajustement plus progressif, et donc limiter l'effet négatif de cette consolidation budgétaire sur leur croissance à court terme. D'autre part, certaines mesures de consolidation n'impliquent pas une diminution de la demande et un ralentissement de la croissance. Prenez la réforme du régime de retraite par augmentation progressive de l'âge du départ à la retraite, ou l'augmentation de la durée des cotisations. Cette réforme, indispensable dans de nombreux pays, aide clairement à terme à la stabilisation budgétaire, et n'a pas d'effet négatif sur la demande, et donc sur la croissance à court terme. Elle a même de bonnes chances d'accroître la demande : si les gens prennent leur retraite plus tard, ils ont moins besoin d'épargner, et ils peuvent donc consommer un peu plus.

    Les États-Unis ont-ils raison de craindre la contagion ?

    Non. Eux aussi ont un déficit budgétaire très large, et doivent mettre en place un plan d'ajustement. Mais ils peuvent le faire de façon progressive. Le comportement des marchés montre que les bons du Trésor américain restent la valeur refuge. Ceci étant dit, la dépréciation de l'euro n'est pas une bonne nouvelle pour les États-Unis. Ceci va certainement renforcer la pression sur d'autres pays, en particulier les pays émergents d'Asie, pour qu'ils réévaluent leur monnaie. Ce que ces pays eux même ont intérêt à faire s'ils veulent augmenter la consommation intérieure sans risquer la surchauffe. Comme vous le voyez, tout ça est du billard à au moins trois bandes.

    Les marchés n'obligent-ils pas les politiques à prendre des décisions trop longtemps différées ?

    Le risque est en l'occurence que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l'austérité. Ce serait une erreur. Les marchés se sont longtemps endormis sur le risque budgétaire. Aujourd'hui, ils se réveillent et s'affolent. C'est pour parer le risque d'une situation de panique que la BCE a mis en place un programme de rachat d'obligations d'État.

    Les sommes annoncées pour sauver l'euro (750 milliards d'euros), ne risquent-elles pas d'être insuffisantes?

    Aujourd'hui, l'Europe et le FMI peuvent mobiliser 1000 milliards d'euros pour l'Europe. C'est suffisant. Au-delà du problème de l'Europe aujourd'hui, on peut toujours imaginer des scénarios catastrophes où le FMI aurait besoin d'etre capable de mobiliser des sommes encore plus importantes. Si on était dans ce cas, je n'ai guère de doute que les États comprendraient qu'il est de leur intérêt de mobiliser ces fonds.

    Le FMI va-t-il devoir fortement revoir ses prévisions de croissance mondiales ?

    Si nous devions revoir nos prévisions de croissance pour 2010 aujourd'hui, je ne crois pas que nous aurions à effectuer une révision majeure par rapport à celles d'avril. L'économie de la Grèce pèse peu dans l'économie mondiale. Pour les autres pays, il n'y a pas de raison que les gouvernements prennent des mesures de réduction des déficits budgétaires si fortes qu'elles pénaliseraient fortement la croissance. n

    Propos recueillis par Laurent Chemineau


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