• L'égalité des sexes reste à conquérir

    L'égalité des sexes reste à conquérir

    Repenser l'autonomie des femmes

    Dilemme de la démocratie aujourd'hui, celui du dire et du faire, ironique décalage avec la pensée marxiste, plutôt attentive au rapport entre théorie et pratique. Dilemme parce que le lien entre dire et faire, entre faire et dire, est largement escamoté dans le discours politique.

    Quand dire, c'est faire : le care, soin, souci, sollicitude, dit le projet d'une société solidaire, dit le commun des êtres humains plutôt que leur solitude d'atomes sociaux. Dire ce lien renouvellerait le paradigme social ; énoncé magique où un dire produirait une réalité nouvelle. Or, justement, dire ce n'est pas faire. Car le faire ne ressemble pas au dire. Qui pratique le soin des vulnérables ? Une population elle-même vulnérable.

    Car faire le soin est la tâche des femmes : 97 % des salariés du " service à la personne " par exemple ; temps partiel, pauvreté à l'horizon, retraite hypothétique pour beaucoup. Le faire du soin, indissociable de l'activité de service, n'a rien d'un rêve politique. Faire le soin indique le gisement d'emplois propice aux solutions économiques ; ce qui n'empêche nullement de réduire le nombre des infirmières. Le service domestique de jadis s'est transformé en " service à la personne ". Et vous avez dit subversif ?

    Sous-emploi des femmes, ai-je dit ; et retour en arrière assuré pour leur émancipation... L'autonomie des femmes est encore une conquête à venir, bien plus qu'un moment libéral à dépasser ! La critique de l'individualisme libéral oublie que l'autonomie socio-économique des femmes est loin d'être une évidence, que la dépendance l'emporte encore souvent sur l'indépendance, que le lien est aussi un piège. Dire la vertu du soin cache le vice de la division sexuée du travail subalterne... Entre dire et faire : un abîme. Dire n'est pas faire ; et le faire prosaïque interroge le dire.

    Inversons la formule : quand faire, c'est dire. Faire le geste individuel du foulard ou du voile intégral. Cela dit quoi ? Rien, juste un bout de tissu, quelques cas isolés, disent mes amis. On invoque la liberté individuelle, l'autonomie du sujet, le consentement. Aucun lien social apparent, contrairement à l'exemple précédent ; uniquement, dit-on, du choix personnel ; autarcique ? Le consentement serait une affaire entre soi et soi. Mais faire, c'est dire, c'est dire à d'autres, aux autres. C'est un dire politique.

    L'important n'est pas qu'une femme voilée soit reconnue comme sujet (aucun doute là-dessus, pour ma part), c'est que ce geste soit lu comme un énoncé politique (ce que personne ne souhaite vraiment). Enoncé politique valorisé, ou au contraire contestable, c'est selon. Et il n'est nul besoin de parler religion, laïcité, identité, diversité...

    Ici, faire, c'est dire. Refusons le déni du politique, le rejet de l'importance du port du voile. Car en matière de féminisme, c'est courant, c'est même un argument clé de la domination masculine : passez votre chemin, il n'y a rien à voir ; que du futile, du privé, de l'anecdotique. Alors, que dit le voile du corps entier ? Il dit la société divisée en classes d'immigration, en sexes de pouvoir, en corps marchandises ; il dit, par l'invisible, le trop visible des inégalités. Mais, soulignons-le, dit le politique avec les instruments de la domination masculine.

    Alors, porter le voile intégral serait une forme d'émancipation ? Mais dans quelle dialectique dominante ? Oui, faire, c'est dire : mais pour quelle histoire à venir, quel projet d'égalité des sexes ? Il y a de quoi douter.

    Résumons : quand dire c'est faire me rappelle qu'il faut voir les sexes à l'oeuvre dans le dire des politiques. Quand faire c'est dire m'explique que les sexes font de la politique. La politique est sexuée et le sexe est politique. On toucherait ainsi à l'essentiel du slogan féministe : " Le privé est politique ", le personnel est politique.

    Oui, le quotidien domestique, la garde des enfants et l'activité économique de chacun sont du politique. L'intime même est traversé de politique. Car est politique ce qui cache la division sexuée du monde tout autant que ce qui l'exhibe dans sa caricature (le voile intégral rejoint là les " bimbos " de la télévision italienne). Est politique ce qui masque les rouages de la domination masculine.

    Servir, consentir : ces mots du vocabulaire, très souvent au féminin, disent depuis toujours le lien entre les êtres. Mais quel lien ? Celui de la symétrie qui promet l'égalité, ou celui du déséquilibre que cimentent les inégalités ? Or ce qui manque, ce n'est pas le lien, c'est l'échange, le rapport... et le conflit ; pour résister au morcellement des mots et des images...

    Dire, c'est faire, et on n'y voit rien ; faire c'est dire et il faut vraiment voir. Ou bien penser et agir ; vous avez dit théorie et pratique ? Cela me convient mieux.

    Geneviève Fraisse

    Historienne


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :