• La crise après la crise (4/5): la nouvelle question allemande

    La crise après la crise (4/5): la nouvelle question allemande

    Des esprits inquiets craignent que l'Allemagne devienne insensible au sort de ses partenaires.

     

    Cet article est le quatrième d'une série de cinq écrits par Eric Le Boucher pour décrire le nouveau monde issu de la crise financière et économique des années 2007, 2008 et 2009.

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    Lien :

    La crise après la crise (1/5): Une reprise en trompe-l'oeil

    La crise après la crise (2/5): la loi des marchés

    La crise après la crise (3/5): la déconstruction européenne

    C'est en Europe que la crise budgétaire est la plus grave. Les déficits publics sont passés de 2% des PIB avant crise à 9%. Il faut maintenant faire marche arrière et imposer l'austérité. Les marchés sont sceptiques sur les capacités de tous les gouvernements à conduire ces «ajustements» budgétaires malgré les lourdes difficultés politiques et sociales. Mais ils ont des raisons supplémentaires de l'être dans la zone euro: ils ont compris que derrière les déficits, c'est toute la construction économique qui pose question.

    Cigales et fourmi

    Le défaut de conception, accepté jusqu'ici par les marchés, est refusé avec la crise. Le modèle d'union monétaire sans union politique impose une convergence des économies. Or, c'est l'inverse qui s'est passé: l'hétérogénéité s'est accrue comme en témoignent les déséquilibres entre pays exportateurs (Pays-Bas, Allemagne) et pays importateurs (Grèce, Espagne, France). Sans possibilité de dévaluation et sans mobilité intra-pays de la main d'œuvre, la construction s'écartèle, elle ne peut tenir longtemps.

    L'Allemagne n'a pas tort, comme la fourmi de la fable. En 1999, elle offrait son mark à tous mais, en échange, elle croyait que les pays de la zone euro engageraient des politiques rigoureuses. «A l'allemande». Or, les pays-cigales ont profité des faibles taux de l'euro pour s'endetter, les uns pour s'offrir des systèmes sociaux avantageux, comme la Grèce et la France, les autres pour que les ménages s'enrichissent par l'immobilier, comme l'Espagne.

    Cette divergence des politiques a creusé les écarts de compétitivité qui ont atteint des niveaux insupportables: le Portugal a perdu 17% par rapport à l'Allemagne, la France au moins 10%.

    Une Allemagne pas si rigoureuse

    Les élites germaniques repassent l'histoire des dix ans de l'euro en revue, constatent et déplorent cette maldonne. Maastricht devait imposer une politique monétaire copiée sur le mark et une discipline budgétaire pour préserver la valeur de la monnaie unique (inflation et taux de change). La BCE a bien fait ce travail. Comme le souligne Jean-Claude Trichet, les taux de l'euro ne sont pas plus hauts que les taux du mark, au contraire. Concernant la discipline budgétaire, si l'on exclut la Grèce, la divergence n'est pas si grande. L'Allemagne, malgré son corset de l'Agenda 2000, n'est pas aussi rigoureuse qu'elle le croit et le prétend. De 2000 à 2005, les autres pays membres font mieux qu'elle. Puis les courbes se croisent et la différence est ensuite de 2 points de PIB par an (le déficit sera de -5% en Allemagne contre -7% en zone euro cette année).

    La vraie divergence concerne en réalité la politique économique. L'Allemagne se dote des lois Hartz qui lui permettent une stabilité de ses coûts du travail (ils ne sont relevés que de 10%) depuis la création de l'euro en 1999, tandis que ceux de ses partenaires gagnent plus de 40%. Dans le même temps, la dette des ménages est, elle aussi, stable alors qu'elle double dans la zone euro. En parallèle, et c'est le principal facteur de différence, l'industrie germanique investit dans la recherche-développement et remonte en gamme. L'Allemagne consacre 2,60% de son PIB en R&D, les autres 1,54%, selon Patrick Artus (Natixis Flash Eco, 21 avril). Elle concentre et accentue ses avantages comparatifs dans l'automobile et la mécanique, ce qui lui permet de gagner des parts de marché à l'exportation. Cette divergence de stratégie économique entre une Allemagne-Chine exportatrice et une zone euro-Amérique importatrice creuse les déséquilibres internes.

    La Chine de l'Europe?

    Cette stratégie germanique est un succès. Mais un succès relatif: le taux de croissance allemand n'a pas été meilleur que celui de la France. Autre défaut: il s'est accompagné d'une dégradation du modèle social. Enfin, les critiques, comme la ministre française Christine Lagarde, mettent an avant que les exportations germaniques se font d'abord au détriment de celles des partenaires européens. L'Allemagne, «Chine de l'Europe», devrait relancer sa consommation intérieure pour optimiser sa croissance d'ensemble de la zone. L'Europe, selon ce raisonnement,  doit éviter de creuser des déséquilibres des balances de paiements et doit, dans son ensemble, équilibrer son offre et sa demande.

    Les plus inquiets redoutent que l'Allemagne devienne insensible au sort de ses partenaires. L'Europe s'appauvrit? Et alors? Les débouchés des Bric (Brésil, Russie, Chine, Inde) sont plus importants que ceux des Pigs (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). Les chiffres infirment cette «autonomie» allemande: l'Europe représente encore 63% des exports germaniques, la zone euro 43% contre seulement 7% pour l'Amérique et 10% pour les émergents. L'intérêt allemand est encore européen. Mais combien de temps encore? Une fois que Daimler vendra plus de Mercedes en Chine qu'en Europe, l'Allemagne ne sera-t-elle pas tentée de faire son chemin, son Sonderweg? N'est-ce pas elle qui va... quitter l'euro? Ce scénario catastrophe paraît invraisemblable. L'Allemagne seule face à la Chine et les Etats-Unis pèsera trop peu, son indépendance sera menacée, sa prospérité aussi. Berlin a intérêt à l'Europe. Il faudrait que la classe dirigeante de notre premier partenaire et ami ne l'oublie pas, reprenne le choix de Kohl du «plus d'Europe» et refuse l'ancestrale tentation du populisme-nationalisme

    Rappel à l'ordre

    A tout cela, Berlin répond que les Allemands n'ont pas imaginé vouloir quitter l'Europe mais qu'ils montrent à tous la seule voie possible: celle de la compétitivité et la rigueur. Les autres pays devraient l'emprunter et cesser de vivre au-dessus de leurs moyens. La crise grecque n'est qu'un rappel à l'ordre normal, maastrichien,  logique de l'euro. L'austérité spartiate imposée à Athènes n'est que le paiement des fautes passées. Un pays-membre ne doit pas pouvoir jouer la cigale budgétaire en pensant que «les Allemands paieront». La cigale commerciale non plus: pour Berlin, il n'est pas nécessaire de trouver un équilibre des balances de paiements internes. A chacun de fabriquer ce dont il est capable et de le vendre aux Chinois. Ce n'est pas aux Allemands d'acheter tout. Si un pays ne peut vendre ses produits, qu'il baisse ses coûts.

    Ce débat fondamental se résume ainsi: faut-il remettre en route la machine d'intégration européenne ou suffit-il simplement d'en revenir à la discipline oubliée? Ce débat est complexe, mais il est temps de l'affronter. Sinon, il est à craindre que les déséquilibres l'emportent. Que l'Allemagne s'éloigne de plus en plus d'une Europe qui refuse les efforts et devienne une grande Suisse.

    Ce débat concerne en premier chef le premier pays partenaire et ami de l'Allemagne: la France.

    Eric Le Boucher

    Photo: Angela Merkel écrit quelques mots sur un tableau d'une exposition sur la réunification allemande, le 4 mai 2010 à Berlin. REUTERS/Thomas Peter

    Prochain article: La France dans l'austérité


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