• La nouvelle folle ruée vers l’or , Nouriel Roubini

    LE COMMENTAIRE DE NOURIEL ROUBINI

    La nouvelle folle ruée vers l’or
     

    Le prix de l’or s’est envolé, pour dépasser les 1.100 dollars l’once. Cette récente flambée n’est qu’en partie justifiée par les fondamentaux économiques et ressemble à s’y tromper à une bulle spéculative. Le prix de l’or n’augmente nettement que dans deux situations : lorsque l’inflation est élevée et continue à croître, l’or permet de se couvrir. Et quand il y a un risque de quasi-dépression et que les investisseurs craignent pour leurs dépôts bancaires, l’or devient une valeur refuge.Les deux dernières années correspondent à ce schéma. Le prix de l’or a commencé à grimper au premier semestre 2008, lorsque les marchés émergents étaient en surchauffe, que l’inflation les menaçait et que les prix des matières premières flambaient. Ce premier enchérissement était déjà une bulle, qui a éclaté au second semestre 2008, lorsque l’économie mondiale est entrée en récession.Le deuxième renchérissement est intervenu lorsque la banque Lehman Brothers s’est effondrée, provoquant une panique des investisseurs. Cette panique a été maîtrisée lorsque le G7 s’est engagé à augmenter les garanties sur les dépôts bancaires et à soutenir le système financier. Quand la situation s’est calmée à la fin de 2008, le cours de l’or est reparti à la baisse.En février et mars 2009, l’or est repassé au-dessus des 1.000 dollars l’once, au moment où il semblait que les systèmes financiers américain et européen pourraient être proches de l’insolvabilité et que plusieurs gouvernements seraient incapables de garantir les dépôts bancaires et de soutenir ces systèmes, parce que les banques trop grandes pour faire faillite étaient aussi trop grandes pour être sauvées.La panique est retombée – et le cours de l’or aussi – après que les banques américaines ont été soumises aux « stress tests », que le Trésor américain (TARP) est venu au secours du système financier et que l’économie mondiale a peu à peu atteint son point le plus bas.Pourquoi le cours de l’or a-t-il à nouveau commencé à grimper nettement ces derniers mois, s’envolant peut-être vers les 2.000 dollars l’once, comme certains le prédisent, alors qu’il n’y a aucun risque immédiat d’inflation ou de dépression ? Plusieurs raisons expliquent cette hausse.Premièrement, alors que l’économie mondiale est toujours en déflation, la forte monétisation des déficits fiscaux donne lieu à des inquiétudes concernant l’inflation à moyen terme.Deuxièmement, une vague de liquidités sans précédent, provoquée par une politique monétaire très accommodante, pousse les actifs, y compris les matières premières, à la hausse et pourrait relancer l’inflation.Troisièmement, les opérations de portage financées par le dollar exercent une pression à la baisse importante sur la devise américaine. Il existe par ailleurs une relation inverse entre la valeur du dollar et les prix des matières premières exprimés en dollars : plus le dollar est bas, plus le prix en dollars du brut, de l’énergie et d’autres matières premières – dont l’or – est élevé.Quatrièmement, l’offre mondiale d’or est limitée et la demande augmente plus rapidement que l’offre. Une partie de la demande provient des banques centrales, notamment d’Inde, de Chine et de Corée du Sud, une autre partie des investisseurs privés qui se servent de l’or pour se prémunir contre les risques extrêmes. En fait, les investisseurs cherchent de plus en plus à se protéger en amont contre ces risques. Compte tenu de l’offre inextensible de l’or, même une modification minime des portfolios des banques centrales et des investisseurs privés en faveur du métal jaune accroît son prix de manière substantielle.Enfin, les risques propres à la dette souveraine se multiplient, de Dubaï à la Grèce. Ce qui a pour effet de raviver les craintes que les gouvernements ne soient pas en mesure de soutenir un système financier trop important pour faire faillite. Mais, puisque l’or n’a aucune valeur intrinsèque, les risques d’une correction à la baisse sont importants. Il faudra bien, un jour ou l’autre, que les banques centrales abandonnent l’allégement quantitatif et les taux d’intérêt proches de zéro, exerçant alors une pression à la baisse sur les actifs à risque, dont les matières premières. La reprise risque sinon d’être fragile et anémique, caractérisée par un marché baissier sur les matières premières et haussier sur le dollar américain.Un autre risque est de voir s’effondrer les opérations de portage financées par le dollar, avec pour conséquence l’éclatement de la bulle mondiale des actifs. Et puisque les opérations de portage et la vague de liquidités ont créé une bulle mondiale des actifs, une partie de la hausse du cours de l’or est donc imputable à cette bulle. Mais toutes les bulles finissent par éclater. Plus la bulle est importante, plus le krach est sévère.L’augmentation récente du cours de l’or n’est qu’en partie justifiée par les fondamentaux économiques. Il n’est pas non plus évident de comprendre pourquoi les investisseurs accumulent de l’or si l’économie mondiale doit à nouveau entrer en récession et que les inquiétudes se multiplient face à une quasi-dépression et une déflation endémique. Si vous craignez vraiment une débâcle de l’économie mondiale, vous seriez plus inspiré de stocker des armes et des boîtes de conserve dans votre cabane au fond des bois.

    Nouriel Roubini est professeur d’économie à la Stern School of Businessde l’université de New York.

    Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :