• Boues rouges : ces vies volées au nom du profit

    Boues rouges : ces vies volées au nom du profit

    Premiers responsables : les patrons peu soucieux de sécurité. Mais l’Etat, les ONG et les médias ont aussi un rôle à jouer pour éviter de nouveaux drames.

    Róbert Braun | Hírszerzö


    Le 4 octobre dernier, à 12 h 30, Etelka Stump s’apprêtait à déjeuner lorsque sa porte a cédé sous la pression d’une boue rouge qui a tout envahi. Quarante-cinq minutes plus tard, elle réussissait à s’échapper de la maison, dans laquelle elle a perdu tous ses biens. Les propriétaires de MAL Zrt [l’usine d’aluminium dont le bassin de décantation a cédé], un patrimoine qui les place parmi les Hongrois les plus fortunés, ont exploité la vie d’Etelka Stump, ainsi que celle de plusieurs milliers d’habitants de Kolontár et de Devecser. Ils leur ont pris leurs maisons, leurs biens et leur avenir sans les ­prévenir. Etelka et ses compagnons d’infortune paient le prix fort, mais nous – habitants d’Ajka, de Gyr, de Budapest – nous apportons également notre contribution : avec nos impôts, il faudra décontaminer les terres, dédommager les sinistrés et contribuer aux aides sociales de ceux qui ont perdu leur emploi. La fabrication de l’aluminium aurait dû mourir avec la fin du communisme. L’aluminium hongrois est de mauvaise qualité, son extraction coûte cher, il n’est pas compétitif sur le marché. Dans d’autres pays, les frais de stockage des produits toxiques et leur neutralisation élèvent considérablement le prix du produit ; mais pas en Hongrie : l’aluminium hongrois a pu rester compétitif au prix de la vie d’Etelka Stump et de ses compagnons. Mais les propriétaires de MAL ne sont pas les seuls responsables. C’est l’Etat – ses commis et ses politiciens – qui leur a permis de ne pas se conformer aux réglementations qui obligent à réinvestir. La municipalité encaissait les taxes (s’élevant à des milliards de forints) sans prendre de mesures préventives.

    La presse aurait dû parler plus tôt de Kolontár. Elle aurait dû parler d’Etelka Stump et de ses proches durant les trente années où elle a travaillé à l’usine d’aluminium et était soumise aux risques de ce qu’elle vient de perdre. La responsabilité collective est un concept auquel peu de gens s’intéressent. Mais derrière ce concept, il y a des vies, de l’argent et des risques. On ne parle pas ici de dons ni de conscience écologique, mais de la vie d’Etelka Stump.

    Ailleurs aussi, il a fallu des catastrophes pour que la responsabilité des entreprises soit mise en avant. Rappelons-nous les ravages causés par Union Carbide à Bhopal ou la marée noire provoquée par l’Exxon Valdez au large de l’Alaska.

    Nous aurions dû être plus intelligents et profiter des erreurs des autres. Il n’est pas trop tard, il y a des milliers de Kolontár à travers le pays. Les entreprises ne peuvent pas résoudre ce problème seules, nous devons les aider, autant que nous sommes : l’Etat, en réglementant et en incitant ; les ONG, en faisant pression ; les médias, en révélant et en dénonçant. Les PDG et propriétaires d’entreprise doivent quant à eux être attentifs aux risques et les intégrer dans le fonctionnement de leur usine.

    C’est au prix de l’estimation des risques que le profit se justifie. Les chefs d’entreprise doivent comprendre que, derrière des installations au rabais, il y a des vies humaines, souvent proches (comme celles d’Etelka Stump et de sa famille), parfois lointaines (comme celles des travailleurs chinois et cambodgiens tenus en esclavage), parfois encore plus lointaines (comme nos enfants pas encore nés).

    Quant à savoir si le sacrifice des habitants de Devecser restera une note de bas de page dans l’histoire du précapitalisme hongrois ou s’il marque le début d’un management durable et responsable, cela ne dépend que de nous. Le drame et la crise sont l’occasion de changer de méthodes et de choisir de vivre dans un pays meilleur et plus heureux.


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