• La Chine communiste découvre le droit des travailleurs

    Face aux révoltes des ouvriers, la province du Guangdong a envisagé d'instaurer des négociations en entreprise
    Shenzhen Envoyé spécial

     

    Après dix jours d'accélération d'une cadence de travail infernale, les ouvrières de l'usine Brothers de Shenzhen, dans la province chinoise du Guangdong, ont tout simplement abandonné leurs lignes de production. Alors que le patron venait sur le terrain s'enquérir du bon fonctionnement du gigantesque atelier, les salariées - uniquement des femmes - sont sorties scander : " Tu nous traites comme des lapins. " C'était mi-septembre. Pendant quatre jours, le fabricant japonais d'imprimantes avait alors suspendu son activité puis s'était résolu à augmenter le salaire de base de 1 200 à 1 300 yuans (de 130 à 140 euros) par mois, pour des semaines de 40 heures.

    Ma Xiling, arrivée il y a cinq mois dans l'usine dortoir de Brothers à Baolong, une " cité industrielle " typique des alentours de Shenzhen, dont l'économie repose à 65 % sur le secteur manufacturier, déchante. " Nous sommes usées. Le rythme augmente mais nous n'arrivons toujours pas à joindre les deux bouts ", dit-elle. En cumulant les heures supplémentaires, la jeune fille gagne presque 1 800 yuans, toujours mieux que son précédent salaire de vendeuse dans la province pauvre du Gansu.

    Installées dans les gargotes qui font face à leurs dortoirs, les ouvrières, en pantalon marron et chemise ocre, évoquent l'une des raisons de leur grève : il n'existe aucun dialogue avec la direction. " Ici, quand tu as un souci, tu peux toujours aller voir ton contremaître et espérer qu'il en fasse part plus haut ", explique Ma Xiling.

    Le syndicat ? Elle connaît le concept, bien sûr, mais est incapable de dire s'il y en a un dans son usine ni même à Shenzhen, et avoue mal percevoir où il s'intercalerait dans l'entreprise. Ce qu'elle sait, en revanche, c'est que les ouvriers des environs ont eu écho de cette modeste augmentation obtenue en bloquant les chaînes de production et elle ne s'étonnerait pas que certains s'en inspirent à l'avenir.

    Au constat de la montée des tensions, après des débrayages chez Toyota et Honda et une médiatisation des suicides dans les dortoirs du géant de l'électronique Foxconn depuis le printemps, les autorités du Guangdong s'interrogent. Elles ont même envisagé, début septembre, une réforme ambitieuse : contraindre les patrons à ouvrir des négociations avec leurs salariés lorsqu'un cinquième d'entre eux l'exigent et à faire siéger un tiers de représentants des travailleurs aux conseils de direction, qui fixent les rémunérations.

    Cette révolution n'était pas du goût de tous et a particulièrement froissé les investisseurs étrangers, dont les Japonais. Mais ce sont ceux de Hongkong, voisins de Shenzhen, qui ont déployé le plus d'énergie pour couler le projet. " C'est absolument contraire à la rationalité de l'entreprise, cela menacerait l'activité de la province ", prévient Leung Wai-ho, président du Conseil des jeunes industriels de Hongkong, un groupement d'entrepreneurs revendiquant 1,2 million de salariés au Guangdong. Il est allé faire part en personne au gouvernement de son opposition, d'autant, relève-t-il, que les salaires minimums ont déjà été augmentés cette année, passant par exemple à 1 100 yuans à Shenzhen. Opération réussie : le 21 septembre, le projet était reporté sine die.

    " Le sujet est très chaud en ce moment, constate Guo Wanda, vice-président d'un cercle de réflexions gouvernemental basé à Shenzhen, l'Institut de développement de la Chine. Les autorités savent qu'il faut avancer sur les droits des travailleurs mais se demandent aussi si cela ne va pas faire fuir les investisseurs. " Certains estiment que les arrêts de travail se multiplieront tant que le pays ne se dotera pas d'une représentation efficace des intérêts ouvriers, passés au second plan au cours de trente années de croissance. Le premier ministre, Wen Jiabao, a appelé à ce que le syndicat joue pleinement son rôle.

    Le syndicat unique reste pourtant du côté de l'Etat-parti. " Son budget vient du gouvernement, qui nomme aussi ses dirigeants ; les ouvriers ne savent pas qu'il est chargé de les défendre, et il n'est pas incité à le faire puisqu'il doit d'abord assurer la stabilité ", explique le militant en faveur des droits des travailleurs Liu Kaiming.

    Modèle suédois

    Pékin n'est certainement pas prêt à tolérer des organisations ouvrières indépendantes, selon Geoffrey Crothall, de China Labour Bulletin, une organisation non gouvernementale installée à Hong-kong. " Le syndicat étatique ne fait pas confiance aux ouvriers à la base. Il faudrait au minimum qu'il évolue pour représenter leurs intérêts plutôt que d'essayer de les contrôler ", relève-t-il.

    Plus pragmatiques qu'ailleurs, les dirigeants du Guangdong observent ce qui se fait à l'étranger et pourraient s'en inspirer. La proposition noyée par le lobby hongkongais est directement issue du modèle de management suédois. Mais ils savent aussi ce dont ils ne veulent pas. L'affaire TCL, un groupe chinois d'électronique refroidi par la fronde des syndicats lorsqu'il s'est lancé en France, a marqué leurs esprits, raconte Guo Wanda. " C'est même devenu un cas d'école de ce qu'ils ne feront pas ici. "

    Harold Thibault

    • Un syndicat unique dirigé par le Parti

      La République populaire de Chine compte un seul syndicat, placé sous la tutelle du Parti communiste, la Fédération des syndicats de l'ensemble de la Chine, qui revendiquait officiellement 212 millions de membres en 2008.

      Les organisations ouvrières indépendantes sont interdites. Les récentes grèves ont mis en évidence les failles du syndicat étatique : des heurts ont opposé ouvriers et syndicalistes inféodés aux patrons lors d'un débrayage chez Honda. Les grandes confédérations internationales ne le reconnaissent pas comme une organisation représentant les intérêts des travailleurs.


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  • La Chine est désormais le plus important consommateur d'énergie, devant les États-Unis

     

     

    En raison de son développement économique, les besoins en énergie de l'ex-Empire du Milieu ne cessent de progresser. Selon l'OPEP, le pays consommera 5,5 % de pétrole en plus cette année.

    C'est un nouvel indice du basculement du monde de l'après-crise. « La Chine est désormais le plus important consommateur d'énergie », a annoncé mardi Nobuo Tanaka, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'organisme chargé de conseiller les pays de l'OCDE en matière d'énergie. Déjà, le rapport du pétrolier BP sur la situation énergétique dans le monde en 2009 indiquait que les États-Unis et la Chine avaient la même part dans la consommation mondiale d'énergie primaire, à 19,5 %. Mais la répartition différait, la Chine représentant près de la moitié du charbon brûlé dans le monde (46,9 %) mais à peine 3% du gaz naturel, ce qui devrait changer avec l'inauguration d'un oléoduc venant de Russie cette année, et la volonté de substituer cette énergie au charbon car moins polluante. L'énergie nucléaire ne représente de même quà peine 2,6 % de la consommation chinoise contre 15,2 % aux États-Unis, mais Pékin souhaite développer l'atome, qui n'émet pas de gaz à effet de serre, et envisage de commander des centrales à Areva.

    La Chine bénéficie d'une bonne couverture hydraulique, dont elle consomme 18,8 % de la consommation mondiale (contre 8,4 % par les États-Unis). Quant au pétrole, elle en consomme un peu moins de la moitié de ce qu'en brûle les Etats-Unis.

    Progression tous azimuts

    Mais la dynamique va vers plus de consommation d'énergie chinoise, la reprise économique américaine restant anémique. Le rapport mensuel de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), paru mardi, signale d'ailleurs que sur les 1,13 million de barils par jour (bj) supplémentaires que la planète consommera cette année, l'Asie (hors membres de l'OCDE) représente plus de la moitié de cette consommation supplémentaire, à 670.000 bj, dont 450.000 bj pour la seule Chine. Même si les États-Unis devraient consommer cette année 1,63 % de plus qu'en 2009, pour la Chine, ce sera 5,5 %. Pour 2011, les experts de l'Opep tablent sur une progression de la demande pétrolière chinoise de 4,9 %, tandis qu'elle augmentera à peine en Amérique du Nord.

    La Chine devient de plus en plus énergivore comme le montre la hausse de la consommation d'électricité de 14,7 % sur une base annuelle (en août), et de 2 % par rapport à juillet. Sur les huit premiers mois de l'année, elle est en hausse de 19,3 % par rapport à la même période de 2009, pour répondre tant aux besoins des industriels que des ménages. Les ventes d'automobiles, elles, progressent de 16,1 % sur un an, dopées par une prime de l'État chinois aux acheteurs de 11 milliards d'euros. Robert Jules


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  • Quelqu’un veut-il d’une Europe fédérale ?

     The Independent Londres

     

    Tiounine
     

    En pleine crise de confiance, l'Europe est divisée en deux camps avec d'un côté ceux qui souhaitent relancer le projet fédéral et, de l'autre, ceux qui plaident pour une forme- de style britannique- moins contraignante d'adhésion. Et il est bien difficile de dire laquelle de ces deux visions est la bonne.

    Ecoutez un instant les opinions (quelque peu simplifiées et paraphrasées) d’un vétéran de l’Europe. "L’Union européenne est morte, vive l’Europe. Il n’y aura jamais d’autre traité européen. L’accord de « réforme » signé à Lisbonne il y a trois ans a marqué l’apogée du vieux rêve fédéral". Ceci (poursuit-il) n’est pas un échec mais une chance. "Si nous parvenons à enterrer le mythe fédéral, nous pourrons créer un projet européen plus léger et plus efficace, mené en bonne partie par des Etats nations et non par Bruxelles. Nous pouvons créer un pouvoir européen beaucoup plus fort et plus concret, une "Europe puissance" pour préserver le mode de vie européen contre les sombres assauts du XXIe siècle".

    Qui parle ? L’expression "Europe puissance" est un indice. Ce vétéran de l’Europe n’est pas un Anglais même si ses idées ressemblent fort à celles défendues par les gouvernements britanniques successifs depuis plus d’un demi siècle. Ce vétéran de l’Europe est Hubert Védrine, 63 ans, ministre français des Affaires étrangères entre 1997 et 2002 et secrétaire général du très européen président Mitterrand entre 1991 et 1995.  Védrine n’exprime pas seulement ses opinions personnelles mais ce qu’il considère comme une nouvelle réalité politique européenne. Et un nouveau réalisme.

    Rares sont ceux qui réclament plus de pouvoir pour Bruxelles

    A vrai dire, ce n’est pas tout à fait nouveau. Les gouvernements du continent s’éloignent des objectifs fédéraux depuis plus de dix ans, sans jamais parvenir à la moindre conclusion réaliste sur l’avenir de "l’Europe". Mais réfléchissons un peu. Les représailles de Sarkozy contre Bruxelles après les critiques de sa politique contre les Roms ne sont rien d’autre que Sarkozy faisant du Sarkozy. La volonté du président français – ou sa détermination – à s’en prendre à la Commission européenne reflète toutefois une méfiance nouvelle de la France vis-à-vis de l’Europe, aussi bien parmi les citoyens ordinaires que dans les élites au pouvoir.

    La chancelière allemande, Angela Merkel, n’a pas grandi à l’intérieur des frontières du marché commun, de celles de la communauté économique européenne ou de l’Union européenne mais en République démocratique allemande. Elle a une vision pragmatique de l’Europe. Contrairement au chancelier Kohl, elle n’aurait jamais abandonné le deutsche mark pour l’euro pour affirmer une position – essentiellement – politique (et faire plaisir aux Français).

    Gouvernée par l’inepte Berlusconi, l’Italie autrefois pro-fédérale n’a plus de vision cohérente de l’Europe. Les anciens euro-fédéralistes néerlandais ont redécouvert le sentiment nationaliste et viré vers la droite populiste. La Belgique reste favorable à l’idée d’une Europe fédérale mais la Belgique n’existe pratiquement plus. Quant au Luxembourg, c’est un peu court, ainsi que l’a rudement fait remarquer Nicolas Sarkozy.

    Les habitants de la péninsule ibérique n’ont guère participé au débat. Les nouveaux arrivants de l’Est ont rejoint l’Europe "parce qu’elle était là" mais son grand rôle de référence pour leur fragile transition vers la démocratie et la prospérité est souvent oublié (surtout en Europe de l’Est). Quoi qu’il en soit, rares sont ceux dans les anciennes républiques soviétiques qui réclament une Europe plus fédérale ou plus de pouvoir pour Bruxelles.

    Cameron n'a pas peur du trio Merkel-Sarkozy-Berlusconi

    Et le Royaume-Uni dans tout ça ? Le projet du parti conservateur lors des dernières élections parlait de réduire l’Union européenne à une "association d’Etats membres", autrement dit un club intergouvernemental sans règle ni traité juridiquement contraignant. L’accord de coalition signé avec les libéraux démocrates ne disait d’ailleurs rien sur le sujet.

    Même les nouveaux eurosceptiques français et allemands, dont Hubert Védrine, parlent désormais d’approches intergouvernementales plus souples en matière de politique européenne (notamment la défense, les affaires étrangères, l’industrie et les projets de recherche conjoints). Ils ne parlent pas (encore) de démanteler les traités fondamentaux sur lesquels reposent le marché européen, l’euro, le budget européen ou la politique agricole commune.

    Il n’empêche que David Cameron ne semble pas avoir grand-chose à redouter d’une Europe menée par le trio Merkel-Sarkozy-Berlusconi. Et, vu leur humeur actuelle, les Européens n’ont pas grand-chose à craindre de David Cameron non plus. En réalité, si Hubert Védrine ne se trompe pas, Cameron pourrait même avoir une chance de prendre la relève de l’Europe pour l’amener vers une solution pragmatique avec un modèle intergouvenemental, coopératif et respectueux de la souveraineté nationale tel que le Royaume-Uni le défend depuis le début.

    Un groupe pour combattre l'hérésie intergouvernementale

    Mais Védrine a-t-il raison ? La plupart des choses qui fonctionnent (si bien que nous n’y prêtons généralement pas attention) en Europe reposent sur des traités supranationaux - le marché unique, qui attire les investisseurs étrangers sur le marché industriel européen, ou l’ouverture à la concurrence, qui nous offre des vols bon marché sur tout le continent - et la plupart des choses qui ne marchent pas en Europe – la politique étrangère européenne, avant comme après Catherine Asthon – reposent sur des accords intergouvernementaux et non contraignants.

    Le mois dernier s’est formé en toute discrétion un nouveau groupe, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement européen pour combattre l’hérésie "intergouvernementale" et défendre la vieille religion européenne fédéraliste. Le groupe s’est baptisé Altiero Spinelli, en référence au théoricien politique italien considéré comme l’un des pères fondateurs du modèle supranational de la CEE/CE/UE.

    Parmi ses membres figurent l’ancien président de la Commission, Jacques Delors, l’étudiant franco-allemand rebelle reconverti en figure du parti écologiste, Daniel Cohn-Bendit, et l’ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. Dans leur manifeste, ils déclarent : "En ces temps d’interdépendance et de mondialisation, s’accrocher ainsi aux ombres de la souveraineté nationale n’est pas seulement renier l’esprit communautaire ; c’est surtout se condamner à l’impuissance politique".

    L'argumentaire de Védrine, "c'est n'importe quoi"

    J’ai téléphoné à Daniel Cohn-Bendit pour lui demander ce qu’il pensait de l’argumentaire de Védrine.  "C’est n’importe quoi, a-t-il répondu. Absolument n’importe quoi. Si vous regardez les échecs de l’Europe aujourd’hui – la réglementation financière par exemple, ou bien sur le réchauffement climatique -, vous voyez qu’ils sont justement liés à l’incapacité des gouvernements (réunis lors du conseil des ministres) à s’entendre sur quoi que ce soit d’important". Cohn-Bendit reconnaît toutefois qu’il s’est opéré un changement d’humeur radical dans les capitales européennes.

    Tout en dénigrant Védrine, il admet l’un de ses principaux arguments : l’Europe traverse une crise de confiance. Les pères fondateurs de l’UE (née CEE) pensaient que le fait européen imposé d’en haut finirait par générer une forme d’identité politique européenne. A terme, il serait possible (dans une "union toujours plus étroite") de créer une vaste démocratie européenne avec une sorte de grand gouvernement européen.

    Un discours déprimant mais juste

    A présent, il semble que le dispositif mis en place dans les années 50 ne fonctionne plus. Pour donner plus de pouvoir à l’Europe, il faudrait plus de démocratie directe. Or les administrations et les responsables politiques nationaux n’accepteront jamais de céder plus de cette démocratie directe dont ils tirent pouvoir et légitimité. Sans légitimité, l’Europe restera un pouvoir lointain et mal-aimé. Et tant qu’elle restera lointaine et mal-aimée, il y a peu de chance que les citoyens réclament plus de démocratie directe pour l’Europe.

    Les gouvernements membres ont profité de ce nœud gordien pendant des années (y compris pendant les prétendues Grandes années de l’Europe en marche). Avec 27 pays membres (et plus à l’avenir) et une perte d’enthousiasme communautaire en Allemagne, en France et en Italie, l’Europe fédérale n’est pas près de crever le plafond.

    Le discours de Védrine est peut-être déprimant mais il est juste. L’union toujours plus étroite promise par le traité de Rome de 1957 a concrètement de fortes chances de ne jamais être une union étroite. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faudrait abolir les institutions européennes ou les laisser s’effondrer. Nous serions seulement confrontés aux mêmes problèmes pan-européens – commerce, immigration, environnement – sans aucun cadre de discussion ou de décision.

    Dans toute l'Europe, le visage hideux du nationalisme réapparaît

    Védrine parle de réhabiliter "la nation" sans revivifier les forces destructives du "nationalisme". Pourtant dans toute l’Europe – de l’Italie à la Belgique en passant par la Hongrie et même l’imperturbable Suède ainsi que la France de Sarkozy – le visage hideux du "nationalisme" commence déjà à réapparaître. Est-il vraiment judicieux de laisser les institutions européennes s’effondrer à un moment pareil ?

    Védrine ne dit pas comment remplacer l’actuel modèle – inachevé – d’Europe supranationale par sa vision de la "Meilleure des Europes". Quoi qu’en disent les Britanniques, le marché européen ne survivrait pas un jour sans les lois et les institutions européennes. Védrine ne répond pas non plus à l’argument imparable de Cohn-Bendit : les accords intergouvernementaux sont de facto fragiles et temporaires parce que les gouvernements sont fragiles et temporaires. Comment Védrine pourrait-il mener ses nouvelles politiques en matière de défense, d’affaires étrangères, d’industrie et de recherche sans tomber dans le piège des coups de poker politiques, aussi instables que les gouvernements ?

    L’Europe pourrait bien suivre une évolution proche de ce que Védrine décrit dans les dix prochaines années. Ce changement pourrait survenir sous la forme d’un salmigondis incohérent, ou bien suivre une direction cohérente, désirée, transparente et démocratique : l’acceptation formelle que les Etats-Unis d’Europe sont un rêve impossible, et peut-être destructeur, mais que les institutions supranationales au cœur des processus de décision européens sont plus que jamais nécessaires.

    Cela demanderait la conclusion d’un nouveau traité européen. Et pourtant Védrine affirme qu’il n’y a pas de place pour un nouveau traité européen…Y a-t-il un homme ou une femme d’Etat dans la salle ?


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  • Migrations et démographie

    A Budapest, les “bananes” ont la vie dure

     Népszabadság Budapest

    L’école chinoise de Budapest

    Arrivés avant la chute du communisme, les immigrés Chinois ont fait du pays la plaque tournante du commerce avec l’Europe centrale et orientale. Mais leur présence suscite l’hostilité.

     “Je ne suis pas raciste, mais je déteste les Chinois et les Noirs.” Cette phrase, entendue lors d’une enquête sur l’accueil des élèves étrangers dans les établissements hongrois, est devenue familière. Alors même que le nombre des nouveaux immigrés ne cesse de baisser en Hongrie (leur taux n’atteint pas 2 % de la population), la xénophobie a doublé. Les Chinois sont les premières cibles de ces attaques.

    C’est particulièrement vrai à Budapest, où les affaires du marché chinois du 8e arrondissement discréditent la colonie. Les produits de haute technologie de l’industrie mécanique et électronique, qui atteignent un montant de quelque 7,5 milliards de dollars [5,5 milliards d’euros], représentent 80 % des échanges économiques entre la Chine et la Hongrie. Mais les étals du marché de Kőbánya [arrondissement populaire de Budapest] exaspèrent les autorités : lors des inspections, on trouve à chaque stand des irrégularités.

    D’après le service ministériel créé pour aplanir les relations entre les deux pays, les contrevenants sont peu nombreux. Les Chinois de Hongrie regardent d’un mauvais œil tout trafic illégal. Les immigrés asiatiques ont commencé à déferler peu de temps avant la chute du régime communiste. Après la suppression des visas entre les deux pays, en 1988, le nombre des Chinois enregistrés est passé de 0 à 30 000 en trois ans. Les travailleurs immigrés qui se trouvaient en Hongrie aux derniers jours de l’ancien régime ont mis en route l’importation des vêtements.

    Au début, la marchandise arrivait dans des valises, par le Transsibérien, puis, au début des années 1990, dans des conteneurs. En quelques années, la Hongrie est devenue la plaque tournante des importations chinoises vers les pays d’Europe centrale et orientale. Selon les chiffres de l’Office d’immigration et de naturalisation, 11 000 Chinois vivent actuellement en Hongrie en toute légalité. Mais on estime leur nombre réel à 20 000, voire 30 000. Ils vivent majoritairement à Budapest.

    Mais il n’existe pas de quartier chinois. Probablement parce que la mafia chinoise a, dès les années 1990, jugé plus prudent qu’ils vivent dispersés. En revanche, aux alentours du marché des Quatre-Dragons, leur densité est patente. Ceux de la colonie qui ne parlent pas hongrois – et ils sont majoritaires – peuvent y régler presque tout. On y trouve coiffeurs, médecins, restaurants et lieux de divertissement. En 2002, ils ont ouvert leur propre établissement bancaire, la Bank of China – signe que les Chinois rechignent à se mélanger à la population locale.

    Il est vrai que la Hongrie n’aide pas leur intégration. Il y a deux ans, le Parlement a adopté deux lois sur l’immigration, mais le pays n’a toujours pas de stratégie concernant les migrants – alors que l’Union européenne serait prête à financer ce genre de projet. Les Chinois en profiteraient-ils ? Pas sûr. Ils ne s’intéressent pas vraiment à d’autres cultures, à d’autres sociétés. Ils sont extrêmement mobiles, mais ils vivent partout comme chez eux.

    Leur valeur principale est l’argent ; le ressort de l’amitié est également la réussite financière. Au lieu d’apprendre la langue et les coutumes du pays, les plus aisés ont un chauffeur, un interprète et un négociateur, ils envoient leurs enfants dans des écoles anglophones. (Peu d’entre eux profitent des écoles bilingues hongrois-chinois mises en place en 2004.) Dans leur majorité, ils considèrent la Hongrie comme un pays de transit. Ils y font fortune, puis rentrent au pays ou filent à l’Ouest.

    Pour mourir, en revanche, ils rentrent toujours au pays natal. (En cas d’impossibilité, leurs cendres y sont envoyées.) Une douzaine d’organismes chinois fonctionnent en Hongrie. Au lieu de servir les migrants, ils font un travail de communication vers l’Etat chinois. Ils éditent des journaux – une dizaine, même en ces temps difficiles – dans lesquels ils rendent compte de la vie de la colonie chinoise. La deuxième génération est moins attachée aux traditions. Les vieux Chinois appellent ces enfants des “bananes” : ils sont jaunes dehors, mais blancs dedans.


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  • Le made in China taxes non comprises

     

    Hospodářské Noviny Prague


    Un atelier de confection à Prato, Italie.

     

    Plaque tournante du trafic de textile en provenance d’Asie, la République tchèque cherche les moyens de lutter contre cette activité. Une coopération fiscale entre Européens est à cette fin indispensable.

    Chaque jour, près de 50 conteneurs chargés de 800 tonnes de textiles et de chaussures importées illégalement de Chine et du Vietnam affluent vers la République tchèque. Une partie de la marchandise reste dans le pays, une autre poursuit sa route ailleurs en Europe.

    Ces derniers mois, le phénomène des fraudes sur le textile asiatique importé a pris une ampleur considérable. Ainsi, Jiří Barták, porte-parole de l’administration douanière tchèque, affirme : "Tout porte à croire que les trafiquants asiatiques utilisent la République tchèque comme une immense plaque tournante à travers laquelle leurs produits peuvent pénétrer dans l’espace de libre circulation des marchandises de l’Union européenne".

    Le plus grand gang démantelé

    L’administration éprouve toujours le plus grand mal à identifier les "cerveaux" de ce commerce illégal. Les marchandises importées sont destinées à des sociétés créées spécifiquement pour les réceptionner. Il est souvent très difficile de savoir qui se tient derrière elles. Elles achètent des millions de tonnes de vêtements pendant les premiers mois de leur existence puis disparaissent dans la nature lorsqu’elles doivent déclarer et payer la TVA. Le propriétaire de l’entreprise est un prête-nom, un homme de paille, ou un étranger qui se trouve depuis bien longtemps hors de la République tchèque lorsque l’escroquerie est découverte.

    En mai dernier, les douaniers ont réussi à démanteler le plus grand gang ayant jamais organisé un trafic d’importations illégales de marchandises sur le sol tchèque. Dans le cadre de cette affaire, le préjudice pour le pays est évalué à au moins 65 millions de couronnes [2,65 millions d’euros]. Mais ce réseau organisé par des Chinois ne représente que 10 à 15% de l’ensemble du commerce illégal dans le pays.

    "Il faisait partie de l’une des premières organisations criminelles chinoises à opérer en Europe. Disposant de moyens financiers illimités, ses membres vivaient sur notre territoire dans le luxe", explique Aleš Hrubý, enquêteur auprès de l’administration douanière. Le siège du réseau se trouvait à Prague et l’organisation opérait en partie en Ústecko [dans le nord du pays, près de la frontière allemande]. Les douaniers ont même mis au jour le lieu où une Chinoise établissait des fausses factures qui permettaient aux négociants de payer moins de droits de douane. Le montant des factures émises ne dépassait pas 15 000 dollars [10 800 euros] alors que la véritable valeur des conteneurs importés variait de 80 000 à 200 000 dollars [57 600 à 144 000 euros].

    Besoin de réformer la TVA au niveau européen

    L’administration douanière, le ministère des Finances et même l’Union européenne sont aujourd’hui très préoccupés par l’essor du commerce illégal. Au niveau européen, la question de l’introduction du nouveau système de TVA fait l’objet d’intenses discussions. Les Autrichiens et les Allemands ont proposé que s’applique pour toutes les marchandises un système d’autoliquidation généralisé. Autrement dit, c’est à l’acquéreur final qu’il incomberait de s’acquitter de la TVA.
     

    Aujourd’hui, les Etats ne peuvent introduire ce système que pour certaines marchandises. "Il faudrait pouvoir obtenir un droit d’exemption négocié au sein de l’Union européenne pour les Etats membres concernés, estime Jan Knížek, directeur de l’administration douanière tchèque. Les fraudeurs seraient alors obligés de déplacer leurs activités vers un autre pays. Voilà pourquoi, avec la menace grandissante représentée par ces fraudes, l’UE devrait réfléchir à un changement global de tout le système actuel de la TVA."

    Il est également question de soumettre les sociétés de transport à l’obligation de déclarer dans un système d’information commun les marchandises importées. Cela permettrait aux douaniers de disposer d’un contrôle facilité sur l’afflux de marchandises.

    La Hongrie, qui était il y a encore trois ans le lieu de transit de ces importations, a réglé le problème lorsque ses douaniers ont commencé à percevoir la TVA lors du dédouanement des marchandises. Les administrations tchèques envisagent d’introduire des mesures similaires. "Mais le problème, fait observer Knížek, c’est que cela compliquerait aussi la vie des personnes honnêtes, qui constituent la majorité des hommes d’affaires".

    Italie
    Prato, capitale du made in Italy chinois

    Autrefois célèbre pour son chic "made in Italy", la ville de Prato en Toscane abrite désormais la plus grande concentration d'immigrés chinois en Europe, rapporte The New York Times. Sur une population totale de 187 000 personnes, quelque 36 000 immigrés, avec ou sans papiers, "travaillent 12 heures par jour dans quelque 3200 ateliers de fabrication d'habits, de chaussures et d'accessoires bas de gamme". Depuis 2001, selon la chambre de commerce locale, le nombre d'Italiens propriétaires d'entreprises de textile a chuté de moitié. "Mais ce qui semble exaspérer le plus certains italiens est que les Chinois les battent à leur propre jeu", note le quotidien,  "usant de l'évasion de la TVA et sachant détourner de façon brillante la fameuse complexité de la bureaucratie italienne". Tandis que les entreprises locales souffrent, les entreprises chinoises rapatrient environ 1 million d'euro chaque jour et font du tort au "made in Italy'" "La tension est forte depuis le printemps dernier, lorsque la police italienne a fait des descentes dans des ateliers qui employaient de la main d'oeuvre sans papier", écrit le New York Times, "et elle ne cesse de croître depuis que des procureurs italiens ont fait arrêter 24 personnes et examinent les dossiers de 100 entreprises de la région de Prato depuis fin juin. Les autorités les soupçonnent de blanchiment d'argent, prostitution, contrefaçon et d'estampiller des produits fabriqués à l'étranger du certificat 'made in Italy'".


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