• De la responsabilité sociétale des entreprises

    De la responsabilité sociétale des entreprises

    Jagdish Bhagwati

     

    NEW YORK – Les entreprises sont de plus en plus mises sous pression, souvent par des organisations activistes non gouvernementales, pour assumer certaines “responsabilités sociétales des entreprises” (RSE) spécifiques. Mais le fait que ces responsabilités sociétales soient exigées, et occasionnellement concédées, n’éclaire en rien ni la logique qui les porte, ni la façon selon laquelle elles doivent être appliquées.

    Ces RSE peuvent être classées en deux catégories : ce que les entreprises devraient faire (par exemple, soutenir une ONG pour le droit des femmes ou construire une école de village) et ce qu’elles ne devraient pas faire (comme par exemple rejeter du mercure dans les rivières ou enfouir des produits nocifs). Cette dernière catégorie est tout à fait conventionnelle et sujette à des règlementations (et plus récemment, à débat quant à ce que les entreprises devraient faire lorsque le pays où elles sont implantées ne possède pas de réglementation spécifique).

    Mais ces obligations de RSE constituent-elles réellement une bonne pratique ? Milton Friedman et d’autres commentateurs politiques se posaient souvent la question de savoir s’il était vraiment du ressort des entreprises de pratiquer l’altruisme social. Avant la naissance des sociétés de capitaux, il y avait principalement des empires familiaux, comme celui des Rothschild. Lorsque ces empires gagnaient de l’argent, cela bénéficiait principalement directement à la famille. L’altruisme, le cas échéant, était aussi entrepris par la famille qui décidait alors de dépenser, ou pas, cet argent, et de quelle manière. Que l’entreprise, ou ses actionnaires, et d’autres parties prenantes dépensent leur argent n’était pas la question.

    Les grandes entreprises familiales ont pour la plupart disparu avec la montée en puissance des sociétés de capitaux. Mais cela ne veut pas dire qu’une société de capitaux soit l’entité adéquate pour appliquer l’altruisme – même si différents actionnaires peuvent évidemment dépenser une quelconque fraction des revenus obtenus par le biais de ces sociétés et d’autres sources, de manière altruiste. Plutôt qu’une RSE, nous devrions opter pour la RSP (Responsabilité Sociétale Personnelle).

    Un autre argument en faveur de la RSP est que le fait d’exiger une RSE devient une façon de ‘se renvoyer la balle’ – de se dérober de sa propre responsabilité à faire le bien. C’est ce qui résulte du fait de blâmer les entreprises pour tout et n’importe quoi, depuis l’obésité jusqu’à une brulure causée par un café renversé – deux cas qui ont fait l’objet de procès récemment.

    Il y a aussi un autre avantage à remplacer la RSE par la RSP : la diversité des approches à l’altruisme est bénéfique. Le Grand Timonier voulait voir éclore cent fleurs, mais uniquement pour pouvoir ensuite les couper à la racine. La RSP s’apparente cependant plus à la métaphore des « mille points lumineux » du président George H.W. Bush.

    En outre, il semble difficile pour les actionnaires d’une société de capitaux de parvenir à un consensus démocratique sur la manière d’engager sa RSE pour leur compte ; chacun estimant que sa propre conception de la RSE serait la meilleure.

    Il y a malgré tout des arguments très forts en faveur de la RSE. Tout d’abord la réalité politique est que la société considère les sociétés de capitaux en tant qu’individus, ce qui est aussi une réalité juridique pour d’autres domaines. La société exige de plus en plus de ces « citoyens-entreprises » qu’ils soient altruistes, tout comme les sont les individus. Compte tenu de cette réalité, les sociétés de capitaux donnent simplement parce que c’est ce qui est attendu d’elles. Ce genre de RSE confère une bonne image à l’entreprise, tout comme les dons effectués par Bill Gates et Warren Buffet en font de bons millionnaires.

    Ensuite, de nombreuses sociétés considèrent leur RSE comme une stratégie défensive efficace contre le pouvoir des ONG activistes (tel que Green Peace) qui recourent désormais à l’internet pour lancer des campagnes d’actions, de boycott, et autres formes de « chantage » contre des entreprises ciblées pour qu’elles cèdent aux demandes des activistes. Plus une entreprise répondra à ses RSE, moins les efforts de ces activistes auront de poids ou seront même engagés.

    Les expériences contrastées de Coca-Cola et de Pepsi permettent de constater que Coca-Cola a été pointée du doigt par les ONG pour des manquements en matière d’environnement de législation du travail. Pepsi, par contre, qui s’était à une époque associée à AT&T et à la CIA pour renverser le président Salvador Allende au Chili, s’est refait une virginité aujourd’hui parce qu’elle a distribué avec largesse ses RSE à différentes causes embrassées par des ONG influentes.

    C’est une leçon que Wal-Mart a parfaitement intégrée. En 2005, l’Union Internationale des Employés des Service a crée l’Observatoire de Wal-Mart, doté d’un budget annuel de 5 millions de dollars. L’objectif était de faire de Wal-Mart un « meilleur employeur, un meilleur voisin et une entreprise citoyenne, » et Wal-Mart a elle aussi fini par capituler sur certaines des demandes spécifiques de l’UIES.

    Et enfin, la RSE peut simplement relever de la publicité. Dans ce cas, le choix de la manière avec laquelle le budget alloué à la RSE doit être dépensé se focalise principalement sur comment générer des revenus supplémentaires, tout comme la publicité, et particulièrement sur les ventes, tout comme la publicité. Un bon exemple est le cas du soutien d’Adidas aux tournois de tennis. Un mauvais exemple est le cas de Philip Morris, et de ses dons financiers en faveur des musées, des orchestres symphoniques et des opéras, cyniquement destinés à acheter les artistes qui pourraient autrement être tentés de militer pour l’interdiction du tabac.  

    Toutes ces différentes logiques derrière la RSE suggèrent qu’il devrait être laissé à chaque société de capitaux de déterminer, tout comme la RSP renvoie l’altruisme de chacun à sa propre conscience et à son bon sens, ce qui mérite d’être soutenu. Non seulement la volonté de certaines ONG et de certains activistes d’enfermer la RSE dans un carcan coïncidant avec leurs propres priorités n’est pas une bonne idée, mais elle doit être rejetée.

    Le modèle à suivre devrait plutôt être celui de la Convention Globale, à l’initiative de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. K. Annan a établi dix principes directeurs de grande envergure tout en laissant la liberté aux sociétés signataires de choisir parmi cette liste ceux qu’elles préférent soutenir activement.

    Jagdish Bhagwati, professeur en économie et en droit de l’Université Columbia et membre du Conseil des Affaires étrangères pour l’économie internationale, est l’auteur de Termites in the Trading System: How Preferential Trade Agreements Undermine Free Trade (Des termites dans le systèmes des échanges commerciaux : comment les accords commerciaux préférentiels sapent le libre échange, ndt).

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

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