• France Télécom: et si c'était pire encore ?

    France Télécom: et si c'était pire encore ?<o p="#DEFAULT"></o>

     

    Par Mathieu Magnaudeix

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    Lundi 14 décembre, le cabinet Technologia, expert du stress au travail choisi par la direction de France Télécom pour livrer un audit sur la souffrance au travail, a remis deux rapports. Le premier, la synthèse des 80.000 réponses à un questionnaire adressé aux salariés de l'opérateur télécoms, a été remis le matin et largement commenté dans la presse, dès lundi après-midi. Il confirme un très profond malaise. <o p="#DEFAULT"></o>

     Principaux enseignements : 55% des salariés s'y disent «pas satisfaits» de leurs conditions de travail. Et seuls 39% se disent «fiers» de travailler dans ce groupe. <o p="#DEFAULT"></o>

     Mais le second rapport, livré lundi dans l'après-midi, est encore plus explosif. Comme le prévoit son contrat avec France Télécom, Technologia a compilé 45 expertises commandées par les comités d'hygiène et de sécurité de l'entreprise à la suite de réorganisations, délocalisations, déménagements de site, depuis 2007. <o p="#DEFAULT"></o>

     De cette «analyse documentaire» fouillée, qui s'appuie aussi sur des documents internes et des courriers de l'inspection du travail, Jean-Claude Delgènes et son équipe tirent un constat sans appel: le «changement important de la nature de l'entreprise France Télécom», désormais inscrite«dans une logique guidée par les exigences de court terme des marchés financiers», a conduit à une «dégradation des conditions de travail et de la santé au travail». <o p="#DEFAULT"></o>

    De la compilation des enquêtes, bilans sociaux et autres documents internes à France Télécom, Technologia tire en 63 pages limpides un bilan saignant, dont on a pourtant peu parlé. «C'est à peu près ce qu'on dit, en pire», ironise un élu syndical. D'autant que dans des annexes très volumineuses (une centaine de pages, voir p.3), le résumé détaillé de chacune de ces études, où pas grand-monde ne s'est aventuré jusqu'ici, fait apparaître un tableau dévasté : violence au travail, tendances suicidaires, mutations forcées. Autant de monographies derrière lesquelles, en filigrane, se lisent des drames humains. <o p="#DEFAULT"></o>

    Le cabinet se livre à une sorte d'archéologie de la souffrance au travail chez France Télécom, où 34 suicides ont eu lieu depuis début 2008. Opérant un passionnant retour historique, il montre comment, à partir de 2006, le plan Next, qui vise à faire partir 22.000 salariés, sur fond de déréglementation européenne des télécoms, de mutations technologiques, d'avènement du «client-roi», «va inscrire l'entreprise dans une logique guidée par les exigences de court terme des marchés financiers (...), de création de valeur pour l'actionnaire». <o p="#DEFAULT"></o>

    L'entreprise focalisée sur la performance à court terme se réorganise en profondeur, ferme des sites et introduit le principe des mobilités, le management se concentre sur les indicateurs de productivité à court terme. Les conséquences sont dramatiques : «montée du stress, des tensions et du mal-être au travail», «dislocation/fragmentation des collectifs de travail qui sont en recomposition quasi permanente», «états de détresse pour le personnel», «pertes de repères» : «au final, c'est une violence qui s'intériorise et s'individualise, pouvant aboutir au passage à l'acte».<o p="#DEFAULT"></o>

     En parallèle, la direction a bouleversé son mode de management pour tendre vers plus d'efficacité, introduisant le management par objectif et une foule d'indicateurs pour mesurer la performance. Mais c'est comme si elle n'avait rien su maîtriser. Technologia pointe ses défaillances : elle n'a pas «conduit le changement», l'organisation des ressources humaines a été «décalée» au regard de ce qui se passait sur le terrain, le «système de prévention» de la souffrance au travail a fait défaut. <o p="#DEFAULT"></o>

    Plus encore, insiste Technologia : l'entreprise a contesté 30% des «alertes» des CHSCT devant les tribunaux, «dont un cas de risque grave avec suicide». Ainsi, en septembre 2009, en pleine vague de suicides dans l'entreprise, le CHSCT constate une «dégradation des conditions de travail» dans l'unité pilotage réseau en Ile-de-France. Le médecin du travail évoque des salariés «explos[és]». France Télécom attaque, mais le tribunal évoque un «risque fort de faits gravissimes». L'entreprise est déboutée. C'est toujours le cas, précise Technologia... «Réussite évidente sur le plan financier», Next s'est traduit par une «accélération des changements», «une contraction de la population salariée et une dégradation des conditions de travail». Avec les fonctionnaires en ligne de mire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 2001 et 2008, France Télécom a détruit 44.700 emplois. 94% étaient des postes de fonctionnaires. <o p="#DEFAULT"></o>

     Les mobilités forcées se sont accélérées : rien qu'entre 2005 et 2008, 14.000 personnes ont été mutées... «En ajoutant les plus de 22.000 départs, il ressort qu' un tiers des effectifs a été impacté par Next», dit l'étude. C'est dire l'ampleur, en peu de temps, des changements intervenus... Dans les 45 rapports d'expertise étudiés, Technologia a recensé treize «problèmes de santé au travail» récurrents :

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     Le rapport fait aussi apparaître le grand blues des managers de terrain, assis «entre deux chaises», à la fois «acteurs et victimes» des pratiques qu'ils prônent à leurs subordonnés. Il pointe une organisation inadaptée (direction opérationnelle trop hiérarchisée...), et propose quelques pistes pour «rétablir le dialogue sur le terrain». Mais c'est la lecture des annexes qui s'avère particulièrement fascinante. Et très embarrassante pour l'entreprise. Il s'agit d'un résumé très détaillé des 45 expertises de terrain, commandées ou réalisées par les CHSCT, qui ont servi à élaborer le rapport. Elles concernent les conditions de travail de populations particulières (vendeurs, téléconseillers... ), ou encore l'impact de nouveaux systèmes logiciels, de modifications horaires, de déménagements collectifs, de mobilitées forcées, de regroupements et de fermetures de site, etc., menées entre 2005 et 2009. La plupart de ces expertises ont d'ailleurs été effectuées en 2008 et 2009, signe d'un malaise grandissant. <o p="#DEFAULT"></o>

    Sont décrits sur une centaine de pages des «repères au travail bouleversés», des réorganisations successives et incomprises, des mutations mal préparées, un management défaillant voire «démuni», les «conséquences négatives du management par objectif», la «perte de sens» ou encore la «défaillance manifeste du système de prévention et de détection des risques psycho-sociaux». «Le vase est prêt à déborder», dit une de ces enquêtes, réalisée en octobre 2008 en Ile-de-France. Une autre, rédigée en même temps et dans la même région, évoque des problèmes «de sommeil», «digestifs» et des «symptômes anxio-dépressifs» à la suite d'un regroupement de sites et de changements d'horaires – l'étude préconise même de «tout recommencer»... A Castres, en 2007, des personnels transférés «de manière autoritaire» vers Albi connaissent des «troubles du sommeil ou encore des dérèglements physiologiques voire des troubles de l'humeur». En septembre 2009, une enquête de la médecine du travail auprès des salariés du centre clients Orange de Bordeaux identifie 60% des personnes enquêtées «comme stressées» et 41% «en souffrance mentale». <o p="#DEFAULT"></o>

    Il est aussi beaucoup question de médicaments ou de pychotropes. Ainsi, sur un panel de 80 personnes interrogées dans le sud de <st1 st="on" productid="la France" personname="#DEFAULT" w="#DEFAULT"><st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname></st1> en juillet <st1 st="on" productid="2008, l" metricconverter="#DEFAULT" w="#DEFAULT"><st1:metricconverter productid="2008, l" w:st="on">2008, l</st1:metricconverter></st1>'expert découvre que 56% d'entre elles prennent des «médicaments» et des «substances». <o p="#DEFAULT"></o>

    Au passage, on comprend mieux pourquoi la direction de France Télécom a finalement abandonné en octobre 2009 son projet de délocalisation d'un site de Cahors à Montauban – annonce faite en pleine crise des suicides, et annoncée aux salariés par le PDG Didier Lombard, flanqué de son nouveau numéro deux, Stéphane Richard. L'expertise du projet, dont l'inspection du travail avait demandé la suspension, est en effet accablante : on apprend que l'annonce de la délocalisation fut si brutale qu'elle a «précipité certains dans la dépression : 5 salariés en arrêt maladie pour dépression nerveuse et 3 salariés dans un état fortement préoccupant». L'expert évoque même «trois cas d'intentions suicidaires»... Pire : il apparaît que l'entreprise n'a pas tenu compte d'alertes graves. En mai 2008, un cadre de Rouen ayant tenté de se défenestrer après une altercation avec son supérieur, le CHSCT lance une expertise. Elle indique une hausse de l'absentéisme et des arrêts-maladies. «Mais qui s'en est préoccupé?», peut-on lire. Personne. En tout cas, cette affaire ne semble pas avoir eu de conséquences tangibles, selon Technologia...  Cette étude à Rouen pointe pourtant une organisation du travail largement défaillante : «travail malmené», «manque de prise de conscience de la direction», déni face à la tentative de suicide, la «méfiance et la peur» des salariés...
    Un peu plus tôt, en avril, une expertise menée sur des salariés d'une cellule de recouvrement à Pau vaut mise en garde : «L'effet prolongé de ces diverses pressions et inquiétudes peut générer une attitude de repli voire des passages à l'acte violent.» Et encore : «Il est souhaitable que FT opte pour une démarche d'éradication du caractère pathogène des situations de travail par une prévention effective et efficiente des risques professionnels.» A maintes reprises, Technologia indique ne pas avoir retrouvé de documents indiquant que la direction a pris en main les problèmes.
    Selon la direction de France Télécom
    , l'étude Technologia est une «photo sans concession, mais sans surprise». Lundi soir, le syndicat Sud, qui a annoncé son intention de porter plainte au pénal contre le PDG Didier Lombard, a pointé les «carences de la direction, particulièrement sur son rôle de prévention primaire des risques sociaux» et les «dysfonctionements des politiques RH». Interrogé par Mediapart, Sébastien Crozier, élu CGC-Unsa, exige la «remise à plat des négociations» en cours entre syndicats et direction sur le stress, afin de «refonder le pacte social maison». La direction, elle, souhaite aboutir avant la fin du mois, un délai intenable, selon plusieurs syndicats.  <o p="#DEFAULT"></o>

    France Télécom n'en a pas fini avec le grand déballage. Début 2010, Technologia doit remettre deux autres études. La première concerne les 34 suicides intervenus depuis début 2009 – étude «suspendue à la demande de Technologia», après la polémique née de l'utilisation récente en justice d'une de ces «autopsies psychologiques» par la direction de Renault. La seconde s'appuiera sur 1000 entretiens sur le terrain. Les oreilles de Didier Lombard, encore patron jusqu'en 2011, n'ont pas fini de siffler. 

    Lien vers l'article : lien avec les documents 

    POURQUOI LE TRAVAIL FAIT (de plus en plus) SOUFFRIR 


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