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Joseph Stiglitz et ses confrères sont passés à côté de la vraie question
Prenez une bonne crise intellectuelle en sciences économiques. Mélangez-la avec une dose de pensée française et laissez mijoter un an ou deux dans la cervelle surchauffée de l'économiste Joseph Stiglitz : vous obtiendrez une occasion manquée de se poser des questions de fond.
Début 2008, Nicolas Sarkozy avait mis en place <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> sur la mesure de la performance économique et du progrès social. A l'époque, les problèmes du secteur financier semblaient circonscrits au périmètre anglosaxon. " Sarko " croyait que les Français pouvaient donner au monde entier une leçon sur la réussite économique.
Deux Prix Nobel emmenaient cette commission : M. Stiglitz, américain et iconoclaste, en tant que président, et Amartya Sen, né en Inde, en tant qu'expert en chef. Leur conclusion est sans appel : le produit intérieur brut (PIB) est une mauvaise mesure de quelque chose qui est mal défini.
On ne peut pas dire que le PIB ne signifie rien, mais ses imperfections sont innombrables. Il additionne et ajuste les prix de façon arbitraire. Il ne tient pas compte du travail des femmes au foyer, mais il considère les coûts liés aux trajets domicile-travail, à la délinquance et à la finance comme des valeurs à ajouter. Il ignore les phénomènes de dépréciation et de préjudice à l'environnement. Il est primaire dans la mesure où il ne tient pas compte des notions de fortune ni de répartition du revenu.
Mais le pire, c'est l'usage qu'on fait du PIB, en lui donnant le statut d'indicateur du succès économique d'un pays. Pas besoin d'être Descartes ou Derrida pour savoir que le " plus " n'est pas toujours synonyme de " mieux ". Quel que soit le sens que l'on donne à la vie, ce n'est pas la croissance du PIB qui contribuera à l'accomplir, du moins dans les pays développés.
Ladite commission explore d'autres manières de quantifier la réussite. Certaines sont fondées sur le sentiment subjectif de satisfaction, d'autres sur des mesures de " bien-être " choisies par les économistes. M. Stiglitz et consorts ont discuté des faiblesses respectives de ces solutions, mais il ne s'est trouvé personne pour remettre philosophiquement en question le principe même de recherche d'un indicateur phare unique.
C'est bien dommage. L'activité économique peut faire le bien des hommes à plus d'un titre, en leur assurant une vie plus longue, une santé meilleure, une éducation plus solide... Mais ces contributions sont impossibles à mesurer. M. Stiglitz aurait pu rendre service à la planète en déclarant tout de go que la quête était vaine.
Edward Hadas
(Traduction de Christine Lahuec)
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