• L’économie au risque du KO

    L’analyse de Jean-Marc Vittori

    L’économie au risque du KO  

    Au début, c’était une vibration, comme le vrombissement d’une mouche dans la pièce d’à côté. Avec la crise grecque, le bruit s’est précisé, comme une Mobylette dans la rue en bas. Maintenant, ça gronde, comme un orage qui se rapproche. Cette menace qui enfle sans que l’on sache si elle va se concrétiser, c’est celle d’une forte hausse des taux d’intérêt à long terme, qui viendrait dévaster des économies en plein effort de reconstruction après la tempête financière. Elle renchérirait la dette publique, ferait plonger l’immobilier, bloquerait l’investissement. Les économistes parlent de krach obligataire. Son acronyme est le KO. Sa réalité est le chaos.Si le bruit devient plus fort aujourd’hui, c’est que le Fonds monétaire a tiré la sonnette d’alarme.« Avec des marchés moins enclins à soutenir l’endettement, que ce soit dans les bilans des banques ou des Etats, et avec une liquidité retirée des marchés dans le cadre des stratégies de sortie de crise, de nouveaux risques pour la stabilité financière ont fait surface »,affirment les experts du FMI dans leur dernier rapport sur la stabilité financière mondiale. Autrement dit, les emprunteurs peineront à trouver des prêteurs alors que l’endettement public galope. Selon le Fonds, la dette des Etats va augmenter de 35 points de PIB en sept ans dans les pays avancés. Elle revient à un niveau d’après-guerre, sauf qu’il n’y a pas eu de guerre.Jusqu’à présent, même si des vigies croyaient distinguer le KO depuis la tornade financière de l’autonome 2008, il ne constituait pas une menace sérieuse. Et pour trois raisons. D’abord, quand les marchés sont secoués, les investisseurs se ruent sur les obligations d’Etat. C’est le « flight to quality », l’exode des capitaux vers le placement considéré comme le plus sûr. Ensuite, parce que les pouvoirs publics ont débloqué des outils exceptionnels pour calmer le jeu. Les banques centrales des Etats-Unis et d’Angleterre ont acheté directement des montagnes d’obligations. La Banque centrale européenne, elle, a prêté massivement aux banques à un taux d’intérêt de 1 %, et ces banques ont prêté cet argent aux Etats à 3 % ou 4 %. Enfin, le KO ne se produit jamais au cœur de la crise, mais quand l’horizon se dégage – comme dans la boxe, où le KO n’intervient pas en début de match, mais quand le boxeur a déjà pris des coups. C’est alors que les entreprises et les particuliers recommencent à emprunter que les tensions réapparaissent sur les prix.Le dernier KO date de 1994, quand la Réserve fédérale des Etats-Unis avait relevé ses taux d’intérêt, trois ans après la fin de la récession de 1990-1991. Les investisseurs en avaient déduit que l’inflation était de retour. Ils avaient vendu leurs obligations, dont la valeur risquait d’être amputée par la hausse des prix. Les taux d’intérêt à long terme avaient alors monté de plus de 2 % et la croissance américaine avait été divisée par deux. L’épisode avait traumatisé le président de la Fed, Alan Greenspan, qui a rechigné à relever les taux par la suite.Aujourd’hui, nous approchons du moment où l’équilibre change. Jean-Michel Six, chef économiste Europe de l’agence de notation Standard & Poor’s, donne quelques chiffres. En 2009, les émissions mondiales d’obligations ont atteint 5.500 milliards de dollars, venant des Etats et des entreprises, qui ont beaucoup levé d’argent. La demande d’obligations, autrement dit l’offre de capitaux, elle, a culminé à 6.300 milliards. A elles seules, les banques centrales en ont pris pour 2.000 milliards ! Avec une demande supérieure à l’offre, le prix des obligations a augmenté et donc leur rendement – le taux d’intérêt – a diminué, de près de 1 %. En 2010, le marché risque de basculer dans l’autre sens. Bien que les Etats empruntent énormément, l’offre va diminuer, car les entreprises sont pratiquement sorties du marché. Elle pourrait revenir autour de 4.700 milliards. Mais la demande devrait diminuer beaucoup plus vite. Les banques centrales ont annoncé la fin de leurs mesures exceptionnelles – achat d’obligations et guichet grand ouvert. Malgré une progression des achats en provenance des pays émergents pour soutenir le dollar, la demande totale pourrait revenir à 3.400 milliards. Elle sera sensiblement inférieure à l’offre. Les taux d’intérêt obligataires risquent donc de remonter.Il faut évidemment être prudent sur les chiffres et le calendrier. Il s’agit d’ordres de grandeur et les banques centrales pourraient fermer le robinet très lentement afin d’éviter les à-coups. Le mouvement de ciseaux pourrait apparaître dès 2010, plus vraisemblablement en 2011 ou peut-être en 2012. Le KO n’est toutefois pas certain. Car, avec une bonne dose de cynisme, les Etats créent des lois et des règlements pour forcer les institutions financières à acheter leurs obligations. C’est comme si EDF avait le droit de décider que les Français devraient laisser la lumière allumée toute la journée pour consommer davantage d’électricité ! L’habillage est bien sûr très différent. Les dispositifs en question, qui portent des noms abscons (« Bâle III » pour les banquiers et « Solvency II » pour les assureurs) et qui font bâiller jusque dans les conférences de rédaction des journaux économiques, ont l’objectif éminemment louable de protéger les financiers de leurs folies. Mais leur effet final sera de contraindre banquiers et assureurs à acheter davantage de titres d’Etat. Ce qui pourrait bien constituer une nouvelle folie.

    Jean-Marc Vittori est éditorialiste aux « Echos ».

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