• L'économie sociale, laboratoire de la lutte contre la pauvreté

    L'économie sociale, laboratoire de la lutte contre la pauvreté

    Novembre, mois de l'économie sociale et solidaire en France

    Pour lancer la troisième édition, en novembre, du " Mois de l'économie sociale et solidaire ", les ministres de l'économie, Christine Lagarde, de la jeunesse et des solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, et le secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, Laurent Wauquiez, devaient installer, mardi 26 octobre, le nouveau Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, instance nationale représentative des quatre grandes familles du secteur - associations, coopératives, mutuelles et fondations -, dont le périmètre s'élargit en 2010 aux entreprises à finalité sociale.

    La France, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays, compte sur ce secteur, en cette période de restriction des finances publiques, pour jouer le rôle d'amortisseur social. Pour ne citer qu'un exemple, celui du Royaume-Uni, les entreprises sociales, soutenues dès 2002 pendant la deuxième mandature de Tony Blair, le sont toujours par l'actuel premier ministre conservateur, David Cameron, qui vient pourtant d'annoncer la suppression d'un demi-million d'emplois publics en quatre ans.

    C'est une reconnaissance indirecte de l'impact économique du secteur. Lors de la présentation du " plan en faveur de l'économie sociale et solidaire ", le 19 octobre, Marc-Philippe Daubresse n'a pas manqué de rappeler que l'économie sociale, omniprésente dans le quotidien des Français à travers les produits équitables, les crèches associatives ou les services à la personne, pèse 8 % du produit intérieur brut (PIB), 2,2 millions d'emplois salariés et quelque 215 000 établissements.

    Mais les entreprises sociales sont-elles pour autant à même de réduire la pauvreté, qui croît avec la crise ? Les pouvoirs publics et les acteurs du secteur l'affirment.

    " Face à la professionnalisation de l'économie sociale, ces dernières années, la tendance lourde a été de passer d'un financement par subvention à un financement par la contractualisation entre l'Etat et les entreprises sociales ", remarque Jacques Defourny, directeur du Centre d'économie sociale de l'université de Liège et président d'EMES, un réseau de recherche européen sur l'économie sociale.

    L'impact social du secteur est aussi reconnu au niveau international. Dans le cadre du programme Local Economic and Employment Development (LEED), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré le rôle central joué par l'entrepreneuriat social dans le monde en faveur de la lutte contre l'exclusion, de la réinsertion professionnelle, de la redynamisation des quartiers sensibles et des régions en retard de développement.

    Mais aucune mesure universelle ne peut chiffrer cette efficacité. Les limites de l'évaluation sont vite atteintes. En France, 49 % des entrepreneurs sociaux déclarent disposer d'outils pour mesurer l'impact social de leur activité. Mais " tous les champs d'activité - insertion, logement, santé, dépendance... - n'ont pas d'instrument de mesure et, lorsqu'ils en ont, ils leur sont propres. Un agrégat moyen pour plusieurs projets, voire pour plusieurs pays, paraît peu concevable, explique M. Defourny. En Europe, c'est par conséquent l'indicateur du nombre d'emplois qui est le plus utilisé, malheureusement, car la vocation de l'économie sociale et solidaire est bien plus large ".

    L'étude de l'université américaine Johns-Hopkins " Major Findings of the Johns Hopkins Comparative Nonprofit Sector Project ", la plus rigoureuse publiée ces dernières années en termes de comparaison internationale, constate qu'en moyenne les deux tiers des emplois rémunérés du secteur dit " non-profit " dans le monde sont investis dans les activités sociales (services aux personnes vulnérables, à la petite enfance, aux handicapés...), la santé et l'éducation. Et ce, dans des proportions variables selon les régions du monde : 73 % en Europe occidentale, contre 40 % en Europe centrale et orientale.

    Aux Etats-Unis, en Israël, en Australie ou au Japon, c'est le secteur de la santé qui est le plus investi par l'économie sociale. Depuis 2000, le gouvernement japonais a confié une partie de la prise en charge des personnes âgées dépendantes à des institutions de soins du secteur non-profit, appelées " takurojos ", de petites structures, comparées aux établissements classiques, mieux adaptées aux soins de la personne. " Les takurojos, perçues comme innovantes, se sont d'ailleurs multipliées ces dernières années ", affirme M. Defourny.

    Conditions de vie

    Mais l'impact de l'économie sociale sur la réduction de la pauvreté se distingue avant tout au niveau individuel, projet par projet, comme on a pu le constater dans les pays du Sud avec les activités de commerce équitable. Rémi Roux, cofondateur de la société Ethiquable, qui commercialise en France et en Belgique des produits venus d'Equateur, de Bolivie et du Laos, affirme réaliser une amélioration de 40 % des revenus des producteurs locaux. En termes de résultats, il en va dans les pays industrialisés comme dans les pays en voie de développement.

    " Ce sont les conditions de vie qui mesurent la pauvreté, plus que le nombre de pauvres ", explique ainsi Julien Damon, professeur associé à Sciences Po.

    " Le taux de pauvreté n'est pas forcément l'indicateur le plus judicieux pour comprendre l'impact de l'économie sociale, poursuit-il. C'est le "reste à vivre" qui mesure la pauvreté ", c'est-à-dire ce qu'il reste de pouvoir d'achat une fois payés le logement, l'alimentation et la santé.

    Au niveau européen, depuis 2001, le Comité de protection sociale - qui promeut la coopération entre Etats membres en matière de protection sociale - préconise aussi l'adoption, plutôt que d'indicateurs monétaires, d'indicateurs de conditions de vie, jugés plus comparables d'un pays à l'autre et plus efficaces pour un objectif global de réduction de la pauvreté.

    C'est l'approche adoptée par le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), créé en France en février, qui a fait réaliser en septembre un sondage par TNS-Sofres sur les conditions de vie des Français afin de mettre en parallèle leurs besoins sociaux et les missions des entreprises sociales. Selon ce Baromètre des priorités sociales des Français publié à la mi-octobre, 12,3 % d'entre eux s'estiment en difficulté sur le logement, l'alimentation, la santé et l'accès aux moyens de communication. Les plus fragiles sont les chômeurs (33 %), les familles monoparentales (29 %), les ouvriers (25 %) et les employés (24 %).

    Pour lutter efficacement contre la pauvreté, les entrepreneurs sociaux proposent des réponses correspondant à ces carences : des réseaux d'épiceries solidaires, comme l'Association nationale de développement des épiceries solidaires (Andes), qui donne accès aux produits de consommation courante à 20 % au-dessous du prix usuel ; des campagnes de sensibilisation aux " écogestes " menées par les régies de quartier, qui permettent de réaliser une économie de 40 % par an, soit quelques centaines d'euros par famille, sur les factures d'électricité ; des dispositifs de logement ou de téléphonie solidaire.

    Décloisonnement

    A la Fondation Macif, qui soutient ce type de projets, " nos programmes, toujours pluriannuels, commencent par un diagnostic des besoins sociaux, fixent des objectifs de capacité d'essaimage, de création d'emplois et de pérennité du dispositif, et font l'objet d'évaluations annuelles. Celles-ci nous ont permis de constater, projet après projet, un impact non négligeable de l'innovation sociale sur la réduction de la pauvreté, indique le président, Alain Philippe. Mais l'économie sociale n'en a pas le monopole. Nous avons ainsi renoncé aux partenariats bilatéraux, qui nous mettaient en posture de guichet, pour passer à la cocréation de projets financés en multipartenariat, ouvert aux collectivités publiques et aux "capitalistes". "

    Ce type d'initiatives permet d'obtenir de meilleurs résultats dans un secteur où les projets sont locaux. Dans le cadre du " plan en faveur de l'économie sociale et solidaire " conçu selon les recommandations du rapport Vercamer publié en avril, le gouvernement a attribué 100 millions d'euros du grand emprunt à l'économie sociale, sous forme de prêts aux entreprises. " Le plus efficace en termes de lutte contre la pauvreté, c'est quand l'économie sociale et les politiques publiques se rejoignent ", estime Julien Damon, de Sciences Po.

    Anne Rodier

     

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    Un secteur en cours de professionnalisation

    • Pour en savoir plus

      " Les objectifs de résultat en matière de lutte contre la pauvreté ", Julien Damon, rapport 2010 pour l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, disponible en ligne

      sur le site de l'ONPES (www.onpes.gouv.fr).

      " L'économie sociale et solidaire, entreprendre autrement pour la croissance et l'emploi ", rapport de Francis Vercamer, avril 2010, disponible sur le site du ministère de l'industrie de l'économie et de l'emploi (www.minefe.gouv.fr).

      " Atlas de l'économie sociale et solidaire, en France et dans les régions ", téléchargeable sur le site du Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale (www.cncres.org).


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