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La guerre des monnaies : la grande confrontation des politiques économiques
La guerre des monnaies : la grande confrontation des politiques économiques
Employé d'abord par le ministre des Finances brésilien, le terme « guerre des monnaies » a vite fait le tour de la planète. Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, l'ont utilisé à leur tour, pour s'alarmer de ce nouveau risque qui plane sur la reprise. Et si, derrière ce danger, se révélait surtout une divergence sur les politiques économiques nécessaires pour retrouver la croissance ?
Guerre des monnaies... ou confrontation des politiques économiques ? Si l'on veut comprendre l'enjeu du bras de fer engagé aujourd'hui entre dirigeants des économies développées, la question doit être posée. À l'évidence, une baisse du dollar aide les entreprises américaines à gagner des parts de marché. Il n'est pas sûr pour autant que tel soit aujourd'hui le premier objectif « externe » des autorités américaines. Ces dernières espèrent plutôt, tirant parti de la globalisation financière, pousser le reste du monde développé à mener, comme elles, une politique économique tournée tout entière vers la lutte contre la déflation.
L'évolution récente du yen face au dollar l'illustre assez bien. Contrairement à ce que l'analyse traditionnelle aurait pu laisser attendre, l'appréciation du yen ne s'explique pas par l'évolution des soldes courants des deux pays. Certes depuis des années maintenant les États-Unis accumulent des déficits et le Japon des excédents, mais les montants en jeu sont de plus en plus faibles par rapport aux mouvements de capitaux liés à la globalisation financière. Le cours du yen face au dollar répond ainsi de plus en plus à l'évolution des écarts de taux d'intérêt entre les deux monnaies : la hausse presque continue du yen depuis 2007 est principalement le reflet de la réduction, continue elle aussi, de l'écart entre taux américains et japonais. Depuis le début de la crise financière, la Réserve fédérale a mené en effet une politique monétaire de plus en plus accommodante. Elle a porté ses taux directeurs au même niveau que ceux de la Banque du Japon puis est intervenue tant par ses déclarations que par des achats massifs de titres à long terme pour « aplatir » toute la courbe des taux d'intérêt. L'écart entre la courbe des taux américains et celle des taux japonais n'a ainsi jamais été aussi réduit... et le cours du yen aussi élevé !
Cette hausse du yen va bien sûr déformer quelque peu les parts du marché mondial dans un sens favorable aux États-Unis. Mais elle va surtout, en renforçant la pression déflationniste qui s'exerce sur leur économie, pousser les autorités japonaises à mener des politiques plus énergiques de soutien de leur demande intérieure. Quelques jours seulement après être intervenues sur leur marché des changes pour tenter d'enrayer la hausse de leur monnaie, ces autorités viennent d'ailleurs d'annoncer un programme d'achats d'actifs directement inspiré de ceux mis en oeuvre par la banque centrale américaine. À un détail près toutefois qui laisse penser que la partie entre les deux pays est loin d'être achevée : la taille du programme envisagé - quelques dizaines de milliards de dollars - est très inférieure à ce qui se pratique aux États-Unis.
La remontée récente de l'euro doit se lire selon la même logique. Depuis plusieurs années maintenant, l'évolution de la monnaie européenne face au dollar suit assez fidèlement les écarts entre les courbes de taux d'intérêt des deux monnaies. Elle s'en est écartée une première fois, au plus fort de la crise financière globale, lorsque, l'aversion au risque devenant extrême, l'effet des écarts de rendements anticipés a été atténué et, plus récemment, lorsque la crise de la dette souveraine a été source d'une soudaine défiance à l'égard de l'euro. La disparition progressive de cette défiance explique que l'euro remonte progressivement vers des cours plus conformes aux écarts entre les taux d'intérêt des deux monnaies. Et sa remontée pourrait être d'autant plus importante que ces écarts ont tendance actuellement à se creuser à nouveau en faveur de l'euro : la Banque centrale européenne n'a-t-elle pas esquissé le début de sa « stratégie de sortie » au moment même où la Réserve fédérale laissait entendre au contraire qu'elle allait intensifier son effort de lutte contre le risque de déflation ?
Là encore le choix auquel les autorités européennes sont confrontées est clair. Elles peuvent poursuivre comme elles l'entendent leurs politiques tant monétaire que budgétaire au risque de voir l'euro s'apprécier et, le moteur des exportations calant, la reprise européenne tourner court. Elles peuvent, au contraire, décider d'infléchir leurs politiques dans un sens plus conforme à celles menées par les États-Unis, avec les risques que cela comporte... La guerre des monnaies en cache en réalité une autre, plus profonde, qui porte sur la manière de remettre les économies développées sur le chemin de la croissance. Sans réduction rapide des divergences qui existent en ce domaine, c'est bien ce retour à la croissance qui finalement pourrait être menacé ! n
Point de vue de Anton Brender et Florence Pisani Dexia Asset Management
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