• Le grand débat

    Le grand débat

     par Jacques Attali

    Ce qu’il y a de formidable, entre autres, dans la démocratie américaine, c’est qu’elle sait parfois transformer une discussion politicienne houleuse en un débat constitutionnel de haute volée.  Et les questions budgétaires en ont fourni quelques très beaux prétextes.

     Cela commence avec  les pères fondateurs de la constitution américaine , qui, à la fin du 18ème siècle, se sont disputés  pour savoir s’il fallait ou non inscrire dans la constitution américaine  l’obligation de faire financer les dépenses publiques    par la génération qui en bénéficie (Jefferson, alors ambassadeur à Paris, avant de devenir président,  partisan de rembourser toute dette publique en moins de 19 ans,  s’opposait à Madison, alors député dans l’amorce du Congrès,  lui aussi avant de devenir président,  convaincu que la dette publique est un financement normal des dépenses d’avenir ). 

    Cette question revient aujourd’hui d’actualité,  avec un débat passionnant, suscité par la réforme de santé du président Obama.

    Refusant de jeter les armes, après le vote du Congrès, les Républicains ont entrepris plusieurs manœuvres pour faire  échouer ce plan   de couverture universelle  de santé (qui couvrira  les  32 millions d’Américains de moins de 65 ans  encore dépourvus aujourd’hui de toute assurance maladie,  alors que les personnes âgées sont  déjà couvertes par le système de Medicare/Medicaid).  La plus intéressante critique  vient de   14 Etats  républicains, menés par l’ex gouverneur de Floride,  un certain Jebb Bush, fils de l’un et frère de l’autre.  Ils  prétendent démontrer que cette réforme est inconstitutionnelle, car elle force les citoyens américains à  souscrire une assurance. Or, disent-ils une assurance est un bien privé et nul ne peut être contraint d’acheter un bien privé. Magnifique débat.  C’est même le principal débat entre ce qu’on peut encore  appeler   la gauche et la droite.

    Dans toute société démocratique, le rôle unique de l’Etat est de fournir aux citoyens la sécurité, et, pour cela, de leur faire payer une assurance, qu’on appelle impôt ou  cotisation sociale. La sécurité   des vies  et des biens exigent, pour tous les  partisans de la démocratie,    des armées, des polices, des juges, des prisons, de la diplomatie. Elle exige  aussi, pour certains,  des transports collectifs,  des réseaux d’énergie et de communications. Elle exige enfin, pour d’autres encore,  des moyens publics d’être formés, de trouver un travail, d’être protégés contre les aléas de la vie que sont la maladie, la dépendance, la vieillesse.

      La question est de savoir si une société peut forcer ses membres à considérer ces biens comme publics. Et en particulier, en matière de santé, si elle peut décider que la prime d’assurance est obligatoire. Telle est la seule question qui définit le périmètre de la dépense publique.

    A mon sens, une prime d’assurance peut être obligatoire si celui qui déciderait de ne pas la payer  nuirait aux autres et à lui-même   . Un  citoyen qui  ne paie pas la part de ses impôts allant à la défense  nuit à la qualité de la défense pour tous sans pouvoir assurer sa sécurité à lui seul.  De même, en ne payant pas sa part d’impôt pour la santé, un citoyen, même s’il peut financer seul sa santé, nuit à la santé des autres, en se mettant en situation de ne pas se soigner et d’être contagieux.    

    En France, la montée des  besoins et des déficits nous forcera bientôt à nous poser clairement les mêmes questions. 


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