• Le monde d’après

    Le commentaire de Laurent Cohen-Tanugi

    Le monde d’après  

    Rien ne sera plus comme avant : aux yeux de nombre de bons esprits, la crise mondiale de 2008-2009 devait marquer une rupture radicale avec les errements et les excès des vingt dernières années et l’après-crise engendrer un monde meilleur. Deux ans après, nous sommes bien loin de cette douce utopie : non seulement la crise se poursuit sous d’autres formes, mais le « monde d’après » s’annonce peu réconfortant.Après la panique systémique de 2008, la crise s’est installée. En Europe, croissance atone, chômage massif, crise des finances publiques et austérité généralisée, tandis que la situation irlandaise et l’aggravation des déséquilibres macro économiques entre l’Allemagne et ses voisins nous rappellent que la crise de la zone euro reste d’actualité. Aux Etats-Unis, où, contrairement à l’Europe, la persistance d’un taux de chômage proche de 10 % représente un mal inédit, la « croissance sans emploi » a de nouveau fait place au spectre de la récession.Seuls les pays émergents tirent leur épingle du jeu, en même temps que la croissance mondiale, mais au prix de la pérennisation des déséquilibres commerciaux et monétaires globaux ayant contribué à la crise et d’un regain des tensions entre la Chine et ses partenaires américain, européens et asiatiques.Au-delà de l’accord bienvenu sur la réforme de la gouvernance du FMI, la dernière réunion des ministres des Finances du G20 ne devrait pas changer grand-chose. Il est probable que la prochaine bulle financière éclatera quelque part dans ce nouveau monde, où l’afflux massif de capitaux étrangers à la recherche de rendements attractifs déstabilise les monnaies nationales et où les banques des pays développés exportent sans complexe le type d’instruments et de montages financiers à l’origine du krach de 2008. Les flux de capitaux américains investis en actifs des pays émergents ont ainsi presque doublé en un an. Mais, au-delà de la sphère économique, les effets politico-stratégiques de la crise sont également préoccupants.A l’échelle internationale, on comptera au rang des premières victimes le projet de loi énergie-climat de l’administration Obama et les répercussions du blocage à Washington sur les  négociations internationales post-  Copenhague. En matière de sécurité, le déficit budgétaire américain, la réduction des dépenses militaires europé ennes ainsi que celle du budget de l’Otan aggraveront l’affaiblissement géopolitique de l’Occident au profit des puissances montantes, au premier des rangs desquelles la Chine. Dans ce pays, la poursuite du miracle économique ne s’accompagne d’aucune libéralisation politique ou d’un quelconque progrès des droits de l’homme et des libertés publiques, comme en a témoigné la réaction du pouvoir à l’attribution du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo.Outre-Atlantique, malgré la vacuité de l’agenda républicain, les électeurs s’apprêtent à faire payer au Parti démocrate et à une administration Obama en pleine recomposition son incapacité à juguler la crise. Le programme TARP de sauvetage des banques américaines, qui vient de se terminer, demeure des plus impopulaires dans l’opinion, à l’heure où celles-ci affichent des profits record.Mais c’est en Europe, y compris dans cette Europe du Nord traditionnellement associée à la réussite économique et à la tolérance, que la dégradation du climat politique est la plus sensible : entrée des populistes au Parlement suédois, emprise du parti d’extrême droite de Geert Wilders sur la coalition néerlandaise au pouvoir, montée de l’extrémisme et de l’islamophobie en Autriche, Hongrie, Danemark, Norvège, débat sur le multiculturalisme en Allemagne… Au cœur de la zone euro, le couple franco-allemand peine à s’accorder sur un renforcement de la gouvernance économique européenne et se divise sur le projet de bouclier antimissile de l’Otan.Quant à la France, la flambée sociale suscitée par la réforme des retraites  continue à méduser l’opinion internationale, peu encline à s’attarder sur les subtilités de nos régimes sociaux, les maladresses du pouvoir ou les angoisses des lycéens. Une certaine image de la France dans le monde, mal dans sa peau et rétive au changement : voilà une réalité que la crise n’aura pas non plus améliorée. Il faudra sans doute beaucoup plus de temps et d’efforts pour que du maelström actuel émerge, il faut l’espérer, un nouvel ordre international.

    Laurent Cohen-Tanugi est avocat et essayiste.


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