• Monnaies, bonus, déficits, G20... M. Trichet tire les leçons de la crise

    Monnaies, bonus, déficits, G20... M. Trichet tire les leçons de la crise

    Dans un entretien exclusif, le président de <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">la BCE</st1:personname> juge que l'euro n'a pas à se substituer au dollar " Je ne crois pas que nos démocraties accepteraient une seconde fois de voler au secours de la finance "

     

                ENTRETIEN

    Quatorze mois après la faillite de Lehman Brothers, l'économie mondiale a renoué avec la croissance. Mais les tensions restent grandes, notamment sur le marché des changes, où le dollar ne cesse de s'affaiblir. Les déficits budgétaires sont à des niveaux sans précédent. Et, avec le retour des bonus pour les traders, les opinions publiques ont aussi le sentiment que rien n'a vraiment changé. Le président de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, livre sa vision de l'économie mondiale de l'après-crise.



    La zone euro a connu une croissance de 0,4 % au troisième trimestre. La crise est-elle finie ?

    Après ceux du deuxième trimestre, qui étaient encore légèrement négatifs, ces chiffres de croissance positive confirment que nous sommes bien sortis de la période de chute libre qui a marqué les six mois ayant suivi la chute de Lehman Brothers, en septembre 2008. Ils confirment notre scénario de base, celui d'une reprise progressive et graduelle de l'économie. Ce que nous observons maintenant est plus favorable que nos projections d'il y a quelques mois. Cela dit, il faut rester prudent. Il y a encore beaucoup d'incertitudes, tant au niveau mondial qu'au niveau de la zone euro, en particulier s'agissant de la croissance pour 2010. Nous ne crions pas victoire.



    Existe-t-il un risque de rechute, comme en 1937 aux Etats-Unis ?

    L'incertitude, je le répète, est une caractéristique importante de la période dans laquelle nous sommes. Nous avons observé dans un passé récent l'irruption d'événements qui n'avaient pas été prévus dans leur gravité. Observons aussi que pendant la période de chute libre de l'économie mondiale, qui a duré six mois, les décideurs n'ont pas pu se reposer sur des instruments analytiques fiables. Les banquiers centraux, en particulier, ont constaté pendant cette période que la réalité économique déjouait de semaine en semaine les analyses et les projections des modèles les plus éprouvés.

    Nous avons donc dû pendant toute cette période plus encore que d'habitude nous reposer sur la sagesse et sur l'expérience de nos instances collégiales de décision. Aujourd'hui, nous avons retrouvé un niveau de confiance raisonnable dans nos outils analytiques. Cela ne veut pas dire que l'incertitude ne demeure pas exceptionnellement élevée.



    La vigueur de l'euro menace-t-elle la reprise ? <st1:personname productid="La Maison Blanche" w:st="on">La Maison Blanche</st1:personname> dit qu'" un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis ". On ne vous entend pas dire qu'" un euro fort est dans l'intérêt de l'Europe ". Cette asymétrie signifie-t-elle que vous ne souhaitez pas d'appréciation de l'euro face au dollar ?

    En effet, il est important que les autorités américaines affirment qu'un dollar fort est dans l'intérêt des Etats-Unis. Je partage moi-même totalement cette analyse. J'ajoute que je crois que cette force du dollar au sein des monnaies convertibles est non seulement dans l'intérêt des Etats-Unis mais aussi de la communauté internationale tout entière.

    Hier, j'ai noté en outre avec le plus grand intérêt les propos de mon collègue Ben Bernanke à l'Economic Club de New York. Je le cite : " <st1:personname productid="La Réserve" w:st="on">La Réserve</st1:personname> fédérale est attentive aux implications des changements dans la valeur du dollar et continuera de formuler sa politique avec le souci de veiller à respecter son double mandat (...). Notre attachement à nos deux objectifs, combiné avec la force intrinsèque de l'économie américaine, nous permettra d'assurer que le dollar est fort et source de stabilité financière globale. " Il s'agit là d'une déclaration très importante de mon collègue, avec lequel j'entretiens par ailleurs des relations confiantes.


    L'euro a-t-il vocation à remplacer le dollar comme monnaie de réserve ?

    L'euro n'a pas été créé pour lutter contre le dollar des Etats-Unis ou pour se substituer au dollar comme monnaie de réserve internationale. Il a été créé pour parachever le grand marché européen, et donner à l'Europe stabilité et prospérité. Le succès de l'euro dans l'approfondissement du marché unique est remarquable. Imaginez ce que serait le marché unique des Etats-Unis s'il y avait des monnaies différentes en Californie, en Floride et dans l'Etat de New York. <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">La BCE</st1:personname> ne fait pas campagne pour l'usage international de l'euro. Nous laissons les agents économiques et les investisseurs prendre leurs propres décisions.


    Si la croissance est de retour, ne faut-il pas lever les dispositifs exceptionnels mis en place pendant la crise ?

    Il faut bien se rendre compte du fait que la rapidité, l'ampleur et l'audace des décisions qui ont été prises par les banques centrales ,d'un côté, et les gouvernements et les parlements de l'autre nous ont permis d'éviter une dépression redoutable. En particulier, s'il n'y avait pas eu cette réaction audacieuse et très rapide des banques centrales, et notamment de <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">la BCE</st1:personname> dès le 9 août 2007, la crise systémique de liquidités se serait étendue au niveau de l'ensemble des pays industrialisés, puis au niveau mondial, et elle aurait été gravissime. Je peux dire la même chose des actions qui ont été menées par les pouvoirs publics.

    Les situations budgétaires sont beaucoup plus variées qu'on ne le soupçonne. Certains pays sont dans une situation qui est relativement favorable parce que leur gestion passée a été sage et prudente, d'autres sont déjà à l'extrême limite de leur propre crédibilité.

    Mais, pour tous les pays quels qu'ils soient, il est indispensable d'avoir une stratégie budgétaire crédible à moyen terme aux yeux des ménages, des entreprises et des investisseurs. Le succès de la reprise en Europe repose sur la confiance des ménages et des entrepreneurs. S'ils n'ont pas confiance dans la capacité des finances publiques d'être soutenable à moyen long terme, ils consommeront moins et investiront moins. Le succès de la reprise en Europe dépend de la confiance des investisseurs dans les signatures des Etats. S'ils n'ont pas confiance, ils demanderont des taux d'intérêt de marché plus élevés qui pénaliseraient le secteur public comme le secteur privé de l'Etat concerné.



    Le pacte de stabilité et de croissance a-t-il encore un sens avec des déficits qui approchent 10 % du PIB ?

    J'ai toujours dit que dans une zone à monnaie unique qui n'est pas une fédération politique, le pacte de stabilité et de croissance est essentiel à la stabilité de l'Union monétaire. Nous sommes dans une période difficile. Il a été nécessaire de prendre des mesures audacieuses pour éviter la dépression. Il est indispensable de s'engager dans la voie de redressement crédible des finances publiques au plus tard en 2011 comme l'ont décidé déjà les gouvernements européens. A tous les pays, nous disons extrêmement clairement : " Respectez strictement le pacte de stabilité et de croissance. Soyez conscients que si vous n'êtes pas crédibles dans le redressement des finances publiques à moyen terme, vous handicapez la reprise dès aujourd'hui. "



    Vous préconisez des politiques d'assainissement budgétaire mais au même moment, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> lance un grand emprunt...

    Le problème du déficit public n'est pas propre à <st1:personname productid="la France. C'est" w:st="on">la France. C'est</st1:personname> un sujet central pour presque tous. Il faudrait évidemment que l'emprunt ne se traduise pas par des dépenses publiques nouvelles au sens du pacte de stabilité et de croissance, parce que la situation est déjà extraordinairement difficile.



    Maintenir trop longtemps des taux d'intérêt très bas, n'est-ce pas favoriser l'inflation et la création de nouvelles bulles ?

    Le conseil de gouverneurs de <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">la BCE</st1:personname> - nous sommes 22 avec Christian Noyer, le gouverneur de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de France - doit aux habitants de la zone euro la stabilité des prix. C'est ce que nous avons fait au cours des presque onze premières années de l'euro. C'est le mandat donné par nos démocraties. C'est la promesse faite à nos 330 millions de concitoyens. Pour ce faire, nous avons résisté aux pressions. On nous avait demandé avec beaucoup de véhémence, au début de l'année 2004, de baisser notre taux directeur et nous avons refusé ; on nous avait aussi beaucoup critiqué pour avoir relevé les taux à la fin de l'année 2005. Dans les deux cas, compte tenu de ce qui s'est passé depuis, plus personne ne nous critique. Je suis fier de la crédibilité du Conseil des gouverneurs de <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">la BCE</st1:personname> en matière de stabilité. C'est cette crédibilité qui nous a permis d'ancrer solidement nos anticipations d'inflation. Ceci nous a servi à éviter l'inflation et nous a également protégé contre la matérialisation du risque de déflation dans la période de crise que nous venons de traverser.

    Aujourd'hui, nous considérons que le niveau de nos taux directeurs est approprié dans la zone euro. Par ailleurs, nous dénouerons progressivement nos opérations dites non conventionnelles : elles ont été construites pour permettre précisément le dénouement progressif le moment venu.



    Le G20 est-il un début de réponse au monde de l'après-crise ?

    En termes historiques, la période présente est marquée par un changement très profond dans la gouvernance mondiale. Le fait que le G20 soit devenu la première instance de gouvernance au niveau international est fondamental. Il ne faut pas oublier que la structure du G20 était née après la crise financière asiatique. Les pays industrialisés s'étaient alors dit que puisqu'un pays émergent d'Asie de taille moyenne était en mesure de déclencher une crise internationale extrêmement grave, il fallait que tous les pays présentant un risque systémique soient associés d'une manière ou d'une autre à la gouvernance mondiale et aux réformes envisagées par les grands pays industrialisés.

    Cette fois-ci ce sont les pays industrialisés eux-mêmes qui ont déclenché une crise internationale très grave. Et les pays émergents sont en droit de s'assurer que les nations industrialisées font tout pour rendre le système mondial plus solide, en liaison avec les économies émergentes. Il y a une sorte de retournement de situation entre pays industrialisés et émergents.

    " La crise a révélé de façon frappante l'adhésion à l'économie de marché "

               
    De nouvelles crises sont-elles à craindre ?

    Il est très probable que nous devrons affronter au cours des prochaines décennies des chocs importants et, en tout cas, faire face à un besoin d'adaptation permanent au niveau de l'économie mondiale.

    Deux exemples. Nous vivons une période historique marquée par des avancées considérables de la science et de la technologie. Ces avancées sont imprévisibles : il n'y a pas de science exacte des progrès de la science, comme l'a remarqué Karl Popper. Ces nouvelles technologies vont nécessairement transformer les processus de production eux-mêmes ainsi que la division internationale du travail. Par ailleurs, la progression économique rapide des pays émergents - grands et moyens - est une donnée fondamentale des cinquante prochaines années. Songeons qu'en dehors de <st1:personname productid="la Chine" w:st="on">la Chine</st1:personname> et de l'Inde les seuls pays asiatiques émergents de l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) sont aussi peuplés que toute l'Union européenne.

    S'agit-il de refonder le capitalisme ?

    Quand j'ai commencé à exercer des responsabilités dans la vie économique internationale, il y avait encore un " Est " et un " Ouest ", un " Nord " et un " Sud ". Ce que j'observe aujourd'hui, c'est une remarquable unification conceptuelle au niveau mondial. Nous travaillons au sein du G20, avec les ministres et les gouvernements, ou à Bâle, avec les banquiers centraux, sur la base d'un principe simple : l'économie de marché demeure le moyen le plus approprié pour créer des richesses. La crise n'a pas renforcé l'adhésion à l'économie de marché, mais elle l'a révélée de façon frappante. Il n'y a pas eu de contestation venant de la part des pays émergents. Ce qui n'est pas tellement étonnant par exemple pour ceux qui, comme moi, ont connu l'Asie émergente il y a une trentaine d'années et voient l'Asie aujourd'hui. Les règles de l'économie de marché qui y ont été introduites ont produit des résultats si visibles qu'elles sont incontournables.

    Mais, en même temps, les mêmes pays et la communauté internationale tout entière disent qu'il n'est pas acceptable que nous ayons une économie mondiale de marché qui soit aussi fragile, aussi peu solide et aussi peu résiliente. Nous devons tirer systématiquement toutes les leçons de la crise présente sans donner aucun privilège et sans accepter a priori aucun tabou. Pour tout dire, je ne crois pas que nos démocraties accepteraient une seconde fois de voler au secours de l'économie financière et de l'économie réelle comme elles l'ont fait. Nos démocraties nous contraignent à la réussite en ce qui concerne notre significatif renforcement de la stabilité de l'économie internationale.

    2009 s'annonce comme une année record pour les bonus...

    Ce qui compte, en la matière, c'est le fait d'avoir des règles sages qui soient les mêmes au niveau mondial. Sinon, on assistera à la fois à un déplacement des emplois et des activités à risques vers des zones où la pression sera moins forte. Les règles qui ont été élaborées par le Conseil de stabilité financière et adoptées par le G20 doivent être appliquées rigoureusement partout dans le monde, sous la surveillance des autorités prudentielles.

    Au-delà, ma conviction est qu'il s'agit d'un problème de valeurs dans nos sociétés. C'est une anomalie grave que certains secteurs de l'économie et de la société considèrent comme normaux des comportements qui ne correspondent pas à ce que nos démocraties acceptent. Tout ne peut pas reposer exclusivement sur la législation, la réglementation, la régulation et la surveillance. Au-delà des règles, il faut qu'il y ait une convergence éthique des valeurs qui régissent les comportements dans les grandes démocraties.

    Propos recueillis par Pierre-Antoine Delhommais et Arnaud Leparmentier

     

    Le Français le plus puissant du monde, selon " Forbes "

    Le président de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, vient d'être désigné par le magazine américain Forbes comme le Français le plus " puissant " de la planète. Il arrive au 25e rang d'une liste de 67 personnalités. Le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, occupe la 47e place ; le patron de LVMH, Bernard Arnault, est 52e. Le président de <st1:personname productid="la République" w:st="on">la République</st1:personname>, Nicolas Sarkozy, est au 56e rang de ce classement qui voit le président américain, Barack Obama, le président chinois, Hu Jintao, et le premier ministre russe, Vladimir Poutine, occuper respectivement les première, deuxième et troisième places.


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