• " Nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué " Paul Jorion

    " Nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué "

    Paul Jorion, économiste et anthropologue, est l'auteur de " L'Argent, mode d'emploi "


    Le fort rebond concomitant des marchés financiers ces derniers mois (actions, obligations, matières premières) annonce-t-il une nouvelle bulle spéculative ?

    Y Quel que soit le niveau auquel la finance tombe, elle repart ensuite dans sa dynamique de bulle, car rien n'a été fait pour changer le mécanisme qui préside aux mouvements spéculatifs. En octobre 2008, après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, on a pu penser que les règles allaient être bouleversées aux Etats-Unis. Mais le processus démocratique prend du temps, ce qui laisse aux lobbyistes le temps d'agir pour empêcher les mesures contraignantes. De plus, le personnel politique et financier n'a pas changé. Il raisonne toujours selon les critères de la science économique classique quand il faudrait un changement de paradigme.



    Ne manque-t-il pas une pensée alternative ?

    La première réaction des économistes est celle du mouvement de balancier. Si les keynésiens ont tort, c'est que les monétaristes ont raison. Si les monétaristes ont tort, c'est que les keynésiens ont raison. Mais il serait naïf de croire que la vraie réponse à la crise se trouve dans la science économique. Il faut la trouver ailleurs...



    Dans la politique économique ? De même que Keynes, même s'il avait inspiré les politiques de relance des années 1930, ne les a finalement théorisées en grande partie qu'a posteriori ?

    Oui. Mais cette fois-ci, toutes les manettes de politiques économiques ont été actionnées en même temps, si bien que - dans le cas, hypothétique, d'une reprise effective - on ne saura jamais, in fine, laquelle a vraiment marché. L'analyse sera plus difficile.



    Vous jugez que les problèmes des banques n'ont pas été résolus. Pourquoi ?

    Toutes leurs pertes n'ont pas été encaissées. Elles ont pu falsifier leurs comptes en obtenant de valoriser leurs actifs non plus aux prix du marché (marked to market), mais au moyen d'un modèle (marked to model). C'est une hérésie. Ce changement de méthode ne fait que reculer le moment de vérité.



    Ne fallait-il pas gagner du temps en attendant la normalisation de l'économie, plutôt que d'amplifier la crise (de façon " procyclique " en jargon économique) ?

    Non. Dire qu'il y a des cycles dans l'activité, c'est constater qu'à chaque fois que l'économie s'est cassé la figure, elle est arrivée à repartir. Mais les actifs auxquels je fais allusion sont les mortgage backed securities (MBS) - des obligations adossées à des créances hypothécaires -, dont la valeur n'évolue pas selon des oscillations cycliques. Le prix des MBS dépend des mensualités qui sont remboursées sur le portefeuille de crédits auquel l'obligation est adossée. Or, aux Etats-Unis, le nombre de faillites personnelles continue à croître ; le nombre de chômeurs aussi. Le prix des MBS devrait donc chuter : ce n'est pas un marché spéculatif ou un produit dérivé.



    Dans votre dernier livre, vous écrivez que l'affaire Madoff est un machine de Ponzi (une cavalerie) " honteuse " tandis que le système de la titrisation des subprimes est un Ponzi " éhonté " (qui n'a pas conscience de sa honte). L'habillage des bilans bancaires en est-il le prolongement ?

    Oui, nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué. La plupart des consommateurs américains ne connaissent pas d'autre baromètre économique que <st1:personname productid="la Bourse. On" w:st="on">la Bourse. On</st1:personname> essaye d'établir un lien malhonnête. Le public, voyant <st1:personname productid="la Bourse" w:st="on">la Bourse</st1:personname> remonter, doit se dire que la crise va se finir. Cela permet effectivement de gagner du temps, mais c'est un mauvais calcul...



    Mais il est bon pour les rémunérations dans la finance...

    Oui, et auprès de l'opinion publique, cela est ressenti comme une provocation. Quand l'économie connaissait des années de vaches grasses, l'enrichissement des traders et des dirigeants de banques semblait au moins un peu corrélé. Dans les années 1950, le philosophe et économiste Karl Polanyi a mis en garde contre la divergence de la finance et l'économie, citant le précédent des années 1920. On a vu où cela a conduit le monde. Mais la leçon n'a pas été apprise. Le risque est que les thèses populistes et les plus simplistes trouvent un écho dans l'opinion.

    Propos recueillis par Adrien de Tricornot

            Parcours

    1999 Anthropologue et économiste, Paul Jorion travaille jusqu'en 2007 dans plusieurs établissements de crédit américains.

    2007 Il publie Vers la crise du capitalisme américain ? (<st1:personname productid="La Découverte" w:st="on">La Découverte</st1:personname>) où il annonce la tempête financière des subprimes. L'ouvrage, épuisé, a été réédité en octobre 2009 (Ed. du Croquant).

    2009 Son dernier livre sur la crise, L'Argent, mode d'emploi est paru le 28 octobre (Fayard, 400 pages, 20 ¤).


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