• La postérité de Benoît Mandelbrot (1924-2010)

    « Trente ans après ma mort, je me retirerai, fortune faite », disait Jean Cocteau. Heureusement, Benoît Mandelbrot n'aura pas attendu aussi longtemps, il a connu la fortune - critique, scientifique - de son vivant. Sa grande découverte, la géométrie fractale, a suscité quelques résistances au début, avant de connaître un engouement international, parmi les mathématiciens bien sûr, mais surtout dans les sciences appliquées comme la biologie (structure des poumons, rythme cardiaque), la botanique (croissance des plantes), la géologie (répartition et taille des gisements pétroliers), l'astronomie (distribution des galaxies dans l'univers), jusqu'aux images de synthèse des jeux vidéo et au cinéma. Derrière le chaos apparent des choses se cachent des formes invariantes, les repérer permet de mieux comprendre les phénomènes et leur dynamique.

    Il est tout de même un domaine dans lequel Benoît Mandelbrot devra certainement attendre trente ans après sa mort, et peut-être plus, c'est la finance. Alors qu'il travaille au centre de recherche d'IBM aux États-Unis, il suit avec intérêt la naissance de la théorie moderne de la finance à l'université de Chicago (Markowitz, Sharpe, Fama, etc.). Mais dès le début, dans les années 1960, il dénonce l'utilisation de la courbe de Gauss pour estimer les variations de prix des actifs financiers. Celle-ci accorde une faible probabilité aux événements extrêmes alors qu'ils sont, mesures à l'appui, très répandus sur les marchés financiers.

    Une critique qui s'accompagne d'une remise en cause de la notion d'efficience des marchés, à la base de cette théorie et du fameux « capital asset princing model » (CAPM) ou du modèle de Black et Scholes. Mais intégrer ces arguments obligerait à changer complètement de paradigme, sans avoir l'assurance de retrouver un modèle aussi simple et pratique... On préféra ne pas écouter Mandelbrot.

    Cette sous-estimation systématique du risque entraîne des crises à répétition, le krach d'octobre 1987 fut un avertissement sans frais, la faillite du fonds LTCM en 1998 (où travaillaient Scholes et Merton, deux prix Nobel d'économie) ne réveilla pas les consciences, la bulle Internet en 2000 fut vite oubliée. La crise de septembre 2008 par contre, du fait de sa gravité, provoqua un réel regain d'intérêt pour les travaux de Mandelbrot, auquel participa le livre au succès planétaire (2,5 millions d'exemplaires) de l'un de ses élèves, « le Cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb. Enfin, pouvait-on l'espérer, la communauté financière allait-elle se poser des questions de fond sur ses modèles de marché et leurs fondements théoriques ? Malheureusement, après le sauvetage des banques, c'est plutôt le « business as usual » qui est revenu en force. Jusqu'à la prochaine crise...

    Toujours actif, donnant des interviews çà et là, s'informant des applications multiples auxquelles donnaient lieu ses découvertes, l'oeil avisé sur les soubresauts des marchés financiers, Mandelbrot se consacrait à la rédaction de ses mémoires. On espère que le vieux sage aura pu coucher par écrit toutes ses réflexions. Sa disparition provoquera-t-elle une prise de conscience ? Il serait temps de prendre ses travaux au sérieux, mais il reste encore persona non grata dans l'enseignement académique. On attend avec impatience le premier département de finance d'une université de par le monde qui programmera un colloque d'hommage à Mandelbrot... Non c'est de l'humour, noir.

    (*) Philippe Herlin a publié « Finance : le nouveau paradigme, comprendre la finance et l'économie avec Mandelbrot, Taleb... » (Eyrolles 2010).

    Point de vue de Philippe Herlin Chercheur en finance (*)

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  • Retraites : le ratio caché (suite)

     

    J’ai reçu beaucoup de remarques et de questions sur mon billet précédent : sur mon blog, mon mail et jusque… dans les manifs ! Pour presque tous, il s’agit d’une découverte voire d’un choc. Il est vrai que le gouvernement ne risque pas de mettre en avant ce ratio et son évolution, qui montrent (si le raisonnement est exact, ce que nous allons voir) que la situation est tout sauf dramatique pour le financement des retraites et d’autres besoins collectifs dans les décennies à venir.

    Mais du coup les questions portent sur la fiabilité de ce ratio, sur sa pertinence, ses limites, ou sur les risques d’interprétations douteuses. Autant de questions très importantes que je ne traiterai pas toutes ici.

    La première et peut-être la plus importante des questions concerne les dépenses respectives (dépenses privées et dépenses publiques) qui font face aux besoins des jeunes d’une part, des retraités de l’autre. Pourquoi est-ce essentiel ?

    Revenons pour cela à notre ratio dit « de dépendance économique », qui est le quotient de la population totale par la population en emploi. Les projections existantes montrent qu’il devrait augmenter assez peu d’ici 2050 (+ 13,5 %), contrairement au ratio de dépendance vieillesse, plus connu. La raison principale de cette faible augmentation est que, si la proportion de personnes âgées doit en effet augmenter vivement, celle des jeunes devrait diminuer, ce qui produit une « compensation statistique ». Certes, il y a d’autres catégories de personnes hors emploi que les jeunes et les vieux, mais ce sont ces deux dernières qui ont, de loin, le plus d’influence sur les évolutions. Donc concentrons-nous sur elles.

    Ce ratio socio-démographique ne dit rien du financement tant qu’on n’a pas une idée du « coût » respectif d’un jeune et d’un retraité. S’il apparaissait par exemple que le premier est faible et restera faible vis-à-vis du second, alors c’est la vive croissance de la proportion de personnes âgées qui serait déterminante dans l’évolution des « coûts d’entretien » des personnes hors emploi (l’ensemble des ressources économiques qui leur sont destinées).

    C’est donc là qu’intervient l’hypothèse de Pierre Concialdi, ainsi citée dans mon billet : « contrairement à une idée reçue, le coût « d’entretien » des personnes âgées n’est pas plus élevé que celui des jeunes ».

    Cette hypothèse semble aller à rebours de tout ce qu’on nous assène sur les « charges » liées au vieillissement. Elle est pourtant solide. Je m’appuie ici (de très près) sur un échange avec Pierre Concialdi, avec son accord. Cela fait près de quinze ans que Pierre écrit régulièrement sur cette question (voir en particulier en 1997 son article dans la Revue de l’IRES, « L’alibi de la démographie »). Faut-il que j’ajoute que son apport (entre autres dans son récent livre) va très au-delà de ce ratio, qui n’est qu’une des pièces du puzzle ?

    Dès les années 1980, une estimation de Jean-Pierre Cendron montrait que les dépenses totales (publiques ET privées) étaient du même ordre pour un jeune et pour un vieux. Pierre Concialdi avait actualisé ce chiffrage en 1997, avec la même conclusion. Cela peut surprendre, mais il faut savoir que, par convention, on considère que les jeunes qui vivent chez leurs parents ont le même « niveau de vie » que ces derniers (pour la définition des niveaux de vie, voir mon post du 11 janvier 2010). Dans la mesure où les ménages de retraités ont aujourd’hui un niveau de vie à peu près égal à celui des ménages d’actifs, les jeunes qui vivent dans ces ménages d’actifs ont donc un niveau de vie lui aussi égal à celui des retraités. Cette hypothèse est discutable (notamment pour les femmes), mais pour les jeunes elle n’est pas stupide.

    Cela dit, il y a une vraie différence entre ces dépenses associées aux jeunes et aux vieux, non pas de montant total mais de structure. Les dépenses pour les plus vieux sont majoritairement publiques (dépenses pour les retraites… tant qu’on assure leur financement public !) alors que les dépenses pour les jeunes sont majoritairement privées (elles dépassent de loin le montant des dépenses publiques d’éducation, de crèches, etc.). Il y a donc bien un choix politique majeur à travers le débat sur les retraites (le degré de socialisation de la réponse aux besoins)… mais guère de difficultés économiques globales sous l’angle des richesses économiques nécessaires.

    Cette approche fondée sur le constat des dépenses actuelles ne dit évidemment rien de ce qui serait souhaitable dans les décennies à venir, de l’évolution relative des besoins des plus jeunes et des plus vieux, etc.

    Mais, et j’ajoute ici un argument personnel non emprunté à Pierre Concialdi, entre l’amélioration d’un côté de l’éducation et de l’accueil des jeunes enfants, et de l’autre le développement de services divers aux personnes âgées, je ne vois pas de raison de penser que les dépenses publiques par retraité soient appelées à progresser plus vite que celles qui concernent les jeunes. Si l’on conserve par ailleurs une norme d’égalité approximative des niveaux de vie, l’hypothèse de Concialdi semble pouvoir tenir la route à long terme.

    Jean Gadrey

    Lien : Retraites : le ratio qu’on vous cache


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  • Guerre des monnaies: attention au yuan!
    Pékin a dépensé en moyenne un milliard de dollars par jour depuis cinq ans sur le marché des changes pour empêcher le yuan de se valoriser.

     

    - Une employée de banque compte une liasse de yuans. Stringer Shanghai / Reuters -
     

    Qui l’eût cru il y a seulement quelques années? Mais il faut maintenant faire très attention au yuan, la monnaie des Chinois. Ils l’appellent aussi le renminbi, ce qui ajoute à une confusion qui règne déjà. L’évolution du cours de cette devise lors des prochains mois (ou des prochaines années) risque d’avoir un impact sur le prix de vos prêts immobiliers, de vos produits alimentaires ou des vêtements que vous achetez. Et même sur l’emploi, que vous garderez, perdrez ou continuerez à ne pas trouver… Actuellement, il faut environ 6,6 yuans pour acheter un dollar américain et près de 9,3 yuans pour un euro. Et c’est tout le problème: le yuan est très bon marché.

    Un yuan faible, garantie de la croissance chinoise… 

    La Chine vend les produits qu’elle fabrique au reste du monde à des prix parmi les plus bas du marché. Les produits qu’elle importe sont plus chers et, de façon générale, les sociétés chinoises bénéficient d’un énorme avantage concurrentiel, car le yuan est artificiellement dévalué. Un atout qui se traduit par une croissance record et la création d’emplois. Les autres pays préfèreraient voir un yuan d’une valeur d’au moins 20% supérieure par rapport aux autres devises. Mais les Chinois ont cette obsession justifiée du yuan faible. Ils peuvent ainsi maintenir l’expansion rapide de leur économie et le dynamisme de leur marché de l’emploi.

    La politique monétaire du gouvernement de Pékin est on ne peut plus claire. Ces cinq dernières années, le pays a dépensé en moyenne un milliard de dollars par jour pour intervenir sur le marché des devises et empêcher le yuan de se valoriser. Des efforts qui ont porté leurs fruits, puisque les énormes réserves monétaires internationales constituées par la Chine représentent la moitié de la taille de son économie.

     

    …mais aussi générateur d’instabilité financière dans le monde

    Le monde entier dénonce cette politique de change de Pékin. Dans un long entretien privé avec le Premier ministre chinois Wen Jiabao, Barack Obama a pressé le dirigeant chinois de faire en sorte que son gouvernement réévalue le yuan. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, a fait de même en public. Le ministre brésilien des Finances, Guido Mantega, a averti que cette situation force les autres pays à prendre eux aussi des mesures de dévaluation de leur monnaie, ce qui entraîne une dangereuse «guerre des changes». Dominique Strauss-Kahn, le patron du FMI, a quant a lui abandonné le langage diplomatique, déclarant: «Si nous voulons éviter de créer les conditions d’une nouvelle crise, la Chine devra accélérer le processus d’appréciation [de sa monnaie] 

    Le Congrès américain a préparé une loi qui prévoit d’imposer des droits de douane compensatoires aux importations de produits chinois. «Le moment est-il venu de livrer une guerre des changes à la Chine?», s’interroge le très respecté chroniqueur économique Martin Wolf dans les pages du Financial Times. «De plus en plus, la réponse semble être oui. Bien que cette idée soit inquiétante, je ne crois plus qu’il y ait d’alternative possible», poursuit-il. 

    Comment réagissent les Chinois?

    Réaction des dirigeants chinois face à tous ces appels: ils bâillent. Jusqu’ici, Pékin n’a tenu aucun compte de ces exhortations. Et dans les cas où le gouvernement chinois a promis d’agir, il l’a fait en tard et en traînant la patte. «Ils continuent de faire pression sur nous concernant la valeur du yuan», a récemment déclaré Wen Jiabao à Bruxelles. «Les marges de profit de nos entreprises exportatrices sont très faibles et peuvent disparaître complètement s’ils appliquent des taxes sur nos produits, comme menacent de le faire les Américains.» Le leader chinois a averti que des mesures qui affaibliraient les entreprises chinoises et contribueraient au chômage causeraient de graves tensions politiques: «Si la Chine traverse des turbulences économiques et sociales, ce sera un désastre pour le monde entier.» Durant un millénaire, l’Empire du Milieu a été en proie au chaos politique, et c’est ce qui justifie cette attitude dirigeants chinois. Ils redoutent plus que tout une rupture de la paix sociale relative qui règne depuis quelques dizaines d’années dans leur pays.

    Ainsi, le consensus entre les ministres, banquiers et experts qui s’étaient réunis à Washington ces jours-ci à l’occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, est le suivant: en dépit des pressions, la Chine ne va pas modifier substantiellement sa politique de change. Nous vivons dans un monde nouveau, où l’un des pays les plus pauvres de la planète se permet d’ignorer à sa guise les pressions des grandes puissances.

    Pékin va peser sur tous les pékins

    Ces cinquante dernières années, en cas de grosse crise économique internationale (comme celle d’aujourd’hui), le Trésor américain et la FED, quelques uns de leurs pendants européens et japonais, ainsi que le FMI intervenaient pour remettre les choses à leur place – ou du moins à la place qui leur convenait. Eh bien, cette époque est révolue! Plus personne ne peut forcer la Chine à adopter des politiques économiques qui ne convainquent pas ses dirigeants. Autant nous habituer dès maintenant à ce pouvoir de décision de Pékin. Et à ses impacts possibles sur nous tous.

    Pendant que l’économie mondiale subit ces bouleversements, l’organisme chargé de veiller à la stabilité financière dans le monde se consume dans des débats d’un autre siècle sur son fonctionnement. Huit des vingt quatre sièges du Conseil d’administration du FMI sont réservés aux pays européens, dont des petits pays comme la Belgique et les Pays-Bas. Des puissances en pleine ascension, comme la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud ou le Brésil, sont largement sous-représentées. De plus, une règle tacite garantit que le Directeur général du FMI est issu d’un pays européen.

    Voilà les débats actuels du Fonds. Il est pourtant évident que sa surreprésentation occidentale ou la nature européenne de sa direction ne survivront pas aux nouvelles réalités d’un nouveau monde. Dominé par l’Asie.

    Moisés Naím

    Traduit par Micha Cziffra


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  • Comment éviter une guerre des monnaies

    Barry Eichengreen and Douglas Irwin
     


     

    BERKELEY – Après trois ans de crise financière, on pourrait penser que toute analogie à la Grande Dépression serait abandonnée. Mais elle persiste, avec plus de force qu’auparavant. La crainte aujourd’hui est qu’une guerre des devises, avec son lot de barrières tarifaires et de représailles, pourraient entrainer des perturbations dans le système international du commerce aussi sérieuses que celles des années 30.

    Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter car l’expérience des années 30 suggère que les conflits de taux de change peuvent être même plus dangereuses que les dépressions sévères de par les pressions protectionnistes qu’elles entrainent. 

    En fait, ce ne sont pas les pays aux prises avec les pires récessions économiques et les plus forts taux de chômage qui ont le plus augmenté les barrières tarifaires et resserré les quotas dans les années 30. En comparant les pays, on se rend compte qu’il n’y avait pas de liens entre soit l’ampleur et la durée de la chute de la production et l’augmentation des niveaux de protection, ou l’ampleur de l’augmentation du chômage et l’étendue du protectionnisme.

    La raison pour laquelle les pays qui ont été le plus frappé dans les années 30 n’ont pas été tentés de répondre en protégeant l’industrie de la concurrence étrangère est simple. Il y eut un effondrement de la demande au début de la Grande Dépression, qui en retour a conduit à une  chute brutale des importations. En conséquence, les niveaux de pénétration des importations ont effectivement baissé, et de façon dramatique, dans presque tous les pays. Les producteurs avaient des problèmes, bien sur, mais la concurrence de l’importation était le moindre de tous.

    Il est arrivé la même chose cette fois-ci : lorsque la crise est devenue globale en 2008-2009, les importations ont chuté plus rapidement que la production. Avec la chute des échanges commerciaux, la concurrence étrangère a été un moindre problème pour les secteurs sensibles à l’importation. En conséquence, il y a eu peu de réactions protectionnistes. La Banque Mondiale a estimé que seuls 2% de la baisse dans les échanges commerciaux pendant la crise étaient dus à une montée du protectionnisme. Dans les années 30, par contre, environ la moitié de la baisse des échanges commerciaux mondiaux découlait du protectionnisme.

    Pourquoi cette différence aujourd’hui ?

    C’est à cause des conflits de devises. Dans les années 30, les pays qui avaient augmenté leurs barrières tarifaires et resserré les quotas étaient ceux qui manquaient de capacités pour gérer leurs taux de change – principalement les pays qui sont restés indexés sur l’or. En 1931, après que la Grande Bretagne et une vingtaine d’autres pays aient suspendu leur convertibilité à l’or et autorisé une dévaluation de leur monnaie, les pays qui avaient préservé leur convertibilité à l’or se sont retrouvés dans un étau déflationniste. Désespérés, ils ont essayé de défendre leur économie par n’importe quel moyen et se sont rabattus sur des mesures protectionnistes, en imposant des droits de « dumping des taux de changes » et des quotas d’importations pour compenser la perte de compétitivité causée par la surévaluation progressive de leurs monnaies.

    Mais les restrictions commerciales furent un faible substitut aux mesures de relance intérieure, puisqu’elles n’ont pas permis d’arrêter la chute des prix et de la production. Et elles n’ont pas non plus permis de stabiliser les systèmes bancaires délabrés. Par contre, les pays qui avaient donné du lest à leur politique monétaire et pris des mesures de relance n’ont pas seulement mieux stabilisé leurs systèmes financiers et récupéré plus rapidement, mais ils ont aussi évité le reflexe protectionniste toxique du moment.

    Les Etats-Unis sont aujourd’hui dans la situation des pays qui étaient indexés à l’or dans les années 30. Ils ne peuvent ajuster unilatéralement le niveau du dollar par rapport au renminbi chinois. La courbe de l’emploi est décevante et les craintes de déflation persistent. Par manque d’autres instruments pour répondre aux problèmes, les pressions protectionnistes enflent.

    Alors que peut-on faire pour trouver une solution à cette situation sans tomber dans le « chacun pour soi », avec des représailles à tout va ? Dans la période de déflation des années 30, la meilleure manière de contenir les pressions protectionnistes était d’utiliser activement la politique monétaire pour faire remonter les niveaux de prix et stimuler la reprise économique. Il en est de même aujourd’hui. Si les craintes de déflation reculaient et si les courbes de la production et de l’emploi remontaient de manière plus vigoureuse, cela dissiperait les pressions protectionnistes.

    Le vilain petit canard, donc, n’est pas la Chine, mais le Bureau de la Réserve Fédérale américaine, qui rechigne à utiliser les outils à sa disposition pour vaincre la déflation et redynamiser l’emploi. Le Congrès aurait ainsi moins de pressions à pointer du doigt un coupable, quel qu’il soit – dans ce cas précis, la Chine – pour la reprise américaine sans emplois. La Fed ferait bien de suivre l’option pour laquelle la Banque du Japon a opté.

    Bien sur, avec un renminbi fixé par rapport au dollar, la Fed relancerait effectivement non seulement l’économie américaine mais aussi celle de la Chine. Mais cela est dans ses moyens. L’économie de la Chine ne représente encore qu’une fraction de l’économie américaine, et la capacité de la Fed à gonfler son bilan est effectivement illimitée.

    Le résultat pourrait bien ne pas plaire à la Chine. L’inflation y est déjà un peu trop forte. Heureusement, le gouvernement chinois a une solution toute prête pour résoudre le problème : c’est vrai, elle peut réévaluer sa monnaie.

    Barry Eichengreen est professeur en économie à l’université de Californie à Berkeley ;

     Douglas Irwin est professeur en économie au Dartmouth College.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

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  • La Fed met le feu aux poudres

     

    La banque centrale américaine n'a laissé aucun doute sur ses intentions. Tous les moyens, conventionnels ou pas, seront utilisés pour relancer l'économie. Le mandat que la Fed s'est donné est simple : la croissance, la croissance et encore la croissance. Rappelons que le mandat principal de la Banque centrale européenne est la stabilité des prix. La Fed va donc lancer QE2, la phase deux du « quantitative easing », ce qui, en langage politiquement et économiquement incorrect, signifie qu'elle va faire tourner la planche à billets 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et inonder le monde de liquidités en dollars. On sait que Ben Bernanke est un spécialiste de la crise de 1929 et qu'il est persuadé qu'une politique monétaire restrictive provoquerait un remake de la rechute violente en récession de 1932. On comprend son inquiétude. Elle est justifiée par la faiblesse de la reprise de l'économie américaine.

    Mais Ben Bernanke se lance tout de même dans un jeu dangereux. Une stratégie déjà utilisée par son prédécesseur Alan Greenspan et dont on sait qu'elle est la principale responsable de la crise des subprimes et de la crise mondiale. Le biais majeur de la politique agressivement laxiste de la Fed est que les dollars injectés ne vont malheureusement pas dans l'économie réelle. Ils vont sur les marchés. Les banques américaines absorbent la majeure partie de cette manne et la stérilisent. Soit en faisant de la transformation : elles empruntent à zéro pour cent auprès de la Fed et prêtent au gouvernement en achetant des emprunts d'État à 2, 5 ans et 10 ans pour empocher le différentiel de taux. Soit en investissant sur les marchés financiers.

     

    L'argent que la Fed injecte va directement en Inde, en Thaïlande, au Brésil et dans tous les pays émergents dont les Bourses et les monnaies sont au plus haut. Avec une inquiétude grandissante des dirigeants de ces pays devant cette « hot money » qui déferle. Cet argent inonde aussi les marchés de matières premières. L'or, l'argent, les matières premières agricoles flambent. La Fed alimente à nouveau des bulles dans le monde entier de Bombay aux mines d'or en passant par les marchés de Chicago de céréales. Pendant ce temps, les ménages américains restent insensibles à la baisse des taux et pour cause. Ceux qui sont en difficulté n'ont de toute façon aucun accès au crédit, sauf au crédit à la consommation ou aux cartes de crédit qui eux sont toujours à des taux historiquement élevés. Et ceux qui ont un travail, un revenu voire un patrimoine ne veulent pas s'endetter et voient en plus le revenu de leur capital investi en placements monétaires à court terme ne plus rien leur rapporter.

    La Fed veut éviter la déflation à la japonaise mais elle va alimenter une inflation des actifs et une flambée des prix alimentaires. Une fois de plus. C'est un jeu dangereux. Très dangereux. Il faut avoir conscience qu'aujourd'hui les marchés financiers, du fait notamment de la politique de la Fed, sont dans une situation de déséquilibre explosif. Le dollar s'effondre mais tout monte : les indices boursiers, les matières premières, les pays émergents et les obligations. Ce n'est pas durable car ce n'est pas cohérent. L'or ne peut pas être à un niveau record à la hausse et les taux longs à un niveau record à la baisse durablement. Il va falloir que les corrélations « classiques » reprennent le dessus. Dès lors un marché doit corriger. Soit les actions doivent rechuter violemment, mais les résultats des entreprises sont plutôt solides. Soit les obligations doivent se crasher. C'est le scénario le plus probable mais, pour l'instant, la Fed tient le marché des obligations à bout de bras. Ce numéro d'équilibriste peut éventuellement sauver les États-Unis d'une nouvelle récession mais il peut provoquer une nouvelle crise sur les marchés. Une fois de plus, les États-Unis agissent seuls, sans concertation, et privilégient leurs intérêts aux dépens des autres pays. Les États-Unis ne font pas mieux que la Chine...

    À contre-courant, par Marc Fiorentino, Stratège d'Allofinance.com

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