• Le point de vue d’Edouard Balladur

    Prospérité et Justice  

    Les déclarations que j’ai faites récemment sur les questions controversées des stock-options et des retraites chapeaux méritent d’être précisées, notamment au regard des projets du gouvernement.S’agissant, tout d’abord, des stock-options, je relève qu’il est envisagé d’en alourdir la taxation de 1 % au moment de la levée des options. Sans contester le bien-fondé de cette mesure, je pense qu’il serait plus expédient de supprimer purement et simplement les stock-options elles-mêmes. Dans la pratique des grandes entreprises, elles ont, d’ores et déjà, quasiment disparu, eu égard aux conditions de performance auxquelles leur attribution est désormais, comme pour les actions gratuites, subordonnée. La suppression des options prendrait acte d’un état de fait. Du moins un symbole devenu fâcheux, puisqu’assimilé à une spéculation sans risques, serait-il relégué dans le passé.Pour ce qui est des actions gratuites, issues de la proposition de loi que j’avais fait adopter il y a six ans, on peut se résigner à voir leur taxation aggravée de 1 %. Prenons garde toutefois que la distribution d’actions gratuites ne soit pas découragée pour autant. Il s’agit là d’un levier essentiel à la diffusion de l’actionnariat salarié, encore trop peu développé dans notre pays. C’est pourquoi je souhaite le maintien d’une taxation incitative pour la distribution d’actions gratuites.Reste la question des retraites chapeaux. En l’état actuel du droit, les revenus qu’elles procurent sont taxés, entre les mains de leurs bénéficiaires, au taux de l’impôt sur le revenu applicable à chacun d’eux. Il est prévu qu’à cette imposition vienne s’ajouter une taxation spécifique de 14 % à la charge du pensionné.Je souhaite que l’on réfléchisse à la portée de cette mesure. Certes, l’anomalie propre aux retraites chapeaux tient au fait que leurs attributaires n’ont supporté le poids d’aucune cotisation et que c’est, en quelque sorte, l’entreprise qui cotise entièrement à leur place. Cette particularité peut s’expliquer, dès lors qu’il s’agit d’allouer aux cadres de l’entreprise une sorte de retraite complémentaire. Il n’y a rien là de choquant et je souhaite que l’on ne pénalise pas les nombreux cadres qui bénéficient de ce système au seul motif qu’il convient de mettre un terme aux privilèges exorbitants dont peuvent jouir certains mandataires sociaux. Car c’est bien pour cette dernière catégorie – et pour elle seule – que s’impose le besoin d’une législation spécifique. Les mandataires sociaux bénéficient parfois, on le sait, de salaires importants, dont les montants peuvent défrayer la chronique. Plus discrets sont les avantages qu’ils se font attribuer, à vie, sous forme de retraites chapeaux, pour des montants dont je m’étonne qu’ils ne retiennent pas davantage l’attention. C’est sur ce point qu’il y a lieu d’engager la réflexion, afin de mettre au jour une législation adaptée.En d’autres termes, il existe plusieurs manières de faire en sorte que les dirigeants et les salariés des entreprises tirent avantage de la prospérité dont ils sont les artisans ; car, par le biais de l’impôt, c’est la collectivité tout entière qui en bénéficie. Mais la prospérité n’est pas l’ennemie de la justice, bien au contraire. J’incline même à penser que l’une et l’autre sont indissociables.Edouard Balladur est ancien Premier ministre.


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  • « Il y aura des augmentations d’impôt quel que soit le vainqueur de la présidentielle »

     

    Le bouclier fiscal, qualifié par François Baroin de « symbole d’injustice », est en sursis.Etes-vous satisfait ?

    C’est une prise de conscience tardive. Nos efforts de pédagogie ont fini par porter leurs fruits. Mais je ne suis pas dupe de cette soudaine lucidité, qui arrive avant le grand rendez-vous électoral de 2012. Et qui prépare le terrain à une mesure que Nicolas Sarkozy n’avait pas osé avancer lors de la campagne présidentielle de 2007 : la suppression de l’ISF.

    Etes-vous opposéà la suppression de l’ISF ?

    Dans le contexte actuel, il serait malencontreux, pour ne pas dire choquant, d’abroger l’ISF – dois-je rappeler le souvenir de 1986, le gouvernement Chirac l’avait payé cher –, et ce serait une perte de recette de près de 4 milliards d’euros. Une réforme de la fiscalité du patrimoine est néanmoins nécessaire. Il y a aujourd’hui une cascade de prélèvements, avec l’ISF, les droits de mutation, l’impôt sur les successions et la taxe sur le foncier bâti, sans oublier la taxe sur les plus-values. Je suis favorable à une simplification et à une modernisation de tout ce dispositif qui manque de cohérence et qui multiplie exonérations et abattements. Je préconise une imposition globale dont les deux piliers seraient l’ISF dans sa forme actuelle, qui peut être encore amélioré, et l’impôt sur les successions, dont les taux seraient relevés pour les tranches supérieures. L’ISF pourrait être considéré comme un acompte sur le paiement de l’impôt sur les successions et viendrait, au moins pour partie, en déduction de ce dernier.

    Faut-il relever à 45 % la tranche supérieure du barèmede l’impôt sur le revenu ?

    Cessons les improvisations conjoncturelles et les bricolages de circonstance. Ce que proposent ces parlementaires, c’est de supprimer un impôt sur le patrimoine, l’ISF en l’occurrence, et de compenser cette mesure par une hausse d’un impôt sur le travail. C’est contraire à toute logique économique : le capital, même improductif, échapperait à l’impôt quand les revenus de l’activité seraient davantage frappés. Il faut une grande réforme fiscale qui passe notamment, comme je le propose, par une fusion de l’IRPP [impôt sur le revenu des personnes physiques, NDLR] et de la CSG et par la prise en compte de tous les revenus avec un barème progressif et un taux minimal.

    La fiscalité sera-t-elle un sujet majeur de la présidentielle ?

    Ce sera un débat essentiel, mais pas le seul ! Je veux éviter la caricature entre d’un côté une droite qui prônerait, contre toute raison, une stabilité fiscale, alors même que le taux des prélèvements obligatoires progressera de deux points de PIB d’ici à 2013, selon les projections, aux termes du projet de loi de Finances pour 2011, et de l’autre une gauche qui réclamerait un relèvement général des impôts alors qu’elle doit d’abord  veiller à les rendre plus justes socialement et plus efficaces économiquement. La vérité est qu’il y aura des augmentations d’impôt quel que soit le vainqueur de l’élection. Mais la seule question qui compte, c’est de savoir qui les paiera. Je propose de faire de la réforme fiscale l’acte premier de la prochaine législature. Il n’est pas possible de demander des efforts pour les retraites, le redressement des comptes publics et des comptes sociaux si les contribuables et les assurés sociaux n’ont pas la certitude que les sacrifices demandés sont justement partagés et que les prélèvements jouent leur rôle redistributif.

    Faut-il réduire les effectifsde la fonction publique ?

    Nous devons nous garder de toute règle automatique. Je préfère des critères de qualité de la dépense, de hiérarchisation des priorités, de redéploiement des effectifs, de clarification des compétences entre l’Etat et les collectivités locales plutôt que des mesures d’affichage, dont l’impact financier est limité mais dont les effets sur certaines missions de l’Etat (l’éducation notamment) se révèlent désastreux.

    Les collectivités locales devront-elles être associées à l’effortde maîtrise des dépenses ?

    Le procès qui leur est fait est largement infondé. Leurs effectifs n’ont progressé qu’en raison des transferts de compétences organisés par l’Etat. Et les collectivités  locales font face à de nombreuses sollicitations, y compris de l’Etat, comme récemment pour participer au plan de relance. Ces accusations mutuelles ne sont pas dignes de notre démocratie. Je suis favorable à une nouvelle étape de décentralisation avec de nouvelles compétences attribuées aux régions, notamment en matière économique, et aux intercommunalités pour la gestion des territoires. Il serait possible de concevoir un impôt additionnel sur le revenu que lèveraient les collectivités locales et qui serait de nature à les responsabiliser.

    L’effort de réduction des déficits publics est-il suffisant ?

    Franchement non ! Une nouvelle fois, les engagements pris ne seront pas respectés. La France a perdu depuis une dizaine d’années toute crédibilité en cette matière. L’effort est indispensable, mais mieux vaudrait afficher un objectif réaliste et s’y tenir. Le chef de l’Etat ne dit pas la vérité aux Français lorsqu’il prétend qu’il évite au pays la rigueur. Le projet de budget 2011 prévoit des hausses d’impôt. Le niveau des prélèvements obligatoires va augmenter d’un point de PIB en 2011 et les recettes attendues de l’impôt sur le revenu vont progresser de 10 % l’an prochain. Quant aux dépenses, je ne conteste pas l’objectif de maîtrise, mais la manière dont il est mis en œuvre, par automatisme, plutôt qu’intelligemment, avec une véritable réforme de l’Etat. Toutes les promesses de Nicolas Sarkozy en matière fiscale ont été abandonnées ou reniées, que ce soit la déduction des intérêts d’emprunt immobilier, le bouclier fiscal ou la baisse des prélèvements obligatoires… L’instabilité s’est ajoutée à l’injustice. Il faut faire exactement l’inverse à partir de 2012 : engager une réforme des prélèvements qui poursuive une double logique économique et redistributive. Ce qui est insupportable pour les contribuables, ménages comme entreprises, c’est de ne pas savoir quelle sera la donne fiscale l’année suivante.

    Le rapport Attali préconiseune hausse de la TVA.Y êtes-vous favorable ?

    Notre taux moyen de TVA est dans la fourchette haute de l’Union européenne. Si tant est que l’idée soit pertinente, nos marges sont faibles. A mon avis, la seule chose qu’il serait souhaitable de modifier, c’est la structure de nos taux, entre ce qui relève du taux réduit, du taux moyen et la possible création d’un taux intermédiaire. Mais les éventuels changements doivent avoir l’accord de Bruxelles. Quant à la TVA sociale, elle peut changer de nom, elle reste décourageante pour la consommation.

    Que pensez-vous plus largement des préconisations du rapport ?

    Je comprends l’urgence du désendettement, je partage certaines solutions comme la baisse des prélèvements sur le travail, la fiscalité écologique, la taxation des rentes et le ciblage des dépenses de solidarité. Mais je conteste l’idée d’une hausse de la TVA comme les mesures de déremboursement, y compris pour les affections longues et durables. Je récuse les simplismes et les automatismes, c’est la meilleure façon de rendre impossible la réforme.

    Propos recueillis par renaud czarnes et stéphane dupont

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  • « La France ne doit pas avoir de scrupules à relever la TVA »

     


     

    JACQUES ATTALI

    Votre rapport propose notamment de relever le taux de TVA pour abaisser le coût du travail. C'est du protectionnisme ?

    L'Allemagne ne s'est pas gênée pour le faire, il me semble. Il faut ensuite rappeler que le taux de TVA appliqué en France se situe en dessous de la moyenne européenne. La France dispose d'une marge de manoeuvre que certains pays n'ont plus. Comme l'Allemagne. Cette mesure s'apparente en effet à une dévaluation compétitive et il faut savoir ce que l'on veut : continuer à céder du terrain face à nos concurrents ou au contraire redynamiser les exportations tricolores, et donc l'emploi, tout en assurant un financement plus sain de notre protection sociale.

    Comment s'assurer que les entreprises répercuteront bien la baisse du coût du travail sur les prix de leurs produits ? En clair, qu'elles ne garderont pas pour elles le différentiel de marge ?

    La tentation serait grande, effectivement. Sauf que les entreprises françaises évoluent dans un environnement extrêmement concurrentiel en Europe et dans le reste du monde. Si elles ne baissent pas leurs prix, elles continueront à voir leurs parts de marché reculer. Elles n'ont pas beaucoup le choix. La loi du marché rappellerait à l'ordre les entreprises un peu trop gourmandes. C'est la raison pour laquelle je ne crois pas que ce relèvement du taux de TVA pèserait sur la consommation des ménages.

    Avec cette mesure, la France demanderait à ses partenaires européens de financer une partie de la protection sociale de ses citoyens. N'est-ce pas contradictoire avec le souhait de la Commission de voir renforcée la politique économique européenne ?

    Je le répète, l'Allemagne n'a pas eu beaucoup de scrupules à relever son taux de TVA. Que préféreriez-vous ? Que ce soit les générations futures qui se trouvent chargées du fardeau de notre dette ? Étant donné le climat social actuel, la réponse à cette question me semble assez évidente.

    Propos recueillis par Fabien Piliu


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  • Quelques règles à l’attention d’une superpuissance fauchée

    Michael Mandelbaum

     


     

    WASHINGTON – La politique étrangère américaine va devoir se serrer la ceinture. Les dépenses croissantes induites par l’explosion de la dette nationale, associées aux coûts astronomiques des plans de retraite et de Medicare, compte tenu de l’arrivée à la retraite des 78 millions de baby-boomers, va grever les moyens financiers des initiatives américaines à l’étranger.

    Comme je l’explique dans mon nouveau livre The Frugal Superpower: America’s Global Leadership in a Cash-Strapped Era, le poids que ces obligations vont imposer aux Américains – sous la forme d’une fiscalité plus élevée et de la perte de certains avantages – va affaiblir le soutien de l’opinion publique envers le rôle international expansif que les Etats-Unis assument depuis la deuxième guerre mondiale.

    Cela va changer le monde et pas forcément en mieux. La politique étrangère américaine, même avec ses travers, a permis de fixer une certaine stabilité politique à travers le monde. Comment alors l’Amérique devrait-elle adapter son action à l’étranger afin de minimiser ce que sa situation diminuée pourrait causer comme dégâts à la sécurité globale ? Voici trois règles pour une superpuissance fauchée.

    Règle I: Plus de soutien à la construction des états

    Au cours des deux premiers mandats présidentiels de la guerre froide, les Etats-Unis ont mené des interventions militaires en Somalie, en Haïti, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Les motifs de ces interventions pouvaient différer mais ils ont tous conduits les efforts américains vers la reconstitution (nation-building) de gouvernements capables de fonctionner qui se sont avérés longs et frustrants. Les institutions en question ne peuvent être bâties rapidement ni livrées clé en main depuis l’étranger. Pour cette raison, entre autres, l’entreprise n’a pas vraiment eu les faveurs de l’opinion publique américaine.

    Ce soutien à la reconstitution des états, outre sa difficulté et son impopularité, a aussi un autre défaut : son coût. Le gouvernement américain n’aura plus les moyens d’investir des centaines de milliards de dollars (le coût de la seule guerre d’Irak devrait atteindre le trillion de dollars) pour tenter de livrer un gouvernement décent aux autres peuples. De plus, de tels projets constituent une bien plus petite contribution à la sécurité et au bien-être américains et globaux que ne le font d’autres dossiers de la politique étrangère américaine – des politiques auxquelles les Etats-Unis devraient consacrer tous leurs efforts.

    Règle II: Se concentrer sur les éléphants

    “Ne courrez pas derrière les lapins,” dit-on “parce que si vous courrez derrière les lapins, les éléphants vous tueront.” La Somalie, Haïti, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, et même l’Irak sont à mettre dans la catégorie des lapins – des distractions par rapport à ce sur quoi la politique étrangère américaine devrait se concentrer. Les équivalents fonctionnels des éléphants sont l’Europe, L’Asie de l’est, et le Moyen Orient. Ces trois régions sont les plus importantes du monde et la présence militaire américaine joue un rôle constructif dans chacune d’elle.

    Dans les deux premières régions, les Américains assurent à chacun des pays qu’il n’y aura pas de changement soudain dans l’équilibre des pouvoirs susceptibles de les menacer. En Europe, l’Allemagne peut être confiante dans le fait que les Etats-Unis vont aider à contenir l’agressivité de la Russie tandis que la Russie sait que l’Allemagne restera liée, et donc contrainte, par les Etats-Unis. En Asie de l’est, la présence des forces navales et aériennes américaines permet de garder un oil sur la Chine mais permet aussi de servir l’un des intérêts stratégiques de la Chine en empêchant le Japon de mener une politique militaire indépendante.

    Le maintien dans ces deux régions d’une forme de présence militaire américaine, quelle qu’en soit la forme, sera nécessaire pour préserver la paix. Le retrait total des Américains pourrait générer des suspicions, une course à l’armement, et dans le pire des cas, des conflits entre les pays de l’Europe et de l’Asie.

    Au Moyen-Orient, les Etats-Unis s’opposent à l’Iran, dont l’objectif est d’étendre son pouvoir par tous les moyens à sa disposition, de forcer les gouvernements des pays voisins à démissionner en faveur de forces idéologiquement sympathisantes, et, à terme, d’évincer les Etats-Unis de la région. Les armes nucléaires rendent la menace posée par le régime iranien d’autant plus lourde. En effet, contenir l’Iran tout en contrecarrant ses ambitions nucléaires est l’unique urgence prioritaire pour la superpuissance américaine aujourd’hui fauchée.

    Règle III: Augmenter les taxes pétrolières

    La quête de l’Iran pour dominer le Moyen-Orient menace le monde parce que la région produit une très grande part du pétrole dont l’économie globale dépend. Si le monde utilisait moins de pétrole, l’Iran constituerait une moindre menace parce que ses dirigeant radicaux dépendent de ces revenus pétroliers pour acheter le soutien national et poursuivre leurs objectifs régionaux.  

    Diminuer les revenus pétroliers en utilisant moins de pétrole affaiblirait aussi les autres fauteurs de troubles internationaux, actuels et potentiels – Hugo Chávez au Venezuela, par exemple, et Vladimir Poutine en Russie. En outre, une part de l’argent que le monde verse pour le pétrole de l’Arabie Saoudite se retrouve dans les caisses des organisations terroristes.

    Aucune mesure ne contribuerait plus à faire de ce monde un espace moins dangereux qu’une diminution substantielle de la consommation de pétrole. Et aucune autre mesure ne contribuerait autant à réduire la consommation de pétrole qu’une très forte augmentation des taxes sur l’essence dans le pays qui est le plus gros consommateur au monde de cette matière : les Etats-Unis. Si les Américains devaient payer plus pour leur essence, ils en utiliseraient moins. Un prix de l’essence fort permettrait à des sources énergétiques alternatives comme l’éthanol et à des moyens de transports alternatifs comme les voitures électriques de devenir commercialement viables.

    Rien de tout cela ne sera immédiat. Les Américains vont devoir dans un premier temps faire de modestes sacrifices économiques en payant leur essence plus cher. De tels sacrifices, cependant, seraient fort utiles. Ils permettraient de garantir que, même en période de contraction de la politique étrangère américaine, le monde continuerait de profiter des plus importants bénéfices de la politique étrangère expansive que les Etats-Unis ne peuvent plus se permettre.

    Michael Mandelbaum enseigne la politique étrangère américaine à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de l’Université Johns Hopkins et est l’auteur de  The Frugal Superpower: America’s Global Leadership in a Cash-Strapped Era.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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  • Les pays en développement peuvent-ils porter l’économie mondiale?

    Dani Rodrik


     

    CAMBRIDGE – Aux premiers jours de la crise financière internationale, un certain optimisme voulait que les pays en développement seraient à même d’éviter le déclin qui a frappé les économies industrielles avancées. Après tout, cette fois-ci, ce ne sont pas eux qui se sont ferrés dans des excès financiers, et leurs fondamentaux économiques semblaient plutôt bons. Mais ces espoirs furent anéantis au fur et à mesure de l’assèchement des prêts internationaux et de l’effondrement des échanges commerciaux, entrainant les pays en développement dans la même spirale que celle des pays industrialisés.

    Mais la finance globale et le commerce international ont ressuscité, et nous entendons aujourd’hui une version plus encourageante de ce scénario. Une croissance forte est aujourd’hui envisagée pour les pays en développement, indépendamment de la morosité qui accable à nouveau l’Europe et les Etats-Unis. Plus étonnant : beaucoup s’attendent à ce que les pays en développement deviennent les moteurs de la croissance de l’économie globale. Otaviano Canuto, vice président de la Banque Mondiale, et ses collaborateurs viennent de produire une longue étude qui vient appuyer ce diagnostique optimiste.

    Bien des raisons montrent que cet optimisme n’est pas déraisonnable. La plupart des pays en développement ont fait le ménage dans leurs maisons financière et budgétaire et ne sont pas lourdement endettées. Leur gouvernance profite généralement de l’amélioration du processus décisionnaire politique. Les possibilités offertes par les transferts de technologie par participation aux réseaux de production internationaux sont plus importantes que jamais.

    En outre, la croissante lente des économies avancées n’entraine pas obligatoirement un enlisement de la performance des pays en développement. La croissance à long terme ne dépend pas de la demande étrangère, mais plutôt de l’offre intérieure. Leur croissance rapide soutenue résulte du fait que les pays pauvres tentent de rattraper les niveaux de productivité des pays riches – et non de la croissance des pays riches à proprement parler. Pour la plupart des pays en développement, cet « écart de convergence » est plus large aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis les années 70. Le potentiel de croissance est donc proportionnellement plus important.

    Mais c’est ici que s’arrête la bonne nouvelle. Une croissance soutenue nécessite une stratégie de croissance, et la plupart des pays en développement n’en ont pas encore une qui puisse irrévocablement les mettre sur la voie de la convergence économique.

    Dans trop de ces pays, la croissance économique des vingt dernières années reposait sur une combinaison de deux facteurs : un rebond naturel des crises financières précédentes (comme en Amérique Latine) ou des conflits politiques ou des guerres civiles (comme en Afrique), et des prix des marchandises élevés. L’évolution productive dont ces pays ont besoin ne peut se fonder sur aucun de ces deux facteurs.

    En l’espèce, le modèle de croissance de l’Amérique Latine depuis vingt ans est intéressant. La concurrence internationale a donné un vrai coup de fouet à de nombreuses industries de la région et permis de générer des gains substantiels de productivité dans les secteurs de pointe ; mais ces gains sont restés cantonnés à un segment étroit de l’économie.

    Pire encore, la force de travail a été déplacés des activités marchandes productives (dans le secteur manufacturier) vers des activités informelles moins productives (les services). Dans les plupart des pays de l’Amérique Latine, les changements structurels ont ralenti, plutôt qu’encouragé, la croissance économique.

    Les pays asiatiques, pour leur part, ont préféré soutenir les secteurs modernes et marchands de leurs économies. Ils ont donc, pour la plupart, éviter ce mal et mieux réussi. Mais le modèle asiatique pourrait luis aussi avoir atteint ses limites.

    La Chine, en particulier, doit prendre acte du fait que le reste du monde ne lui permettra pas de conserver indéfiniment son excédent commercial. Une monnaie sous-évaluée, qui lui permet de subventionner ses industries manufacturières, est l’une des clés du moteur de croissance économique de la Chine depuis dix ans. Une revalorisation significative du renminbi réduirait ou même éliminerait cette subvention de croissance.

    Au-delà des perspectives de croissance des pays en développement se pose une question plus profonde. Une économie mondiale dans laquelle les pays en développement pèsent considérablement plus lourd peut-elle générer le type de gouvernance capable de soutenir un environnement économique accueillant ? Les économies des pays émergeants n’ont pas encore démontré le genre d’aptitudes globales à diriger qui permettrait de répondre à cette question par l’affirmative.

    Les institutions globales de notre époque – le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce – sont encore largement des créations américaine de la fin de la deuxième guerre mondiale (bien qu’elles aient bien sur toutes subi de profonds changements depuis leur création). Ces institutions reflétaient les intérêts américains mais elles codifiaient aussi certaines normes de comportement – processus décisionnaire basé sur des règles, non discrimination, multilatéralisme, transparence – qui ont aussi fini par entraver le pouvoir américain.

    Des pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du sud, cependant, ont pour l’instant montré peu d’intérêt dans la construction de régimes globaux, préférant jouer les resquilleurs. Jorge Castañeda, ancien ministre mexicain des affaires étrangères, va même plus loin lorsqu’il affirme que ces pays se sont systématiquement opposés aux règles globales dans divers domaines, du changement climatique au commerce international.  

    Sans être trop dur avec les pays en développement, cependant, il faut rappeler que les politologues se sont longtemps inquiétés du fait qu’une diffusion plus large de la puissance économique pourrait déstabiliser l’économie mondiale. Un glissement significatif du centre de gravité économique du monde vers les économies en développement ne pourra être un processus fluide – ni même bénin.

    Nous pouvons être certains de deux choses : d’une part, la réussite ne sourira qu’aux seuls pays qui adopteront des stratégies de croissance qui encourageront des changements structurels intérieurs ; et l’énigme de la gouvernance globale – comment gérer une économie globale devenue indisciplinée – deviendra très certainement plus complexe.

    Dani Rodrik enseigne la politique économique à la John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard et a écrit : One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth (Une économie, plusieurs recettes : globalisation, institutions et croissance économique, ndt).

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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