• Les Européens ont voté pour que la crise continue

    Peuples et gouvernements esquivent le fond du problème

     

     

    Il y a quelque chose d'étonnant dans l'état actuel du débat sur la situation économique. Chacun admet qu'il y a crise. Le débat porte sur le fait de savoir si on a " touché le fond " et s'organise autour de la date probable d'une éventuelle reprise, à l'automne ou en 2010. Après tout, pourquoi pas ? L'étonnant est le contenu : on nous présente des confrontations de pronostics d'experts sur les périodes, mais quasiment pas d'informations factuelles permettant de se faire une idée sur le fait de savoir si on est oui ou non en train de sortir de la crise.

    Ce constat comporte quelques exceptions pour le champ de la finance et de la banque. Les faits sont patents : les banques dominantes se sont à peu près rétablies, on ne craint plus de faillite majeure dans ce secteur, la transmission de la banqueroute par contagion paraît, de l'avis général, arrêtée. La confiance interbancaire est donc en voie de rétablissement lent, ce qui est naturellement une des conditions de la reprise.

    L'accord semble lui aussi acquis sur la raison majeure de ce résultat positif. Les puissances publiques, contrairement à la crise de 1929-1932 où leur sottise cumulative avait tout aggravé, ont là agi avec rapidité, convergence intellectuelle et considérable puissance. Si le contribuable ne paiera pas tout de cet effort, c'est tout de même lui qui, dans son infinie bienveillance, a fourni la garantie et assumera finalement une part significative de la charge. Il n'est pas apparent que cette issue pose à la profession bancaire un problème éthique considérable.

    L'impression de fin des tensions et de redémarrage partiel de l'activité est si claire dans ce secteur que la profession bancaire, un peu partout, a entrepris d'actives campagnes pour éviter les contrôles envisagés, et conserver la possibilité de verser à ses dirigeants et à ses traders des rémunérations extravagantes. L'étrange atmosphère de sortie de crise, entretenue conjointement par les gouvernements, les banquiers et la presse, contribue grandement à minimiser l'importance des problèmes.

    Ainsi <st1:personname productid="la City" w:st="on">la City</st1:personname> a contribué à une offensive, ces semaines récentes, pour déstabiliser Gordon Brown, le premier ministre britannique, coupable de vouloir un peu trop nettement mettre de l'ordre dans le système. Et le président américain Barack Obama est visiblement aux prises avec ses banquiers et ses sénateurs sur le même sujet. Le débat est moins véhément en France et en Allemagne, mais il est de même nature. Il semble qu'au total on s'oriente vers une - légère ? - mise à distance des paradis fiscaux, vers des discours symboliques sur les rémunérations, et vers le statu quo, le maintien de l'existant en ce qui concerne les produits dérivés. Si c'est finalement le cas, on aura maintenu le système en préservant aussi ses lourds facteurs d'instabilité.

    Le détonateur financier pourra sauter une nouvelle fois dans quelques années. Après tout, cela fait quelque vingt ans que le monde connaît une crise financière grave à peu près tous les cinq ans... De là à essayer de réduire le volume insensé de l'activité financière par rapport à celui de la production, de là à essayer d'entraver la cupidité collective qui a fait dériver l'essentiel de cette profession vers l'immoralité, il y a un pas que l'on se garde bien de franchir. Et on recommence.

    Mais il n'est pas sûr que le plus grave soit là. Les économies développées sont à peu près toutes en récession en ce moment. Plus qu'une récession, qui peut être brève, c'est la situation du chômage qui justifie l'emploi généralisé du mot crise. Or dans ce domaine, les rythmes actuels d'augmentation du chômage sont effrayants - <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> s'attend à repasser au-dessus des 10 % d'ici à un an, les Etats-Unis au-dessus de 8 % soit un quasi-doublement en trois ans - et les perspectives fort inquiétantes. Et pourtant sur ce front, celui de l'affaiblissement de la consommation, l'élément majeur est moins le chômage que la précarisation du travail. A cet égard, toutes les économies développées atteignent depuis plus d'une quinzaine d'années des pourcentages de travailleurs précaires compris entre 15 % et 20 %. Les précaires consomment aussi peu qu'ils le peuvent. Partout, la crise récente a encore aggravé leur nombre.

    Mais curieusement, statisticiens officiels et gouvernements sont fort discrets sur ce point. On suit mal la variation. Chacun sait cependant qu'aujourd'hui, en Amérique du Nord, en Europe et au Japon, plus du quart de la population est soit en situation précaire, soit au chômage, soit pauvre. Un quart : 70 millions de personnes pour l'Europe, 40 à 50 pour les Etats-Unis, sans doute une trentaine pour le Japon, c'est évidemment massif pour le dynamisme de la consommation.

    De fait, en une trentaine d'années, donc lentement, la part des salaires et des revenus de protection sociale dans les PIB respectifs a diminué d'entre 7 % à 10 %. Cet indicateur est contesté à cause de la faible lisibilité de la période de référence et des différences de mode de calcul ici ou là. Reste que la masse des chômeurs, des précaires et des pauvres est repérée, et qu'elle rend compte d'un sérieux tassement de la vitesse de croissance de la consommation.

    On comprend mieux ainsi que, si le capitalisme développé a connu dans toute la triade (Amérique du Nord, Union européenne et Japon) une croissance moyenne de 4,5 % à 5 % l'an entre 1945 et 1970, il s'échine aujourd'hui (avant la crise) à essayer de retrouver 2,5 % à 3 % de croissance sans vraiment y parvenir. Dans la mesure où l'indicateur de crise est le marché du travail, la crise, c'est d'abord cela. Cette situation rend compte de ce que le détonateur financier (hausse de prix des matières premières liées aux produits dérivés, puis subprimes, puis titrisations en partie frauduleuses, et chaîne de faillites) ait frappé des économies anémiées, donc sans résilience. De cette situation, personne ne parle et personne n'émet l'intention d'y porter remède. Or le fond de la crise est là.

    En sortir n'est pas facile. Relancer exclusivement la consommation n'a guère de sens : on importerait davantage, notamment de Chine et d'Inde. C'est par l'investissement que le cycle vertueux doit être réamorcé, et surtout par l'investissement dans les énergies renouvelables, les techniques et produits bio. C'est ce démarrage qui pourra ensuite entraîner pouvoir d'achat et consommation vers la hausse.

    Or l'investissement dans l'industrie, les services, et même l'agriculture et l'agroalimentaire, est gravement entravé pour deux raisons. Primo, toutes les entreprises importantes du monde développé ont vu en un ou deux ans leurs actifs financiers au bilan perdre une bonne moitié de leur valeur ; le resserrement des fonds propres aux bilans étrangle évidemment les possibilités d'investissement. Secundo, le redressement relatif et précaire du monde bancaire s'accompagne tout aussi évidemment d'un resserrement draconien des conditions de crédit. On s'oblige à ne prêter qu'avec plus de prudence. Une " reprise économique " n'est donc guère probable à court-moyen terme. Les facteurs en sont absents. La sortie de crise suppose, après le redémarrage par l'investissement, de retrouver un mécanisme liant les salaires aux gains de productivité.

    Dans ces conditions le pronostic devient celui d'une stabilisation entre 5 % et 10 % en dessous du niveau de production atteint précédemment, puis d'une croissance à peu près nulle ou extrêmement lente pour les trois ou quatre prochaines années.

    Cela veut dire mise à mal de la cohésion sociale, fragilité des gouvernements, montée du populisme. Si le détonateur financier - puisqu'on est en train de préserver le système bancaire y compris ses facteurs de déséquilibre - réexplose dans peu d'années, il frappera des économies encore plus fragiles et anémiées. Il y a du souci à se faire, je suis désolé de ne pas savoir m'en cacher.

    En trente ans, c'est une révolution intracapitaliste qui s'est faite, et pour le pire. Le motif de ce changement majeur est tout simple : dans le monde bancaire, c'est une avidité démesurée, une orientation viscérale vers la recherche de la fortune, qui explique aussi bien l'extension vertigineuse des produits dérivés que les invraisemblables niveaux de rémunération, comme la tendance évidente à la tricherie et à l'immoralité à l'oeuvre dans les subprimes et les titrisations de créances douteuses.

    Dans l'économie réelle, c'est le durcissement de la pression actionnariale, quasi absente jusqu'en 1980, ensuite organisée par les fonds de pension, d'investissement ou d'arbitrage, puis renforcée par la prise de pouvoir ou la constitution de minorités de blocage par tous ces fonds dans toutes les entreprises contemporaines ou presque. On veut du gain en capital, quitte à broyer les logiques d'entreprise. Chacun se souvient de la folle référence aux 15 % de rendement financier exigés un temps par les fonds.

    Le diagnostic est limpide : les classes moyennes supérieures des pays développés sont en train de renoncer à l'espoir d'arriver à l'aisance par le travail au profit de l'espoir de réaliser des gains en capital rapides et massifs, bref de faire fortune. Ce comportement sociologique est incompatible avec le bon fonctionnement et surtout la stabilité du système. La social-démocratie internationale explique depuis un demi-siècle que les marchés ne sont pas auto-équilibrants, qu'il faut réguler économie et finance, et lutter fiscalement contre les inégalités. Les faits, et cette crise, lui donnent tragiquement raison. Elle vient pourtant de perdre partout les élections européennes, et cela massivement.

    En votant partout conservateur, pour les forces qui nous ont amenés à la crise, les électeurs ont montré leur attachement au modèle du capitalisme financiarisé. L'espoir du gain boursier, de la fortune est devenu trop prégnant. Le résultat ne laisse guère espérer un traitement politique sérieux de l'anémie économique actuelle. Combien faudra-t-il de crises pour convaincre les peuples ? En tout cas, le mécanisme de leur répétition paraît enclenché.

    Michel Rocard

    Ancien premier ministre (1988-1991)


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  • Et si la crise économique ne faisait que commencer ?

     

     

    Silvio Berlusconi aurait voulu envoyer un message subliminal au reste de la planète qu'il n'aurait pas trouvé mieux. Dévasté par un tremblement de terre, L'Aquila est effectivement le meilleur endroit pour réunir cette semaine les dirigeants du G8. Rien n'illustre mieux l'état du monde actuel que des ruines rafistolées de bric et de broc.

    C'est vrai : il y a aux Etats-Unis, notamment dans la finance, quelques voix pour expliquer que le pire est passé. Que la crise de 2008 n'était que l'éclatement d'une bulle du crédit. Que la purge est désormais faite et que les choses vont repartir comme avant. Les banques n'ont-elles pas déjà remboursé les aides publiques ? Les bonus ne sont-ils pas de retour ?

    Les cent cinquante intervenants (dont une soixantaine d'étrangers) qui se sont exprimés les 4, 5 et 6 juillet lors des 9e Rencontres d'Aix-en-Provence, organisées par le Cercle des économistes, ont, dans leur immense majorité, tenu des propos plus alarmistes.

    Il y a d'abord ces chiffres, terrifiants, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). D'avril 2008 à avril 2009, le chômage a crû de 40 % dans les pays les plus riches. De 2007 à 2010, il devrait même y avoir 26 millions de chômeurs en plus, un bond de 80 %, sans précédent en si peu de temps. " Le plus gros de la détérioration reste à venir ", a mis en garde Martine Durand, responsable de l'emploi.

    Or, selon Patrick Artus (banque Natixis), " les emplois perdus le sont de façon irréversible ". " On fabriquera moins de voitures et moins de biens durables. Où seront créés les emplois de demain ? On ne sait pas ", reconnaît-il. Même Jean-Claude Trichet, président de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> centrale européenne, doute : " Nous avons créé une entité nouvelle, l'économie mondialisée, dont nous découvrons la fragilité. (...) L'avenir n'est écrit nulle part en ce moment. " Selon le scénario de Patrick Artus, dans trois ou quatre ans, la dette des pays de l'OCDE va dépasser leur produit intérieur brut (PIB). Résultat : " Il va falloir diminuer la protection sociale, le nombre de fonctionnaires et augmenter les impôts ", prévient-il.

    Personne n'a défendu l'idée d'un grand emprunt public comme <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> s'apprête à le faire. " Autant boire un pastis pour guérir une gueule de bois ", tranche l'assureur Denis Kessler, ancien numéro deux du Medef. Alors qu'Angela Merkel promet de baisser les impôts tout en réduisant les déficits publics allemands, qu'au contraire Nicolas Sarkozy s'efforce de théoriser les bienfaits du surendettement et que, dans les pays industrialisés, la petite musique du protectionnisme se fait de plus en plus insistante, le président de <st1:personname productid="la BCE" w:st="on">la BCE</st1:personname> met en garde les gouvernements comme il ne l'a jamais fait jusqu'ici : " Nous avons créé une économie financière mondialisée, il faut évidemment une gouvernance mondiale. Mais le G20 ne suffit pas. Chaque pays doit internaliser les effets de sa politique sur ce bien supérieur collectif qu'est l'économie mondiale. " En clair, par leurs excédents excessifs (Chine aujourd'hui, Allemagne demain) ou des déficits qui le sont tout autant (Etats-Unis aujourd'hui, France demain), les gouvernements sapent une mondialisation dont ils ne se sentent pas responsables mais dont chacun profite.

    Si solution il y a, elle ne peut être que collective. Or rien n'est moins sûr. On l'a vu au second semestre 2008 : sans Europe volontariste, pas de coopération mondiale possible. " Il y a une demande d'Europe, y compris en Chine. Car, depuis cinquante ans, l'Europe porte la régulation ", analyse l'ancien commissaire européen Mario Monti. " Mais je ne suis pas sûr qu'il y ait une offre d'Europe ", rajoute-t-il aussitôt. Entre <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> et l'Allemagne, qui se tournent le dos, <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> aux abonnés absents et les Britanniques qui pensent avant tout à sauver <st1:personname productid="la City" w:st="on">la City</st1:personname> et tuer dans l'oeuf toute tentative de régulation, l'Europe a déjà perdu l'influence qui était la sienne, en novembre 2008, au G20 de Washington.

    Ceci explique-t-il cela ? Alors que le G20 de Pittsburgh, en septembre, sera déterminant, notamment pour juger de la capacité des politiques à réguler une finance à nouveau folle, Christine Lagarde s'est montrée étonnamment peu ambitieuse. " Le G20 de Pittsburgh sera surtout l'occasion de dresser le procès-verbal de ce qui aura été mis en oeuvre ", estime la ministre française de l'économie. De quoi donner raison à Robert Reich, l'ancien secrétaire au travail de Bill Clinton, qui juge que le poids des lobbies est sans doute trop puissant pour que Barack Obama puisse vraiment gagner contre Wall Street.

    Ce serait une très mauvaise nouvelle. Certains imaginent déjà un scénario catastrophe : échec de Pittsburgh suivi, au début de l'année 2010, par l'annonce de bonus record dans la finance et une augmentation inédite du nombre des faillites et des licenciements. Denis Kessler, pour lequel " les troisièmes années de crise se caractérisent souvent par du populisme, du protectionnisme et du patriotisme ", aurait alors vu juste.

    N'y a-t-il donc aucune raison d'être optimiste ? Si. Trois. L'Asie émergente ne résiste pas si mal, les besoins sont immenses pour accueillir trois milliards d'habitants supplémentaires d'ici à 2050 et, surtout, les économistes sont loin d'être infaillibles.

    Frédéric Lemaître

     


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  • BERKELEY – Les cercles que je fréquente lors de mes voyages font preuve d’une quasi-unanimité quant à un fait : les autorités monétaires américaines ont fait trois graves erreurs qui ont contribué à la crise financière, puis l’ont aggravée. Ce consensus est presque toujours corroboré par des déclarations comme quoi les présidents de la Federal Reserve ont bien servi les Etats-Unis, depuis le mandat de Paul Volcker tout du moins. Et ceux d’entre nous qui n’ont pas occupé ce poste savons très bien que nous n’aurions pas fait mieux. Le consensus qui se dégage néanmoins est que les décideurs américains se sont trompés :

    ·    en décidant d’esquiver une régulation fondée sur des principes, permettant ainsi au secteur bancaire fantôme de grandir par un certain effet de levier et des scénarios compensatoires. Ils croyaient que le gouvernement était une garantie suffisante, une protection contre le système bancaire commercial ;

    ·    lorsque la Fed et le Trésor ont décidé, une fois que les ennuis avaient commencés, de nationaliser AIG et de payer ses factures plutôt que de soutenir les contreparties. Ils approuvaient tacitement les financiers qui prétendaient que leur stratégie était saine à la base ;

    ·    lorsque la Fed et le Trésor ont décidé de laisser Lehman Brothers faire banqueroute de manière incontrôlée afin d’essayer d’enseigner aux financiers qu’avoir une contrepartie mal capitalisée n’est pas sans risque et que la population ne devrait pas s’attendre à ce que le gouvernement vole automatiquement à son secours.

    Un débat très animé demeure cependant à propos d’une éventuelle quatrième erreur : la décision d’Alan Greenspan en 2001-2004 d’abaisser le taux d’intérêt nominal sur les titres du Trésor américain et de le maintenir au plus bas afin d’essayer d’approcher le plein emploi. Autrement dit, Greenspan aurait-il dû maintenir des taux d’intérêt plus élevés et provoquer une récession pour éviter la formation d'une bulle de l'immobilier ?

    Si nous faisons gonfler les taux d'intérêt, s’est dit Greenspan, des millions d’Américains perdront leur emploi, ce qui ne rend service à personne. Si les taux d’intérêt chutent, ces quelques travailleurs supplémentaires pourraient construire des maisons et faire en sorte de les vendre aux personnes dont le revenu provient du bâtiment.

    Le plein emploi, c’est mieux qu'un taux de chômage élevé si l’on y parvient sans inflation a-t-il aussi pensé. En cas de bulle, et si celle-ci ne se dégonfle pas mais éclate, menaçant ainsi de créer une dépression, la Fed aura les outils nécessaires pour court-circuiter le processus.

    La suite a montré que Greenspan avait tort. Mais une question se pose : le pari de Greenspan était-il bénéficiaire ? Lorsque, à l’avenir, les Etats-Unis se retrouveront dans une situation semblable à celle de 2003, devront-ils s’efforcer de maintenir le plein emploi au risque de provoquer une bulle ?

    C’est là que je ne sais plus très bien quoi en penser. Les experts des banques centrales admettent depuis longtemps qu’il est imprudent d’abaisser les taux d’intérêt en vue du plein emploi si la spirale inflationniste s'avère être l'une des conséquences. Par moments, je me dis qu’à l’avenir, ces experts devraient aussi admettre qu’il est imprudent d’abaisser les taux d’intérêts en vue du plein emploi lorsque cette action risque de déboucher sur une bulle du prix des actifs. A d'autres moments, je pense que même avec les informations supplémentaires dont nous disposons sur la structure de l’économie, les décisions que Greenspan a prises entre 2001-2004 étaient prudentes et ressortissaient d’un pari acceptable et bénéficiaire.

    Ce dont je suis sûr est que la question est mal posée. La plupart affirment que Greenspan a « partiqué un resserrement agressif des taux d’intérêt [de la Fed] en dessous de leur barrière naturelle ». Mais qu’est-ce que la barrière naturelle ? Dans les années 1920, l’économiste suédois Knut Wicksell définit le taux d’intérêt naturel comme le taux auquel, pour toute l’économie, l’investissement souhaité équivaut à l'épargne souhaitée, sans provoquer de hausse des prix à la consommation, des ressources ou des salaires puisque l’ensemble de la demande dépasse les réserves ; ni de baisse de ces prix puisque la réserve excède la demande.

    D’après la définition de Wicksell – la meilleure, et en fait, la seule que je connaisse – le taux d’intérêt monétaire était, en fait, au-dessus du taux d’intérêt naturel au début des années 2000 : c’est la déflation qui menaçait et non l’inflation galopante. Le taux d’intérêt naturel était bas car, comme l’a expliqué à l’époque le président actuel de la Fed Ben Bernanke, la planète souffrait d’un excédent d’épargne (ou plutôt d’une carence en investissement mondial).

    Certes la politique de Greenspan au début des années 2000 était erronée. Il est néanmoins impossible de prétendre qu'il a pratiqué une politique de resserrement agressif des taux d'intérêt. Son erreur en fait – et si c’en était une – n’est autre que son échec à contrôler les marchés et à pratiquer un gonflement agressif des taux au-delà de leur barrière naturelle, ce qui aurait aggravé et prolongé la récession entamée en 2001.

    Aujourd’hui, c’est un de ces jours qui me portent à croire que l'échec de Greenspan à faire monter les taux d’intérêt au-delà de leur palier naturel pour obtenir un taux de chômage élevé et une bulle du financement des crédits n’était pas une erreur. La catastrophe que nous vivons en ce moment provient de nombreuses autres erreurs.
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    J. Bradford DeLong, ancien sous-secrétaire au Trésor américain de l’administration Clinton, est professeur d'économie à l'université de Californie à Berkeley.

    Copyright: Project Syndicate, 2009.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Aude Fondard

    Biographie de Bradford De Long 


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    Encore des personalités qui s'attaque aux banques :

    Jorion ( plusieurs intervention)

    Banques : le moment est venu de réformer Hans-Werner Sinn
     Il faut empêcher les banques de recommencer Stiglitz 

     


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