• Perçons enfin l’abcès immobilier américain

    Perçons enfin l’abcès immobilier américain

    Paul Krugman | The New York Times

    Les responsables américains ont toujours aimé sermonner les autres pays sur leurs échecs économiques et les inviter à suivre l’exemple des Etats-Unis. La crise financière asiatique de la fin des années 1990, en particulier, a donné lieu à une avalanche de leçons de morale pleines d’autosatisfaction. Ainsi, en 2000, Lawrence Summers, alors ministre des Finances, déclarait que la clé de la prévention des crises financières reposait sur “des banques bien capitalisées et sous bonne surveillance, une bonne gouvernance d’entreprise et un bon code des faillites, ainsi que des moyens crédibles de garantir l’application des contrats”. Sous-entendu : les Asiatiques n’ont rien de tout ça, contrairement à nous. Mais ce n’était pas le cas.

    Les scandales comptables chez Enron (en 2001) et WorldCom (en 2002) ont dissipé le mythe de la bonne gouvernance des entreprises. L’idée que nos banques étaient bien capitalisées et sous surveillance sonne aujourd’hui comme une plaisanterie de mauvais goût. Et le scandale des crédits hypothécaires rend absurdes les affirmations sur l’existence de moyens crédibles pour garantir l’application des contrats. A l’inverse, on se demande aujourd’hui si notre économie est encore soumise au règne de la loi.

    Résumé des épisodes précédents : une crise immobilière spectaculaire et un chômage durablement élevé ont entraîné une véritable épidémie de défauts de paiement, avec des millions de propriétaires prenant du retard dans le remboursement de leur prêt immobilier. Par conséquent, les collecteurs de crédit (ces sous-traitants chargés de collecter les traites pour le compte des détenteurs d’hypothèques) ont saisi de nombreux logements.

    Mais en ont-ils vraiment le droit ? Les histoires terrifiantes se multiplient, comme celle de cet homme, en Floride, qui a vu son domicile saisi alors même qu’il n’avait pas de dette. Mais il y a pire. Certains acteurs ont tout bonnement ignoré la loi. Des tribunaux ont approuvé des saisies sans exiger des collecteurs qu’ils produisent les documents appropriés. Au lieu de cela, ils se sont contentés de déclarations écrites sous serment attestant que ces documents étaient en règle. Or ces déclarations étaient souvent signées par des robo-signers, autrement dit des employés subalternes qui ne savaient absolument pas si leurs affirmations étaient vraies.

    Or, dans bien des cas, les documents n’existent même pas. Dans la frénésie de la bulle immobilière, de nombreux prêts ont été accordés par des sociétés véreuses qui voulaient “faire du chiffre”. Ces créances ont ensuite été revendues à des “fonds” ad hoc qui, à leur tour, les ont démembrées pour en faire des produits financiers adossés à des emprunts hypothécaires. La loi exigeait de ces fonds qu’ils demandent et obtiennent les titres de créance détaillant les obligations des emprunteurs – formalités jugées inutiles et souvent négligées. Autrement dit, nombre des saisies effectuées actuellement sont illégales. Tout cela est très grave. Pour commencer, il est quasi certain qu’un nombre important d’emprunteurs se font escroquer : on leur demande des frais qu’ils ne doivent pas, on les déclare en faillite alors que, selon les termes de leur contrat de prêt, ils ne le sont pas.

    Au-delà de ces escroqueries, si les fonds ne peuvent pas faire la preuve qu’ils possèdent bien les emprunts qu’ils ont titrisés, leurs mandataires risquent d’être poursuivis par les investisseurs qui ont acheté ces titres – des titres qui, dans bien des cas, ne valent plus qu’une fraction de leur valeur nominale. Et qui sont ces mandataires ? D’importants établissements financiers. Ceux-là mêmes qui ont été soit disant “sauvés” par l’Etat l’année dernière. Le scandale des crédits hypothécaires menace donc d’entraîner une nouvelle crise financière. Fidèle à lui-même, le gouvernement Obama a réagi en s’opposant à toute action susceptible de déranger les banques, notamment à l’instauration d’un moratoire sur les saisies le temps de résoudre certains problèmes. A la place, il préfère inviter poliment les banques à mieux se tenir et à se racheter une conduite. A droite, la réaction est pire encore. Si les parlementaires républicains font profil bas, les commentateurs conservateurs n’ont pas hésité à qualifier l’absence de documents en ordre de détail sans importance. Dès lors qu’une banque dit posséder votre maison, assurent-ils, vous devez la croire sur parole.

    Les excès de l’époque de la bulle ont créé un bourbier juridique dans lequel les droits de propriété sont mal définis, puisque personne ne possède les documents adéquats. Or quand il n’existe pas de droits de propriété clairement définis, c’est au gouvernement de les créer. Une chose est sûre : ce que nous sommes en train de faire ne fonctionne pas. Et prétendre que tout va bien ne convaincra personne.

    L’auteur

    Paul Krugman, 57 ans, est professeur d’économie et de relations internationales à l’université de Princeton. Lauréat, en 2008, du prix Nobel d’économie, il tient une chronique, deux fois par semaine, dans The New York Times depuis 1999.


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