• Quelle fiscalité pour les banques ?

    Quelle fiscalité pour les banques ?

    Kenneth Rogoff

     

    CAMBRIDGE – A la prochaine grande crise financière, on ne pourra pas dire que le FMI n'a rien fait pour l'anticiper. Il vient de proposer deux nouvelles taxes universelles sur les institutions financières, l'une qui serait sensiblement proportionnelle à leur taille, et l'autre qui s'appliquerait à leurs profits et aux primes qu'elles versent. Comme on pouvait s'y attendre, le secteur financier a réagit par le dédain et la dérision.

    Par contre la réaction des présidents et des ministres des Finances du G20 est plus mitigée et plus significative. Les pays au centre de la récente crise financière, notamment les USA et le Royaume-Uni, se montrent très enthousiaste, notamment en ce qui concerne l'impôt lié à la taille des établissements financiers. De toute façon ils veulent la mettre en place. Des pays tels que le Canada, l'Australie, la Chine, le Brésil et l'Inde qui ont échappé à la récente crise bancaire sont moins enthousiastes. Pourquoi changeraient-ils un système qui s'est montré aussi résilient ?

    Il est facile de critiquer les détails du projet du FMI, mais son diagnostic est exact. Les institutions financières bénéficient de la garantie implicite des contribuables, ce qui permet aux banques, particulièrement aux plus grosses d'entre elles, d'emprunter à des taux qui ne reflètent pas les risques qu'elles prennent en cherchant à réaliser des profits hors de proportion. Puisque le risque est transféré au contribuable, imposer les institutions financières en proportion de leurs emprunts est un moyen simple d'assurer l'équité.

    "Mais de quels risques parlez-vous ?" demandent les institutions financières. Et de souligner que le coût des plans de sauvetage représente "seulement" un faible pourcentage du PIB, et qu'il n'y a guère plus de deux ou trois crises graves de ce type par siècle.

    Le FMI souligne à juste titre que ces arguments sont dénués de valeur. Durant la crise, les contribuables ont été mis à contribution presque à hauteur du quart du revenu national. Peut-être la prochaine crise ne se déroulera-t-elle pas aussi "bien" et la note à payer par la population pourrait être vertigineuse. Malgré le "succès" des plans de sauvetage, les pertes de production ont été massives en raison de la récession et de la chute de la croissance.

    Mais si la réglementation doit effectivement traiter du bilan des plus grosses banques qui ont entraîné la crise, le FMI a raison de ne pas se préoccuper exagérément du problème des banques "trop grosses pour faire faillite". Il est étonnant de constater que beaucoup de prétendus spécialistes croient que si l'on pouvait faire éclater les grandes banques en plusieurs établissements de taille plus modeste, l'Etat n'aurait pas à intervenir et le problème du risque subjectif serait résolu.

    Cette logique est douteuse, car au cours des siècles des crises similaires ont frappé des systèmes très différents les uns des autres. Une crise systémique qui frapperait simultanément un grand nombre de banques de taille moyenne aurait le même effet qu'une crise qui frappe deux ou trois grosses banques, et elle forcerait tout autant l'Etat à intervenir.

    Beaucoup trop de propositions complexes flottent dans l'air. Elles paraissent efficaces sur le papier, mais pourraient être mises en défaut en cas de crise importante. Pour être efficace, une solution doit être relativement simple à comprendre et à appliquer. Celle du FMI répond à ces conditions. 

    A l'opposé, certains spécialistes de la finance voudraient contraindre les banques à reposer davantage sur une dette "conditionnelle", obligatoirement convertie en actions (qui pourraient être sans valeur) en cas de crise de grande ampleur. Mais comment cette forme de "banqueroute programmée" pourrait-elle s'appliquer, alors qu'à travers le monde les systèmes juridiques, politiques et financiers sont si différents les uns des autres ? L'histoire de la finance regorge de dispositifs de protection qui se sont révélés inefficaces au moment de leur mise en oeuvre. Autant maintenir la croissance du système sous contrôle.

    Mais le FMI se trompe en croyant que son projet de taxe universelle unique mettrait tous les établissements au même niveau sur le plan international. Les pays qui ont une réglementation financière solide imposent plus lourdement leurs institutions financières que les USA ou le Royaume-Uni où cette régulation est moins importante et qui ne veulent pas perdre leur avantage concurrentiel en imposant leurs banques alors que d'autres pays ne le font pas. Mais c'est leur système qui nécessite en priorité et de toute urgence un contrepoids. 

    N'allons pas trop loin en prenant la défense des pays qui sont réticents à l'égard des propositions du FMI. Ils doivent reconnaître que si les USA et le Royaume-Uni mettent en ouvre des réformes aussi modestes soient-elles, une grosse partie des capitaux ira ailleurs, saturant des systèmes régulatoires qui paraissaient fonctionner correctement jusque là.

    Et que penser de la deuxième proposition d'impôt du FMI sur les bénéfices des banques et sur les primes qu'elles versent ? Un impôt de ce type est intéressant du point de vue politique, mais il n'est guère opportun, sauf peut-être lors des années de crise, quand les subventions versées aux banques apparaissent au grand jour. Il serait préférable d'améliorer la réglementation des marchés financiers et laisser chaque pays imposer les revenus des banques comme ceux de n'importe quel autre secteur d'activité.

    Ces premières propositions du FMI en réaction à la crise ne sont peut-être pas satisfaisantes, mais son diagnostic quant à l'importance exagérée du risque subjectif dans le secteur financier est manifestement correct. Espérons que lors du prochain sommet du G20 cette année, ses  dirigeants traiteront réellement ce problème au lieu de programmer des discussions à n'en plus finir… jusqu'à l'arrivée de la prochaine crise.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org


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