• Une reprise pour tous

    Isabel Ortiz


     

    NEW YORK – Au cours des deux années écoulées, la plupart des pays de la planète ont choisi d’augmenter les dépenses publiques de façon à limiter l’impact de la crise financière globale sur leurs économies et leurs populations. Mais cette année, les signes de reprise économique ont encouragé les pays avancés à basculer rapidement d’une relance budgétaire à une consolidation budgétaire.  

    Et les pays en développement suivent cette même tendance. Une récente enquête de l’UNICEF portant sur 126 pays montre qu’un nombre significatif de pays aux revenus faibles à moyens devraient réduire leurs dépenses publiques en 2010-2011.

    Cela arrive à un mauvais moment, juste après que les gouvernements se soient engagés à respecter les objectifs du développement, comme réduire la pauvreté et la mortalité infantile, en septembre dernier au Sommet du Millenium de l’ONU.

    Pour la plupart des pays aux revenus faibles et moyens, la reprise économique naissante semble bien fragile et inégale. En effet, un certain nombre de ces pays restent vulnérables à la volatilité des prix des matières de base, aux faiblesses du système financier, à la baisse de la demande des marchés mondiaux et à l’insuffisance de finances externes, d’assistance au développement et d’investissements.

    Mais surtout, selon les Nations Unies et la Banque Mondiale, l’impact social de la crise économique globale se ressent toujours en termes de famine, de chômage et de troubles sociaux. L’augmentation des prix de l’alimentation et du pétrole combinée à la crise financière et économique a affaibli le pouvoir d’achat des familles pauvres, l’accès aux services sociaux et les opportunités d’emplois.

    De plus, les foyers défavorisés ont réduit leur consommation alimentaire et l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture des Nations Unies estime que près d’un milliard de personnes souffrent de famine et de malnutrition. En plus des millions de personnes qui sont tombées dans la pauvreté en 2008-2009, quelques 64 millions d’autres personnes pourraient tomber dans l’extrême pauvreté en 2010 en conséquence des effets combinés prolongés de la crise.

    Dans les années 80, les programmes d’ajustement exigeaient des pays qu’ils réduisent leurs dépenses, y compris dans les domaines de l’éducation, la santé, l’eau, l’agriculture et d’autres secteurs d’importance pour les foyers pauvres. Comme l’a publiquement demandé feu le président tanzanien Julius Nyerere : « Doit-on affamer nos enfants pour payer nos dettes ? »

    La mortalité infantile était en hausse dans les groupes à faibles revenus dans de nombreux pays en développement, ainsi que les inégalités. On a fini par appeler cette époque la « décennie perdu. » L’UNICEF avait répondu avec un appel à un Ajustement à visage humain, pour que les enfants soient préservés lors des crises économiques. Elle demandait aussi des mesures macroéconomiques expansionnistes pour générer de l’emploi, des investissements dans le secteur public pour les pauvres et la mise en place de systèmes de protection sociale.  

    30 plus tard, nous retrouvons un air de déjà vu, et le même message s’applique encore. Les pauvres des pays en développement doivent encore supporter les pires conséquences d’une crise qu’ils n’ont aucunement contribué à créer. Il est impératif que cela n’entraine pas une autre décennie perdue pour le développement, et que les familles pauvres – et surtout les enfants – n’en souffrent pas comme ce fut le cas dans les années 80.

    Et pourtant, l’histoire pourrait bien se répéter. L’enquête de l’UNICEF a montré que sur les 126 pays étudiés, près de la moitié de ceux qui ont dû réduire les dépenses publiques, les mesures d’ajustement les plus courantes comprennent des réductions ou des gels de salaires dans le secteur public, le retrait des subventions alimentaires, et une rationalisation des systèmes de protection sociale déjà faibles.  

    Ces mesures d’ajustement sont souvent adoptées sans réelle considération pour leur impact social. Combien d’enfants pauvres vont souffrir – ou même mourir - du manque de nourriture et de soins de santé ? Combien d’enfants ne recevront pas d’instruction parce que les baisses de salaires entrainent l’absentéisme des instituteurs, ou simplement parce les enfant pauvres doivent travailler pour contribuer aux revenus de leur famille ?

    Les ajustements des dépenses publiques augmentent le risque d’une reprise qui discrimine les pauvres, nourrissant ainsi de plus grandes injustices dans les pays en développement. Une contraction budgétaire prématurée et/ou le retrait de mesures contre-cycliques menacent le soutien du public qui est essentiel pour promouvoir la croissance pour ceux qui sont le plus grandement frappés par la crise.

    Au fur et à mesure du recul de la récession, l’impératif le plus urgent est la reprise pour tous – une reprise qui doit être inclusive, qui génère des opportunités d’emploi, réduise les inégalités et soutienne les processus de développement.

    Cela est possible. Cela demande que l’aide aux pays pauvres soit maintenue ; que les gouvernements se concentrent sur des politiques macroéconomiques expansionnistes qui soutiennent l’emploi et les activités économiques à grande échelle ; que de nouveaux projets soient introduits pour étendre les services de santé et la protection sociale pour les pauvres ; et que les investissements dans l’éducation, l’accès à l’eau, les sanitaires, l’agriculture, et la sécurité alimentaire reçoivent le soutien nécessaire.

    Isabel Ortiz est directeur associé de la division politique et pratique de l’UNICEF.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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    Il semble donc qu'une bonne façon de se prononcer sur l'ampleur des inégalités mondiales en 2004 consiste à comparer le PIB/hab. moyen dans chacun de ces deux groupes. On trouve alors un rapport de 33,5. En moyenne et en termes de pouvoir d'achat, un habitant du groupe des 18 pays riches est 33,5 fois plus riche qu'un habitant moyen du groupe des 30 pays pauvres.

    Comment ce rapport a-t-il évolué entre les deux mêmes groupes de pays? Il a fortement progressé puisqu'il était "seulement" de 23,9 en 1995. Et, sur une plus longue période, d'autres constats vont dans le même sens. Ainsi, selon l'économiste Angus Maddison, entre 1973 et 2001, le PIB/hab. aurait progressé de 69% en Europe de l'Ouest et du Nord (et presque autant pour les Etats-Unis), mais seulement de 6% dans l'ensemble du continent africain.


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  • La gouvernance mondiale comme ils la rêvent  

    Alors que le G20 s’ouvre demain à Séoul, en Corée du Sud, cinq personnalités impliquées dans les institutions internationales livrent leur vision d’un ordre mondial idéal.

    Dans la grotte, il y avait un chef de clan… Dans un monde devenu village, la gouvernance est souvent une question ignorée »,écrit notre collaborateur Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux « Echos », en introduction du livre d’entretiens qu’il vient de publier aux éditions Autrement. Alors que s’ouvre ce jeudi 11 novembre le G20, nouveau cénacle où sont censées se régler les affaires du monde, notre confrère a eu l’idée de demander à cinq personnalités particulièrement impliquées dans les institutions internationales, leur vision et leurs aspirations pour une planète mieux dirigée. Christine Lagarde, ministre française de l’Economie, Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE ; Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, François Bourguignon, directeur de Paris School of Economics et ancien vice-président de la Banque mondiale, et Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, se sont prêtés au jeu. Extraits.

    D. FO.

    Christine Lagarde, ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’emploi.

    « Une marguerite, avec un cœur exerçant la souveraineté internationale et ses pétales, FMI, OMC, OMS… »

    Dans un monde rêvé, la communauté internationale identifierait les domaines de compétences relevant de la souveraineté internationale, ces «þiens publics mondiaux » dont parlent les économistes. Dans ces domaines parmi lesquels il y a notamment l’environnement, la santé et la finance, les grands principes seraient élaborés, respectés et mis en œuvre par une structure internationale à la fois représentative et efficace, nourrie de l’expertise et des propositions des grandes organisations internationales. Nous aurions ainsi une marguerite, avec un cœur exerçant la souveraineté internationale sur les biens publics mondiaux, et des pétales OMC, FMI, Forum de stabilité financière, Organisation internationale de l’alimentation, OMS, etc. Pour l’instant, nous avons déjà posé les premières pierres de la gouvernance mondiale qui existera dans vingt ou trente ans. A nous de la faire vivre et croître, à moins que les événements ne nous imposent une fois encore d’accélérer le processus… La gouvernance mondiale doit répondre à deux impératifs : représentativité et efficacité. Elle reste à inventer. Si nous cristallisions le G20 tel qu’il fonctionne aujourd’hui, nous aurions peut-être l’efficacité – à condition de maintenir l’impulsion, les programmes de travail et une structure assez mince et flexible –, mais sans doute pas la représentativité, car de nombreux États n’y participeraient pas. Plus que du G20, plus que des Nations unies, c’est sans doute des institutions de Bretton Woods – le FMI et la Banque mondiale – que nous pourrions nous inspirer pour bâtir cette gouvernance.

    Angel Gurria, secrétaire général de l’Organisationde coopération et de développement économiques (OCDE).

    « Des dirigeants convaincus,au service d’une idée, même sielle n’est pas populaire chez eux. »

    Il faut qu’il y ait un, deux ou trois pays qui soutiennent pleinement une idée. Avec des dirigeants convaincus qui l’appuient très fortement, tout en étant prêts à accepter les suggestions en provenance des autres pays, même si elles ne sont pas très populaires chez eux. Mais le succès n’est jamais garanti. On peut se fixer un programme de travail sur vingt grands dossiers, on arrive à en faire avancer vraiment trois ou quatre… Dans le processus, les pays ont toutefois échangé des documents, des idées avec beaucoup de gens et d’organisations internationales, c’est essentiel pour la suite. Pour avancer dans la gouvernance mondiale, il faut faire un travail d’analyse et de compréhension ensemble. L’OCDE apporte ici sa contribution. Nous disons aux gouvernants et à l’opinion de chaque pays :« Sur tel ou tel sujet, regardez ce qui se fait ailleurs dans le monde. »Nous étudions en profondeur, nous produisons des rapports avec des suggestions… Nous avançons de la même manière sur des dossiers comme la gouvernance d’entreprise (presque toutes les grandes entreprises mondiales sont gérées selon des principes qui ont été élaborés ici, à l’OCDE), la corruption internationale, l’environnement, l’emploi des jeunes, l’administration électronique, l’éducation avec l’enquête Pisa… Nous avons aussi contribué au rapport de la commission Attali en France. En Israël, nous avons lancé le débat sur la place des ultraorthodoxes et des Arabes sur le marché du travail et plus largement dans le système social. C’est l’une de nos missions essentielles : nous portons le débat sur la place publique. Quitte à prendre des coups ! La place publique est une des enceintes et un des outils les plus précieux pour accomplir notre mission, plus importante sans doute que pour n’importe quel organisme international.

    Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

    « Convoquer les sciences pourforger un sentiment d’appartenance collective. »

    Nous devons commencer par accepter l’idée que nous sommes dans un paradigme différent. La gouvernance mondiale ne peut pas être la réplique homothétique de systèmes nationaux. L’expérience de l’Europe montre que nous devons bâtir autrement, en allant au-delà des recettes pourtant vertueuses de Montesquieu, avec un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et un pouvoir judiciaire. Nous devons recourir à d’autres disciplines que l’économie, le droit, la science politique, celles que nous avions employées pour inventer la gouvernance nationale puis européenne. Il y a dans la gouvernance mondiale une dimension plus culturelle, plus sociologique, plus anthropologique. Nous devons convoquer ces sciences pour mieux comprendre comment se forme ce sentiment d’appartenance collective et d’identité qui constitue le substrat de la gouvernance… Tant que la légitimité du processus politique reste dans les Etats-nations, on ne peut faire sourdre une dose de supranationalité que par la voie des systèmes politiques nationaux. Et c’est très difficile aussi longtemps que les gouvernants ne sont pas tenus responsables devant leur opinion publique sur les questions internationales comme ils le sont sur les questions nationales. Il faut localiser les questions de gouvernance globale et non globaliser les questions de gouvernance locale. Or, l’approche classique de la gouvernance mondiale fonctionne en globalisant les sujets. Elle part de l’existence de problèmes mondiaux, qu’il faut donc traiter globalement. C’est vrai sur le plan conceptuel, mais pas sur le plan politique, car la légitimité reste locale, enserrée dans la gangue westphalienne de l’Etat-nation souverain. Bien sûr, il y a des citoyens du monde, des organisations non gouvernementales. Bien sûr, il y a des thèmes comme l’environnement, la protection des animaux ou l’accès aux médicaments qui ont été portés par des ONG multinationales – tout aussi multinationales, d’ailleurs, que les grandes entreprises qu’elles critiquent. Mais ces ONG savent bien qu’elles doivent exercer la pression d’abord sur les gouvernements.

    François Bourguignon, directeur de Paris Schoolof Economics.

    « Retrouver la volonté de préserver un bien public majeur : la paix. »

    Je pense qu’une bonne gouvernance exige des règles de conduite, collectivement acceptées et unanimement respectées, et des décisions exécutoires. Dans ce sens, le G20, pas plus que le G8, ne constitue une forme de gouvernance. En revanche, le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale du commerce reposent bien sur de telles règles. Mais ces institutions ne couvrent qu’une petite partie du champ de la gouvernance économique mondiale… L’Europe est un exemple intéressant. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elle a réussi à créer une gouvernance supranationale dans un nombre croissant de domaines. Non sans difficulté – mais, après tout, la gouvernance des Etats-Unis, souvent citée en modèle, n’a pas non plus été établie en un seul jour, elle est même passée par une guerre civile ! Le moteur premier de cette construction européenne était la volonté de préserver ce bien public majeur qu’est la paix. Avec le traité de Rome, les fondateurs espéraient que l’intégration commerciale éliminerait le risque de guerre, d’où l’importance de l’axe franco-allemand. Puis d’autres éléments ont joué. Les petits pays ont vu l’intérêt économique de se joindre à un grand marché. Les pays tout juste sortis de la dictature, comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, ont trouvé dans l’Union un point d’ancrage pour leurs jeunes démocraties. Le même ressort a joué aussi à l’est de l’Europe et il en ira probablement de même un jour pour les Balkans… Le monde sera sans doute plus « multipolaire » qu’aujourd’hui, avec trois pôles principaux : le continent américain, l’Asie et un bloc Europe-Afrique (quoique cette dernière puisse aussi se rapprocher de l’Asie). Dans ce monde multipolaire, la concertation et la coordination au sein d’un G3 seront sans doute plus faciles qu’au sein d’un G20. Et en même temps moins nécessaires, car chacun des trois pôles fonctionnera assez largement en autosuffisance. Mais je voudrais aller au-delà de cet horizon pour passer peut-être du côté du rêve. Je rêve d’un temps où les individus seront citoyens du monde, où les problèmes de la planète seront leur principale préoccupation collective, où la redistribution aura lieu entre riches et pauvres indépendamment de leur nationalité. On y arrivera peut-être dans deux ou trois siècles. On en a pris au moins autant pour construire les Etats-nations qui font le monde d’aujourd’hui et qu’une gouvernance mondiale authentique se doit maintenant de dépasser.

    Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI.

    « Un ordre mondial qui ne dépende plus d’un pays imposant sa loi. »

    Nous sommes tous des vaincus de la crise. Et c’est donc la première fois dans l’histoire que nous devons créer un ordre mondial qui ne soit pas l’ordre du vainqueur. Un ordre multilatéral qui ne dépende plus d’un pays imposant sa loi et sa bénévolence – car je crois à la bénévolence des Romains il y a vingt siècles ou à celle des Américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui suppose, pour nous qui sommes encore des « westphaliens » attachés à des Etats-nations, de forger ensemble un outil de gouvernance mondiale en lequel nous croyons tous. Face à une mondialisation qui a déployé son efficacité, ses progrès, mais aussi ses excès, notamment en matière financière, il y a urgence. Lorsqu’on regarde le surplomb de dollars constitué par les masses de monnaie américaine détenues partout dans le monde, il y a de quoi s’inquiéter. Pensez qu’il suffirait aujourd’hui d’un fou accédant à la tête de la Banque de Chine et d’un accident géopolitique quelque part pour que tout le système financier mondial s’effondre. Et si nous ne faisons rien, l’euro risque de valoir un jour 2,50 dollars. Pour éviter ces chocs, nous devons agir ensemble… Je rêve d’un monde où tout ce qui relève des ressources de la planète soit sous le chapeau d’une institution ressemblant au G20 : l’économique, le social, le financier, les échanges, l’environnement qui tombe naturellement dans le champ couvert en matière de développement par la Banque mondiale. Dans ce G20, le pouvoir de chaque pays serait déterminé par son poids économique et démographique – à l’inverse par exemple du G7, où la décision était prise par consensus sur la base le plus souvent du plus petit commun dénominateur des sept pays. L’autre grande question mondiale, la paix, relève évidemment des Nations unies.

    Pour une gouvernance mondialeChristine Lagarde,Angel Gurria,Pascal Lamy,François Bourguignon,Michel Camdessus. Entretiens avecJean-Marc Vittori. Editions Autrement. 99 pages. 10 euros.bloombergbloombergJose Giribas/ROPI-REANicolas MARQUESBruno Lévyreuters


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  • L'" hyperpuissance " américaine piégée par ses " hyperdéséquilibres "

     

    C'était à Bretton Woods, en 1944, lors de la conférence qui posa les bases du système économique de l'après-guerre : face aux déséquilibres macroéconomiques mondiaux, l'économiste britannique John Maynard Keynes promouvait un mécanisme contraignant pour réduire, au choix, les excédents ou les déficits des pays. Las, les Etats-Unis, " hyperpuissance " en devenir, s'opposèrent alors à l'adoption de telles mesures. Mais aujourd'hui, ces mêmes Etats-Unis, fragilisés par des " hyperdéséquilibres ", militent pour un tel encadrement.

    Car le déficit de la balance courante américaine atteint des proportions abyssales : il devrait s'élever à 466,5 milliards de dollars (336,5 milliards d'euros) en 2010, selon le Fonds monétaire international (FMI), soit 3,2 % du produit intérieur brut (PIB). Et atteindre ainsi l'équivalent des excédents à la fois de la Chine (267 milliards) et de l'Allemagne (200 milliards). En 2015, selon le FMI, le déficit des comptes courants pourrait atteindre 601,7 milliards de dollars.

    Concurrence chinoise Un trou grandement nourri par l'arrivée massive sur le territoire américain, ces dernières années, de biens d'équipement chinois fabriqués en Chine : alors que le déficit commercial mensuel avec l'empire du Milieu était de 6 milliards à 7 milliards de dollars au début des années 2000, il atteint 25 milliards aujourd'hui.

    Washington s'est longtemps accommodé de cette situation. Car, en échange, il a trouvé en Pékin le meilleur partenaire possible pour financer ses déficits publics galopants - la dette publique américaine devrait atteindre 92,7 % du PIB, en 2010. En clair : vous nous vendez vos tee-shirts, et vous achetez nos T-Bonds (les bons du Trésor à 30 ans). Une situation d'autant moins problématique que la consommation des ménages - boostée par les prix bas des produits importés et les faibles taux d'intérêt - a longtemps " nourri " les deux tiers de la croissance américaine. Mais la crise a profondément modifié les habitudes : le taux d'épargne des ménages est passé de 2 % des revenus, en 2007, à 6 % aujourd'hui.

    Désormais confronté à une croissance flasque et à un taux de chômage " européen " (9,6 % des actifs et même 17,6 % en incluant les travailleurs à temps partiel et ceux qui ont renoncé à chercher à un emploi), Washington doit explorer de nouvelles voies.

    Et notamment ne plus seulement miser sur les services et sa consommation intérieure en tablant davantage sur l'industrie. D'où ses élans répétés contre la sous-valorisation du yuan, afin de mieux faire face à la concurrence chinoise.

    Clément Lacombe

    Pékin préfère le statu quo à un changement de modèle risqué


    Pour Pékin, les sommets économiques internationaux se suivent et se ressemblent. La Chine est le vilain petit canard accusé de maintenir artificiellement sa monnaie à un niveau trop faible. On lui reproche de soutenir ses exportations au détriment de celles de ses partenaires commerciaux, dont les Etats-Unis, et des emplois qui en dépendent, par l'intervention de sa banque centrale. Et, chaque fois, les dirigeants chinois argumentent ainsi : les causes des maux des industries occidentales sont plutôt à chercher du côté de leur propre manque de compétitivité et le yuan remontera, mais laissons-lui le temps.

    Afin de s'assurer de sa stabilité, le cours du yuan sur les marchés de change est adossé à celui du dollar et est maintenu très bas depuis le début du ralentissement économique mondial. La Banque populaire de Chine définit quotidiennement un cours pivot, autour duquel sa monnaie ne peut varier que dans une bande de 0,5 %. Le Fonds monétaire international estime que le change du yuan est bien en dessous de son niveau naturel.

    Une semaine avant le sommet du G20 de Toronto, en juin, les banquiers centraux chinois avaient annoncé leur intention de poursuivre la réforme du mécanisme de change du renminbi, autre nom du yuan, et de le laisser s'apprécier, afin peut-être de limiter les critiques. Mais les grands changements se font toujours attendre : le billet rouge ne s'est apprécié que de 2,5 % face au billet vert depuis l'été, donnant un peu plus de grain à moudre aux politiciens américains.

    " Guerre des monnaies "

    C'est que les choix des dirigeants chinois sont limités, même si les commentateurs et les leaders du Parti communiste ne cessent de répéter que ce modèle a vécu et qu'il faut " rééquilibrer " la deuxième économie de la planète. La solution est bien connue : réorienter l'économie vers la consommation intérieure. Pour cela, laisser le yuan grimper, améliorer les salaires pour permettre aux Chinois de dépenser, et surtout augmenter des taux d'intérêt qui permettaient jusqu'à présent de transférer l'épargne des ménages vers l'endettement des usines exportatrices ou des promoteurs immobiliers.

    Mais la remise en cause du modèle de croissance qui fait le succès de l'économie chinoise depuis trois décennies inquiète. " Une partie des politiciens et des conseillers à Pékin appelle de ses voeux la réévaluation du renminbi dans le cadre du rééquilibrage de l'économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l'université de Pékin. Mais d'une part, ils se heurtent à l'opposition des exportateurs et des entreprises publiques et, d'autre part, ils reconnaissent que cela ne peut pas se faire trop vite. " Le risque est d'assister à une baisse des commandes et donc à une hausse du chômage, à une chute de la consommation, et à la montée d'un mécontentement politique.

    Maintenir le statu quo est donc tentant, tout en essayant de détourner l'attention. Le vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, s'est attaqué, lundi 8 novembre, aux Etats-Unis, accusés de faire tourner la planche à billets. Il a promis que la décision de la Réserve fédérale d'injecter 600 milliards de dollars (433 milliards d'euros) pour revitaliser une " économie léthargique " fera l'objet de " discussions candides " lors du sommet du G20 de Séoul. En parallèle, le quotidien destiné aux lecteurs étrangers, China Daily, fustigeait, mardi, dans un éditorial, la politique monétaire de Washington et ses " conséquences inconnues ".

    Les accusations d'utilisation de l'arme monétaire ne sont donc plus l'apanage des Occidentaux. La Chine entend retourner l'argument à bon compte, relève Zhang Jun, directeur du Centre chinois d'études économiques de l'université de Fudan à Shanghaï.

    " D'une certaine manière, le débat sur la guerre des monnaies est favorable à la Chine, explique le professeur Zhang, car si chacun reproche à l'autre de déprécier volontairement sa monnaie, elle se sentira un peu moins seule à subir les pressions. "

    Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

    L'euro souffre de l'attentisme de la BCE


    Il y a six mois, en pleine crise grecque, l'euro était donné pour mort. Depuis, à quelques dérapages près, la monnaie unique n'a cessé de s'apprécier. Elle a pris 18 % face au billet vert et s'échange désormais autour de 1,40 dollar. Cette vigueur ne reflète pourtant en rien la santé économique d'un Vieux Continent promis à une croissance molle en 2011.

    Dans les faits, l'euro semble être devenu la " variable d'ajustement " d'un marché des changes soumis à de fortes tensions. Prise dans un billard à plusieurs bandes, la Banque centrale européenne (BCE) est comme impuissante. " Que peut-elle faire pour influer sur le cours de l'euro ? Rien ", confirme Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs à Paris. Essentiellement attachée à la stabilité des prix, l'autorité monétaire n'a pas de mandat pour intervenir sur le marché des changes. Elle ne l'a d'ailleurs fait qu'une fois, en 2000, quand l'euro avait atteint son plus bas niveau historique.

    Articles de foi Alors que les déclarations guerrières se multiplient, au Brésil ou en Chine, Jean-Claude Trichet reste de marbre. Le patron de la BCE est muet sur le niveau de la monnaie unique. Muet également sur l'initiative de la Réserve fédérale américaine de reprendre ses achats d'emprunts d'Etat, quand bien même cela perturbe le système monétaire international. " Je n'ai aucune raison de penser que la Réserve fédérale et le secrétaire au trésor poursuivent une stratégie du dollar faible ", a affirmé M. Trichet, le 4 novembre.

    " La BCE veut rester conciliante à l'égard de la Fed, explique Mme Valla, car elle pourrait un jour avoir besoin d'une attitude coopérative de la part des autres banques centrales, si par exemple le dollar venait à glisser trop vite. "

    Aucun expert n'imagine que M. Trichet sorte de sa réserve, à moins que l'euro atteigne 1,55, voire 1,60 dollar. Le banquier central obéit à deux articles de foi : primo, le vrai problème n'est pas tant le niveau des taux de change que leur volatilité excessive. Secundo, le cours des devises doit être déterminé par les forces du marché, non par des interventions, et refléter les fondamentaux économiques.

    " Rien de cela n'est critiquable mais le problème, c'est que la BCE est en ce moment la seule institution monétaire à se tenir à ces principes ", note Bruno Cavalier, chez Oddo Securities. Selon l'économiste, " on peut regretter que M. Trichet manque un peu d'opportunisme, lui qui aime à dire "Je suis M. Euro" ".

    Marie de Vergès


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