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  • Qui dérègle l'économie mondiale ?

    Les pays du G20 peuvent-ils s'entendre ?

    L'économie mondiale est agitée par les répliques du séisme qu'a été la crise américaine des subprimes et la récession qui a suivi. Le G20, qui se réunit à Séoul les 11 et 12 novembre, va tenter d'apaiser les affrontements qui opposent les plus importants de ses membres concernant le taux de change et le commerce. Car, pour être enveloppées de diplomatie, les critiques volent bas et chaque pays clame que le voisin a mis la pagaille dans les affaires du monde. Au vrai, quel est le coupable qui nuit à la croissance " forte, équilibrée et durable " dont rêvent les communiqués de tous les sommets internationaux ?

    Le couple infernal sino-américain Pour les Chinois, comme l'a déclaré leur vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, ce sont les Etats-Unis qui " n'ont pas suffisamment conscience de leur devoir sur le marché des capitaux et n'ont pas réfléchi aux attaques que subissent les pays émergents de la part des capitaux trop volatils ". En se tenant prête à injecter 600 milliards de dollars (431,6 milliards d'euros) pour soutenir une conjoncture flageolante, la Réserve fédérale risque de déclencher une fuite des liquidités vers les pays en développement et de dévaluer le dollar, avec reprise de l'inflation à la clé.

    Pour les Américains, comme l'a déclaré Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat au Trésor, c'est la Chine qui, en maintenant sa monnaie basse, engrange de formidables excédents commerciaux et met en péril la croissance, asphyxiant l'emploi et les comptes des pays qu'elle inonde de ses produits.

    Dans le reste du monde, chacun y est allé de son initiative pour se protéger des remous créés par le couple infernal sino-américain. Exaspéré par l'ascension du yen, le Japon a racheté 18,5 milliards de dollars en septembre. La Corée du Sud injecterait sous le manteau un milliard de dollars par jour pour éviter au won de trop s'apprécier.

    Mesures radicales contre concurrences déloyales Ces mesures sont impuissantes à canaliser des flux de liquidités (4 000 milliards de dollars par jour). Aussi les gouvernements lorgnent-ils sur des mesures radicales pour se protéger de concurrences, selon eux, déloyales. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) affirme que les mesures protectionnistes ne pénalisent pas plus de 1,4 % des importations mondiales, mais elle se fait de plus en plus de souci : ses membres tardent à supprimer les barrières (droits de douane, contingents, subventions) érigées durant la crise.

    L'OMC rappelle que ce n'est pas en surtaxant les poulets américains (pour les Chinois) ou les boulons et les tubes d'acier chinois (pour les Américains) que les protagonistes se tireront d'affaire. Car, juge-t-elle, " les causes sous-jacentes du dangereux cocktail fait de profonds déséquilibres commerciaux, de taux de chômage élevés et persistants et de mouvements désordonnés des changes sont d'ordre macroéconomiques ".

    Les grands déséquilibres nationaux La faiblesse de la monnaie des uns ou l'excédent commercial des autres ne sont, en effet, que des symptômes et ce n'est pas, comme le propose M. Geithner, en limitant à 4 % les excédents et les déficits des balances courantes que l'on remettra les économies d'aplomb. Les causes du malaise sont à chercher dans les déséquilibres propres à chaque nation.

    Les Etats-Unis vivaient trop à crédit et doivent réapprendre les vertus de budgets équilibrés, ce qui leur permettra d'exporter plus. La Chine serait bien inspirée de créer un système de protection sociale, afin que ses citoyens consomment plus et exportent moins. L'Europe doit s'atteler à la réduction de sa dette, sans casser une croissance anémique. Le Japon doit se tirer de la déflation en assainissant son système financier et en se préparant à gérer une population très âgée. Le Brésil ne pérennisera sa belle croissance qu'en limitant ses déficits budgétaires et en investissant, etc.

    Quel médecin au chevet de l'économie mondiale ? Tout le monde connaît les remèdes, mais qui les prescrira ? Le Fonds monétaire international (FMI) semble le médecin désigné par ses statuts, mais ceux-ci n'ont pas prévu qu'il puisse sanctionner un malade récalcitrant. A Séoul, le G20 pourrait donc confier au Fonds la tâche d'établir, pour chaque grand pays, un rapport sur les conséquences de ses décisions sur les autres économies. Ce rapport serait rendu public et discuté de façon multilatérale.

    Compter sur l'amicale pression des autres pays pour rappeler à un Etat qu'il n'est pas seul au monde n'est peut-être pas enthousiasmant, mais en l'absence d'un gouvernement mondial, on ne voit pas d'autres solutions pour éviter qu'une surenchère des égoïsmes dégénère en Grande Dépression.

    Alain Faujas


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  • Non à toujours plus de gouvernance mondiale !

    Dani Rodrik

     

     

    CAMBRIDGE – Tout le monde reconnaît que l'économie mondiale est souffrante, mais apparemment le diagnostic dépend de l'endroit où l'on se trouve.

    A Washington, des doigts accusateurs désignent la Chine et sa politique monétaire comme responsables du déséquilibre considérable de la balance commerciale américaine et des pertes d'emplois. Par contre à Séoul ou à Brasilia on se plaint de la politique monétaire ultra-expansionniste de la Réserve fédérale américaine qui entraîne massivement les capitaux spéculatifs vers les pays émergents et soulève le spectre d'une bulle des actifs. Et à Berlin on n'a de cesse d'évoquer  la malhonnêteté des politiques budgétaires et des réformes de structure dans le reste de l'Europe et aux USA.

    La responsabilité, cher lecteur, ne nous en revient pas - du fait de la mondialisation, elle incombe à nos partenaires commerciaux !

    Aussi confortable que soit pour nous ce point de vue, il n'est pas dénué de fondement. Les économies étant de plus en plus interdépendantes, les décisions prises dans un endroit de la planète ont des répercussions, souvent inattendues dans bien d'autres lieux éloignés.

    Aux USA, la crise des prêts hypothécaires à risque a été alimentée non seulement par une insuffisance de réglementation, mais aussi par une épargne mondiale excessive qui a incité les banques à se lancer dans une vaine course au profit. Cette crise a amorcé un ralentissement économique général en raison des transferts de produits financiers douteux entre établissements au niveau international.

    L'absence d'institution internationale jouant le rôle de prêteur de dernier ressort ou permettant de coordonner les plans de stimulation budgétaire a aggravé la crise et retardé la reprise. Maintenant chaque pays fixe indépendamment sa politique budgétaire et monétaire, ce qui a des incidences au-delà de ses frontières et menace de déclencher une vague de protectionnisme et une guerre des devises.

    La grande question économique de notre époque est la manière de faire face à ces défis. Abstraction faite des nécessités de politique intérieure, les technocrates et la plupart des responsables politiques sont partisans du recours à toujours plus de gouvernance mondiale. Selon eux, les problèmes globaux nécessitent des solutions globales, ce qui passe par le renforcement des organisations internationales comme le FMI, l'amélioration de l'efficacité de forums mondiaux comme le G20 et la négociation de normes et de codes internationaux toujours plus stricts (par exemple en ce qui concerne les exigences en capital à l'égard des banques).

    Une autre approche consiste à reconnaître que toute gouvernance mondiale est condamnée à rester inachevée et à limiter les inconvénients de cet état de fait en s'engageant plus lentement sur la voie de la mondialisation de l'économie. Cela permettrait de donner plus de poids à la politique intérieure et de limiter les conséquences négatives des actions entreprises par les autres pays. Cette stratégie peut sembler protectionniste, mais elle devrait favoriser à long terme la mondialisation économique.

    Nombre de problèmes économiques mondiaux tiennent à notre réticence à reconnaître que les objectifs de politique intérieure affectent les engagements au niveau international, même si nous prétendons le contraire. Voici deux exemples :

    L'Uruguay Round de l'OMC a été généralement salué comme une grande réussite, car il a réglementé sévèrement les subventions et bien d'autres mesures de politique industrielles appliquées par les pays en développement. Mais les restrictions introduites par l'OMC ont simplement conduit ces pays à poursuivre les mêmes objectifs avec d'autres méthodes.

    Cela a eu des conséquences évidentes dans le cas de la Chine. Membre de l'OMC depuis 2001, elle a dû renoncer à une politique reposant explicitement sur des subventions et des barrières douanières. Aussi a-t-elle entrepris de défendre son économie en sous-évaluant sa devise. Son excédent commercial a brutalement augmenté, accroissant les déséquilibres macroéconomiques mondiaux, ce qui a généré des tensions avec les USA. 

    L'économie mondiale se serait mieux portée si l'on avait imposé moins de restrictions de nature économique à la Chine (et aux autres pays en développement). Dans l'avenir, si l'on veut que la Chine accepte davantage de contrôle multilatéral de sa balance commerciale, il faudra lui offrir une contrepartie, par exemple une exemption de la réglementation de l'OMC sur les subventions.

    Deuxième exemple. Quand les pays émergents se sont ouverts à la mondialisation financière, ils espéraient que les flux de capitaux stimulerait leur développement économique. Ils croyaient qu'une politique macroéconomique appropriée et une réglementation prudentielle (avec l'aide des institutions financières internationales) leur permettraient d'échapper aux conséquences négatives de la mondialisation. Mais ils n'ont pu s'appuyer sur les marchés financiers que lorsque les choses allaient bien, pas en cas de difficulté. Ils ont donc été contraints de prendre des mesures coûteuses pour se protéger de la volatilité de ces marchés. Pire encore, ils ont dû adopter des stratégies – telle qu'une intervention sur le taux de change ou l'accumulation de réserves en devises – qui exportent l'instabilité. Ils auraient pu éviter cela avec davantage de prudence dès l'origine.

    Les partisans de toujours plus de gouvernance mondiale disent que si l'on ne renforce pas la réglementation économique internationale, tous les pays auront à en payer le prix. Mais l'économie mondiale ne fonctionne pas à l'image de la lutte contre le réchauffement climatique dont la réussite dépend de la poursuite d'un objectif commun, plutôt que d'objectifs locaux.

    Les économistes prêchent l'ouverture des marchés parce que cela sert notre intérêt, pas celui des autres. Ouvrir son économie aux marchés mondiaux (contrairement à la réduction des émissions de carbone simplement au niveau national) est avantageux. Une économie mondiale dans laquelle chaque pays poursuit son propre intérêt ne sera peut-être pas hyper-mondialisée, mais restera sûrement une économie ouverte.

    Il est vrai que l'économie mondiale doit être réglementée pour éviter les débordements transfrontaliers. Mais l'équilibre entre prérogatives nationales et réglementation internationale doit prendre en compte les réalités politiques. Si nous allons trop loin dans la direction d'une gouvernance mondiale, nous serons confrontés à une réglementation absurde qui ne demandera qu'à être contournée.

    Dani Rodrik est professeur d’économie politique à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard. Il a écrit un livre intitulé One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org

    Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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