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  • Retour à Bretton Woods

     

    Alors que les chefs d'Etat et de gouvernements du G20 affirment vouloir définir un nouvel ordre monétaire international en empruntant la voie proposée sans succès par Keynes lors des accords de Bretton Woods en 1944, il est bon de rappeler le cadre au sein duquel les nations opèrent depuis 1971, en l'occurrence sur les décombres des accords historiques de 1944.

    Pourquoi parler de " décombres " ? Parce que les accords de Bretton Woods sont morts en 1971, quand le président américain Richard Nixon les dénonça et mit fin à la parité dollar-or, convenue en 1944. La situation était alors devenue intenable pour les Etats-Unis depuis une dizaine d'années déjà. En 1961, il avait fallu, pour maintenir la parité prévue initialement de 35 dollars pour une once d'or, créer un London Gold Pool rassemblant huit nations. Ce regroupement avait permis au système de survivre encore dix ans. Quand la Suisse puis la France réclamèrent aux Etats-Unis l'or correspondant aux dollars accumulés, Nixon s'exécuta... avant de fermer le robinet une fois pour toutes.

    Pourquoi le système mis en place en 1944 s'est-il effondré ? En raison du " dilemme de Triffin ", du nom de l'économiste Robert Triffin qui analysa le premier la contradiction qui le minait. Une nation gère sa monnaie en en maintenant le stock à la mesure de la richesse créée sur son territoire. Mais quelle quantité doit-elle en créer lorsque cette monnaie sert de référence au monde entier ? Elle doit en créer plus !

    Le seul moyen pour elle d'y parvenir est d'acheter à l'étranger davantage que l'étranger ne lui achète, autrement dit, d'avoir une balance commerciale des paiements déficitaire. Alors que la bonne gestion de sa devise comme monnaie domestique exige un équilibre de sa balance des paiements, une bonne gestion de sa qualité d'émettrice d'une monnaie de référence exige au contraire que celle-ci soit déficitaire. Aucun pays ne peut, bien entendu, jamais faire les deux. C'est là le " dilemme de Triffin ", qui dénonçait en 1961 " les absurdités associées à l'usage de devises nationales comme réserves internationales ".

    La parité or ayant été abandonnée en 1971, les Etats-Unis se sont retrouvés en possession d'une machine à créer de l'argent : la modération à laquelle ils étaient autrefois astreints n'était plus de mise. Les autres pays étant preneurs de dollars, pourquoi ne pas en créer à volonté ? C'est ce que M. Bernanke, président de la Réserve fédérale américaine (Fed), fit en 2009 à hauteur de 1 750 milliards de dollars, et c'est ce qu'il s'apprête à faire encore pour un nouveau millier de milliards de dollars. Mais dans l'après-Bretton Woods, la devise américaine vaut-elle ce que M. Bernanke suppose au nom des Etats-Unis ou bien ce que le reste du monde en pense ?

    Face à la machine à créer de l'argent des Etats-Unis, les autres nations se sont retranchées. La seule parade pour une autre devise consiste à lier son sort à celui du dollar, et c'est ce qu'a fait la Chine avec le yuan. En réponse, les Américains se sont braqués sur la valeur de celui-ci.

    Mais, en affirmant le vendredi 22 octobre à Gyeongju (Corée du Sud), au cours du G20 Finances, qu'une pacification des relations économiques entre nations doit se déplacer du domaine des devises à celui d'un équilibre de leurs comptes courants, et en proposant que ceux-ci ne puissent dévier de plus de 4 % du produit intérieur brut (PIB) - qu'il s'agisse d'un excès d'importations ou d'exportations -, le secrétaire du Trésor américain, Tim Geithner, a défini la problématique d'un nouvel ordre monétaire... à la façon de John Maynard Keynes en 1944 !

    Nous voilà donc enfin revenus à la bifurcation de Bretton Woods, enfin prêts à emprunter la bonne voie. Il s'agit maintenant d'aller résolument de l'avant.

    Paul Jorion

    économiste et anthropologue


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  • Le recul de l'Europe

    Pedro Solbes and Richard Youngs


     

    MADRID –  Les responsables politiques ont manifestement l'intention de réformer la gouvernance économique internationale. Pourtant l'UE n'a pas une approche cohérente à long terme de ce que le G20 qui se réunit ce mois-ci en Corée du Sud pourrait faire dans ce domaine.

    Pour sortir de la crise, le G20 s'est engagé à donner la priorité à la coopération multilatérale et à l'interdépendance. Pourtant la plupart des pays européens ont adopté des politiques qui dans leur esprit ne vont pas dans ce sens. L'UE n'a peut-être pas imposé des taxes douanières ou des quotas draconiens à l'importation, mais à l'intérieur même des frontières un protectionnisme important se manifeste sous forme de subventions, de plans de sauvetage, d'injonctions d'acheter la production nationale et de nouvelles limitations aux investissements directs étrangers. Global Trade Alert, un organisme de surveillance indépendant, a recensé plus de 300 mesures protectionnistes introduites récemment par les pays membres du G20.

    L'année dernière le G20 a promis d'aboutir à la conclusion du cycle de négociations de Doha sur le commerce international, mais l'UE n'a pratiquement rien fait en ce sens. Au sein de l'OCDE elle a refusé d'adopter de nouvelles mesures réglementaires pour faciliter les flux de capitaux destinés à être investis. Quant à la nouvelle Commission européenne présidée par José Manuel Barroso, elle comporte moins de membres favorables à l'économie de marché que lors de son premier mandat et la plupart des commissaires sont favorables à une réglementation plus souple de l'aide publique à la recherche et au développement. Même si le Marché unique n'est pas ouvertement sur la voie du démantèlement, de toute évidence il ne progresse pas.

    Enfin, les pays européens ont instrumentalisé le G20 en dirigeant vers des pays à revenu moyen en Europe ou dans son voisinage la plus grande partie des fonds destinés en principe par ce dernier à des plans de sauvetage. Or non seulement l'UE est sur-représentée au sein du G20, mais plutôt que de considérer ce groupe comme une avancée vers une collaboration multilatérale plus large et mieux équilibrée, elle l'a utilisé pour mettre la main sur les fonds destinés à des opérations d'urgence.

    En l'absence de coordination systématique des pays membres et des positions de la Commission, la présence d'un aussi grand nombre de pays européens au sein du G20 est injustifiée. L'UE n'a pas dit grand chose sur le type de gouvernance et de normes qui devrait guider les débats sur le rééquilibrage pourtant si nécessaire entre pays excédentaires et pays déficitaires. Chaque pays s'est emparé de la moindre mesure en faveur de relâchement de la législation favorable à son propre redémarrage économique à court terme.

    Le temps où la croissance de l'Occident se faisait en exploitant les excédents des pays émergeants tire à sa fin. Elle se fera au sein même des pays en développement qui devraient éviter de construire une économie tournée exclusivement vers l'exportation. Mais l'influence de l'UE sur la réévaluation chinoise a été pratiquement nulle. Il faut que cela change.

    Considérés dans leur ensemble, tous ces éléments et ces défauts mettent sérieusement en doute la prétention de l'UE à mener le débat sur une reforme en profondeur de la gouvernance économique mondiale. Les pays européens répètent comme un mantra qu'ils sont partisans d'un "multilatéralisme efficace", mais ils n'ont pas de stratégie globale pour traduire cela en une politique cohérente.

    Pour les pays européens, la réforme de la gouvernance se limite à une question de nombre de sièges et de voix au sein des organisations internationales. Ce n'est que maintenant qu'ils reconnaissent à contre-cour la nécessité de diminuer leur sur-représentation dans les organisations multilatérales. Ils ont finalement admis que cela nuit à l'influence de l'UE, car cela incite les autres puissances à s'engager sur la voie d'engagements bilatéraux.

    On discute pour savoir dans quelle mesure l'Europe doit renoncer à sa position privilégiée dans les organisations multilatérales, mais cela se fait sans vision à long terme. Ainsi la crise financière n'a pas entraîné les pays membres à harmoniser leurs systèmes de régulation financière, une omission qui milite contre une vision européenne commune du réaménagement de la coopération financière internationale.

    Au lieu de cela, après la crise l'UE a décidé de donner la priorité aux grandes relations bilatérales. Elle a lancé un partenariat stratégique avec le Brésil, le Canada, la Chine, l'Inde, le Japon, le Mexique, la Russie, l'Afrique du Sud, les USA, l'Union africaine et l'OTAN. La plupart de ces partenariats manquent de contenu géopolitique et leur simple nombre déprécie leur valeur aux yeux des différents partenaires. Un ensemble de nouveaux accords commerciaux bilatéraux est également en négociation.

    La précipitation en faveur d'accords bilatéraux est peut-être compréhensible du fait de la recherche de résultats rapides et du désir de contrôler l'évolution de la situation internationale. Mais le coût en est élevé, dans la mesure où ce type d'accord va à l'encontre du multilatéralisme qui est en général profitable à l'UE. Comment peut-elle attendre des autres puissances qu'elles appliquent les principes du multilatéralisme, alors qu'elle les ignore ?

    Le reste du monde considère de plus en plus le multilatéralisme de l'UE comme le moyen pour elle de légitimer ses interventions dans les affaires de pays faibles et d'empêcher l'interférence des puissances montantes dans ses propres affaires. Les pays européens sont aussi inconstants dans leurs alliances que des pays supposés moins respectueux des principes.

    Alors que la poussière soulevée par la crise financière retombe et que la tendance semble être à un axe sino-américain comme moteur de l'économie mondiale, l'Europe est manifestement en position défensive. Au lieu de redessiner les contours de la structure de gouvernance mondiale, elle a été réduite à adopter des positions d'arrière-garde pour tenter de freiner sa propre perte de stature.

    Elle semble croire que le monde sera un lieu de rivalité des grandes puissances et que cela exige une approche de la gouvernance mondiale en terme de rapports de force. En réalité plusieurs dynamiques différentes sont à l'ouvre, elle peut encore participer à la construction du monde émergeant post-occidental, plutôt que de s'y résigner passivement.

    Mais elle risque de se montrer servile dans sa recherche de nouvelles alliances, comme si c'était simplement une affaire de gain à court terme, sans une idée claire quant à la manière dont ces alliances s'accordent avec les valeurs qui selon elle devraient servir de guide pour remodeler la gouvernance mondiale. La France va prendre la présidence du G20 après le sommet de Séoul, elle doit agir rapidement pour redresser la barre.

    Pedro Solbes a été ministre de l'Economie et des Finances de l'Espagne et commissaire européen aux Affaires monétaires. Il est actuellement président d'un cercle de réflexion basé à Madrid, la Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE).

    Richard Youngs est directeur général de la FRIDE.

    Copyright: Project Syndicate/Europe’s World, 2010.
    www.project-syndicate.org
    www.europesworld.org

    Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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