• Réfugiés de la guerre des monnaies, Unissez-vous !

    Réfugiés de la guerre des monnaies, Unissez-vous !

    Mario I. Blejer and Eduardo Levy Yeyati


     

    BUENOS AIRES – La guerre des monnaies ressemble aujourd’hui à une véritable guerre, et ce, par deux aspects importants : une confrontation sur les déséquilibres structurels entre deux importants adversaires – la Chine et les Etats-Unis – a obligé les plus petits alliés inconfortables à prendre partie, et les tierces parties qui n’étaient pas nécessairement concernées subissent des dommages collatéraux de part et d’autres de la dispute.

    Les économies à la croissance rapide de l’Amérique Latine sont particulièrement vulnérables dans la mesure où elles sont confrontées à la fois à l’inflexibilité du taux de change de la Chine et à l’impact de la dépréciation du dollar résultant de la politique monétaire expansive de la Réserve Fédérale américaine.  

    Les mécanismes sont familiers : les dollars s’échappent vers les pays émergents à la recherche de meilleurs rendements, entrainant une pression haussière sur leurs monnaies. Le  Brésil, le Chili et la Colombie, entre autres, sont confrontés à ces forces puissantes de la hausse des monnaies. Cette pression est appuyée dans les pays d’Amérique Latine riches en ressources par l’augmentation des prix des matières premières causées par ces mêmes recherches de rendements et par la chute du dollar.

    Mais pourquoi les pays de l’Amérique Latine devraient-ils se soucier des afflux de capitaux et de la réévaluation de leurs monnaies ? Les afflux de capitaux ont traditionnellement toujours été considérés comme des transferts positifs d’épargne depuis les riches pays industriels vers les marchés émergents où les capitaux sont plus rares.

    Le scénario d’après crise révèle une région avec de biens meilleurs fondamentaux macroéconomiques que ceux du monde industriel. Les positions budgétaires sont solides et la dette publique ne représente que 32% du PIB de la région. En outre, le désendettement global est asymétrique, avec les économies latino-américaines profitant d’une croissance rapide tandis que celles des marchés émergents est à la traine – ce qui pourrait nécessiter une véritable correction des taux de change et donc justifier une réévaluation des principales monnaies de la région.

    Mais cette vision sanguine masque la perte de compétitivité qu’une réelle revalorisation pourrait provoquer. En effet, le « Mal Hollandais » - d’après la chute catastrophique de la compétitivité manufacturière des Pays-Bas après que la découverte de gaz naturel en mer du Nord aie provoqué une forte hausse de sa monnaie – constitue une réelle inquiétude. En lieu et place des ressources naturelles entravant la compétitivité de l’Amérique Latine (et d’autres pays en développement), ce sont les flux financiers qui provoquent cette maladie. 

    L’augmentation des afflux de capitaux pèse lourdement sur les secteurs de substitution d’importation et les secteurs exportateurs, et pourrait même les balayer si la hausse devait être conséquente et prolongée. Certaines économies devront supporter des dommages collatéraux émanant de part et d’autre de cette guerre, parce que, en plus des pressions procédant les excès de liquidités en dollars, ils pourraient devoir faire face à une plus forte concurrence (intérieure comme des marchés tiers) de la Chine, aussi longtemps que le renminbi demeurera en quasi-parité avec le dollar.

    Un cas exemplaire est celui du Mexique. Dans les dix-huit derniers mois, le peso a prix 6% de plus que le renminbi, érodant la compétitivité du Mexique face aux exportations chinoises aux Etats-Unis, de loin le plus important marché d’exportation du Mexique.

    Mais ceci n’est pas la seule conséquence du Mal financier Hollandais. La politique de facilité quantitative de la Fed exacerbe les excès de liquidités, ce qui pourrait entrainer de dangereuses bulles sur les marchés émergents. En gonflant artificiellement les actifs et la richesse dans les pays bénéficiaires, les afflux de capitaux obligent les économies émergentes à surconsommer, créant le même genre de conditions qui ont entrainé la crise récente – cette fois-ci dans des économies qui sont bien moins équipées que les Etats-Unis pour gérer les risques.

    Mais que se passera-t-il lorsque les Etats-Unis se rétabliront, inverseront la facilité quantitative, et remonteront leurs taux d’intérêt ?  Constaterons-nous une inversion des flux de capitaux, entrainant ainsi de sévères girations des taux de change ? Dans la mesure où cette éventualité est réelle, le Mal financier Hollandais représente une sérieuse menace pour les marchés émergents à la croissance rapide.

    Si le G20 doit jouer un rôle sérieux, il doit négocier une solution à cette situation. Malheureusement, le blocage de la coordination des politiques globales lors des récentes réunions entre le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale pourrait être une démonstration des limites de la surveillance multilatérale et de la coordination internationale.

    Dans un ultime effort désespéré, Le FMI invente maintenant des « rapports de débordements » pour quelques unes des économies systémiquement importantes qui seront conduits en marge de ses consultations par pays (Article IV). Cette initiative est vouée à l’échec – tout comme l’exercice de surveillance multilatérale du FMI ou les examens par les pairs du G20 ces dernières années. Même si de massifs débordements sont clairement avérés, il est difficile de comprendre comment cet exercice pourrait résoudre le problème fondamental derrière la guerre des monnaies : l’apparente réticence des principaux acteurs à réconcilier des intérêts nationaux foncièrement différents.

    Que devraient alors faire les économies latino-américaines ? Elles ont bien sur le droit de se défendre, que ce soit par une intervention sur le taux de change et l’accumulation de réserves qui en résulte (une option potentiellement profitable si les flux de capitaux sont effectivement temporaires), l’imposition de contrôles de capitaux, ou d’autres mesures monétaires macro-prudentielles visant à lisser les taux de change contrecycliques.

    Tout cela pourrait être fait (et l’est effectivement) de manière unilatérale. Le Chili n’est pas encore intervenu sur le marché des taux de change, mais la Colombie et le Pérou ont augmenté massivement leurs réserves étrangères. Le Brésil a montré une certaine agressivité avec des restrictions de capitaux, augmentant à deux reprises sa taxe sur les afflux de capitaux. Mais un manque de coordination pourrait entrainer un cercle vicieux de représailles, faisant de la guerre des monnaies un réel conflit commercial, avec des incidences compliquées pour toutes les parties concernées.

    Sinon, les économies de l’Amérique Latine pourraient tenter de mettre en place une coordination des politiques au niveau régional, dont les réalités économiques sont plus ou moins similaires, l’interdépendance plus directement ressentie, et le coût des débordements peut être internalisé plus facilement. Ce type de coordination régionale pourrait aussi améliorer la marche de manouvre des pays concernés, renforçant le poids de leur voix au niveau international. Dans ce cas, l’Amérique Latine pourrait passer de l’état de victime de guerre à un rôle important dans le processus de paix.

    Mario I. Blejer est ancien Gouverneur de la Banque Centrale de l’Argentine.

    Eduardo Levy Yeyati est professeur en économie à l’université Torcuato Di Tella de Buenos Aires, et ancien chef économiste à de la Banque Centrale argentine.

    Copyright: Project Syndicate, 2010.
    www.project-syndicate.org
    Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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