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Wal-Mart, nouveau croisé du « green business »
Le numéro un mondial de la distribution impose de nouvelles règles du jeu dans son secteur
Wal-Mart, nouveau croisé du « green business »
Engagement sincère ou marketing cynique ? Clamant son engagement en faveur du développement durable, le géant américain de la grande distribution multiplie les initiatives dans ce domaine, comme l’élaboration d’un indice environnementalpour tous les produits qu’il vend. Et veut contraindre ses 100.000 fournisseurs à travers le monde à le suivre dans cette voie.
Les entreprises américaines sont en train de muter. Sous la pression d’une opinion publique de plus en plus sensible aux enjeux du développement durable, elles se rallient aux « green techs ». Ce mouvement de fond puise aussi sa source dans un nouveau credo : se « verdir » est rentable. En s’y convertissant de façon exemplaire, Wal-Mart, leader mondial de la grande distribution, est en train de changer les règles du jeu de ce secteur économique. L’idée qu’adopter des règles de comportement durable (se rallier aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, produire plus propre et plus recyclable, privilégier les transports en commun, etc.) constitue un facteur de compétitivité est nouvelle en Amérique. C’est même le contraire de l’idéologie des années Bush, l’ancien président ayant argué que ces pratiques imposeraient un trop lourd « fardeau » à l’économie américaine pour refuser de mettre en œuvre le protocole de Kyoto. Aujourd’hui, les rapports d’experts s’empilent pour démontrer le contraire, et ça marche ! Certaines grandes entreprises comme FedEx ou McDonald’s n’ont d’ailleurs pas attendu l’arrivée de Barack Obama à <st1:personname productid="la Maison-Blanche" w:st="on">la Maison-Blanche</st1:personname> pour se lancer. Mais la plus emblématique – et celle dont l’action aura certainement le plus d’impact sur l’économie américaine – est, à l’évidence, Wal-Mart. Dès 2005, le PDG de l’époque, Lee Scott, aujourd’hui à la retraite, avait solennellement annoncé que le développement durable serait désormais placé« au cœur »de la stratégie de développement du champion des prix bas. Un engagement que bien peu, alors, avaient pris au sérieux.
Une image de marque à rétablir
Il est vrai qu’à cette époque l’entreprise faisait davantage la une des médias américains pour ses lacunes sur le plan éthique (bas salaires, faible couverture sociale...). Sans parler de sa gestion contestable, partout dans le monde, des sources d’énergie utilisées pour ses besoins propres. Les mieux disposés à l’égard de Wal-Mart s’attendaient à une vaste campagne marketing destinée à « reverdir » son image de marque. Quatre ans après, Wal-Mart force le respect des associations écologiques les plus critiques, qui soulignent le travail accompli, même s’il reste, selon elles, beaucoup à faire. Le point d’orgue de la nouvelle stratégie verte du groupe de Bentonville, dans l’Arkansas, a été la présentation, cet été, d’un indice environnemental, qui devrait, à terme, accompagner la totalité des articles commercialisés dans le monde par le « retailer ». Véritable outil de traçabilité verte, cette étiquette devrait permettre au consommateur de savoir comment a été fabriqué chaque produit (quelles matières, quelles sources d’énergie), de connaître son empreinte carbone (notamment pour parvenir jusqu’au rayon) ainsi que son niveau de recyclage.
Interrogatoire pour les sous-traitants
« Dans le secteur de la grande distribution, on ne connaît personne d’autre qui soit aussi ambitieux »,souligne Michelle Harvey, directrice de projet à l’Environnemental Defense Fund (EDF). Et cette experte sait de quoi elle parle. Depuis plus de deux ans, son organisation (voir ci-contre) aide Wal-Mart à concevoir puis à exécuter tous ses projets stratégiques en matière d’environnement durable. Reste maintenant à transformer l’essai. Les principaux fournisseurs de Wal-Mart, réunis en juillet dernier au siège du groupe pour connaître les détails de ce nouvel outil, se sont vu remettre une liste de 15 questions, dont les réponses devraient permettre de construire cet index. Wal-Mart demande d’abord à ses fournisseurs s’ils ont une politique en matière de développement durable et s’ils en mesurent les effets (l’empreinte carbone de leurs activités, leurs objectifs pour réduire la production de gaz à effet de serre, etc.). Véritable interrogatoire, le questionnaire leur demande ensuite d’indiquer quelles quantités d’eau recyclée ils produisent, quel pourcentage d’énergie renouvelable ils utilisent, avec, là encore, des objectifs quantifiables. Une autre série de questions vise à déterminer dans quelle mesure les ressources naturelles utilisées pour fabriquer les produits que ces entreprises vendent à Wal-Mart sont vertes. Par exemple : le bois vient-il d’une espèce ou d’une forêt protégée ? Enfin, Wal-Mart veut également savoir si les partenaires et les sous-traitants de ses propres sous-traitants travaillent avec des entreprises elles-mêmes irréprochables. Et, dans le cas contraire, ce qu’ils comptent faire pour corriger ces insuffisances. Au total, les informations fournies doivent permettre d’intégrer la dimension écologique du produit non seulement pendant les phases de conception et de production, mais aussi pendant toute sa durée de vie. Les fournisseurs de Wal-Mart n’ont pas intérêt à prendre ce nouveau cahier des charges à la légère... Le géant de la distribution l’assure : il est prêt à rayer de ses listes n’importe laquelle des 100.000 entreprises sous-traitantes qui ne s’engagerait pas dans cette voie avec lui. Quelles que soient sa taille et l’importance de son chiffre d’affaires. Le groupe s’est donné au moins deux ans pour que les millions d’articles disponibles dans ses supermarchés disposent de la fameuse étiquette.« Nous ne devons pas seulement commercialiser des produits plus innovants, nous devons aussi raconter leur histoire à nos clients »,expliquait l’été dernier Rand Waddoups, directeur de la stratégie d’entreprise et du développement durable de Wal-Mart aux 1.500 fournisseurs réunis au siège. Deux ans durant lesquels les sous-traitants eux-mêmes devront s’organiser pour collecter les informations demandées et améliorer ce qui doit l’être. Ce travail de fond, ils devront en assumer seuls la charge financière : le prix à payer pour rester dans les petits papiers du puissant donneur d’ordre...
Des magasins économes en énergie
Pour la conception de son questionnaire et les premières lignes directrices de son index vert, Wal-Mart a déjà beaucoup travaillé avec les universités américaines les plus prestigieuses (Harvard, Stanford...). Mais cela ne suffira pas. Alors que le gouvernement de Barack Obama travaille lui aussi sur le concept d’un index vert global, Wal-Mart ne veut pas être accusé de forcer la main au pouvoir politique en imposant sa propre norme standard. Pour parvenir à ses fins, la multinationale doit évidemment se montrer irréprochable dans tous les domaines. Depuis l’année dernière, Wal-Mart exige déjà de ses fournisseurs chinois une traçabilité sur ce qu’eux-mêmes obtiennent de leurs propres sous-traitants. Une exigence écologique qui se double d’une autre plus morale puisqu’elle leur interdit aussi de faire travailler des enfants et les oblige à payer leurs salariés de façon décente. L’an prochain, le groupe prévoit d’inaugurer un nouveau concept de magasin qui consommera moitié moins d’eau et économisera 40 % d’énergie par rapport aux autres magasins de taille comparable. Enfin, aux Etats-Unis, la fondation Wal-Mart finance la création d’emplois verts, notamment à Chicago, où l’on tente de reconvertir des chômeurs en paysagistes, en spécialistes de constructions nouvelles ou dans le recyclage de déchets électroniques. Au sein de l’entreprise elle-même, les quatre années écoulées depuis la décision de l’ex-PDG Lee Scott commencent à porter leurs fruits. Des dizaines de supermarchés, aux Etats-Unis et ailleurs, sont équipés de panneaux solaires qui produisent en moyenne un quart de l’électricité qu’ils consomment. Wal-Mart achète également des quantités d’électricité (plus de 200 MWh) d’origine renouvelable, notamment éolienne. Des programmes d’économies d’énergie sont déployés dans la plupart de ses sites administratifs et de ses magasins américains. Les nouveaux sont construits avec des matériaux plus écologiques, y compris avec du ciment plus « propre ». En outre, Wal-Mart prévoit de réduire d’un tiers la consommation des sacs d’emballage en plastique fournis à ses clients.
Soupçons d’arrière-pensées
Malgré tous ces efforts, Wal-Mart continue de susciter des doutes, voire des reproches. Dans son dernier classement, l’Environmental Protection Agency ne classe le groupe qu’en 15e position parmi les entreprises américaines qui font le plus d’efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le Green Building Council, qui établit une hiérarchie parmi les entreprises les plus actives en matière de constructions respectueuses du développement durable, ne place même pas Wal-Mart sur sa liste...Des spécialistes de la grande distribution, comme Barbara Farfan, se demandent également pourquoi Wal-Mart ne vend pas davantage de produits verts, pourtant disponibles. Et prêtent au groupe une attitude réellement cynique, dictée par la volonté affichée de voir son engagement en faveur du développement durable améliorer sa rentabilité.« Wal-Mart cherche à définir des standards et oblige les autres à les adopter afin d’en être l’ultime bénéficiaire »,écrit-elle dans About.com. Il n’empêche... Quelles que soient les réserves émises sur cette stratégie verte, et les éventuelles arrière-pensées, personne ne conteste l’influence bénéfique des mesures prises : par sa seule taille, Wal-Mart a le pouvoir de changer les règles du jeu de la grande distribution mondiale et, par extension, qui sait, peut-être pourra-t-il accélérer la prise de conscience des consommateurs ?
MICHEL KTitAREFF
notre correspondant à Palo Alto.
Avec son indice environnemental, le distributeur veut mesurer l’empreinte carbone de tous les produits qu’il commercialise, de leur conception au rayon du supermarché. BLOOMBERG NEWS
L’EDF, aiguillon vert des entreprises américaines
Non lucratif. Fondé en 1967 par des scientifiques américains pour financer une campagne destinée à interdire le DDT (un insecticide désormais banni), l’Environmental Defense Fund (EDF) est devenu avec les années l’une des plus influentes organisations américaines privées pour la promotion du développement durable. Organisme à but non lucratif, il se finance auprès de généreux donateurs, de fondations et surtout de personnes privées. Avec un budget de 27 millions de dollars et un effectif de 170 personnes, l’EDF scelle des partenariats avec de grandes entreprises pour les aider à se convertir au « green business ». En respectant deux critères principaux : que ces entreprises soient leader sur leurs marchés (afin que leur action entraîne tout le secteur économique concerné) et que leur approche de l’écologie soit globale, c’est-à-dire qu’elles déploient des projets ambitieux. Ce qui est le cas avec Wal-Mart. En échange de la collaboration gratuite de l’EDF avec ces entreprises, celles-ci acceptent que les projets menés en partenariat avec l’association soient rendus publics, toujours pour faciliter un mouvement d’entraînement de l’ensemble de l’économie américaine.
Surprenant. Mais faut prendre acte. Certains raisonnements des patrons américains devraient quand même trouver de « l’Echo » chez nous.
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