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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Bill gates, une charité bien ordonnée

Bill gates, une charité bien ordonnée  

Avec le Giving Pledge, le fondateur de Microsoft veut inciter les milliardaires du monde entier à investir leur fortune dans des œuvres sociales. La démarche est généreuse mais cache, peut-être, une autre façon d’exercer son pouvoir…

Tout a commencé par un dîner secret. Le mardi 5 mai 2009, à New York. Ce jour-là, à l’initiative de Bill Gates et de Warren Buffett, 11 milliardaires totalisant entre 120 et 130 milliards de dollars d’actifs personnels, dissertent dans l’intimité de la maison du président, à la Rockefeller University, au cœur de Manhattan. Le débat du jour : la philanthropie peut-elle contribuer à remodeler le monde ? Et, si oui, de quelle manière ?A dire vrai, des personnalités comme George Soros, Michael Bloomberg, John Rockefeller Sr. et bien sûr Bill Gates et Warren Buffett, sont déjà des spécialistes de l’action charitable. Avec de 3 à 4 milliards de dollars de dons utilisés chaque année, la Bill & Melinda Gates Foundation est, de loin, la fondation la mieux dotée de la planète. Et ce n’est pas fini… Le fondateur de Microsoft et sa femme sont en effet bien décidés à continuer à l’alimenter avec la quasi-totalité de leur fortune. Soit une bonne cinquantaine de milliards de dollars à venir. Warren Buffett, lui aussi, a promis qu’il céderait l’essentiel de sa richesse (au moins 30 milliards de dollars) à cette même fondation.

Une promesse de don

Mais tous les grands milliardaires de la planète ne sont pas (encore) aussi généreux. D’où cette fameuse réunion de New York, destinée à trouver un moyen de mobiliser pour la bonne cause le plus de donateurs possible à travers le monde. Tous ensemble, espèrent ces riches décideurs, ils seront plus efficaces pour solutionner quelques-uns des grands problèmes de la planète, comme la faim dans le monde, l’éradication de maladies anciennes du type malaria ou tuberculose…Vaste programme, mais tous les espoirs sont permis, tant les poches de ces personnalités semblent profondes. Et paradoxalement peu sollicitées : car même aux Etats-Unis – le pays le plus généreux en matière de charité publique avec environ 300 milliards de dollars de dons annuels –, les plus riches contribuent encore peu, au regard de leurs fortunes respectives. Selon un calcul effectué par le magazine « Fortune », les 400 plus gros contribuables américains, représentant à eux seuls 138 milliards de dollars imposables, n’ont consacré en 2007 que 8 % de ce montant (11 milliards de dollars) à des donations. Souvent avec le souci de payer moins d’impôts. Bill Gates estime, lui, que seuls 15 % des Américains les plus riches consacrent une part significative de leur fortune à des œuvres philanthropiques.Comment inciter les autres à le faire ?« L’objectif était de proposer quelque chose de très simple, qui ne soit surtout pas un contrat impliquant des avocats. Juste un engagement moral, mais public », a expliqué, depuis, Warren Buffett.Il a fallu plusieurs autres dîners pour finaliser le projet. C’est au cours de l’un d’eux, organisé à Palo Alto, en Californie, par un milliardaire du capital-risque, Ray Lane (devenu le mois dernier le président non exécutif de Hewlett-Packard) qu’a germé l’idée du fameux Giving Pledge (promesse de don).Annoncée le 6 août dernier, cette initiative regroupe déjà 40 milliardaires qui s’engagent, via une lettre signée et disponible sur le site www.givingpledge.org, à consacrer au moins la moitié de leur fortune à la philanthropie. Si possible de leur vivant.Un simple engagement moral. Mais les initiateurs du projet en sont convaincus : une fois le pas franchi publiquement, aucun des milliardaires ne pourra se permettre de reculer.Pour tous ceux qui l’ont déjà signé, c’est l’occasion de montrer ce qu’ils font déjà. Pour certains, comme Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, l’engagement était peu connu. Dans sa lettre de quelques lignes seulement, il révèle avoir depuis longtemps placé l’essentiel de sa fortune dans un fonds dont la vocation est d’apporter« 95 % des sommes engagées à des causes charitables ».George Lucas, le réalisateur de « La Guerre des étoiles », est plus disert. Dans une véritable profession de foi, il révèle qu’il consacrera l’essentiel de sa fortune à une meilleure éducation des jeunes. Son engagement est lui aussi ancien : cela fait vingt ans déjà qu’il anime la George Lucas Educational Foundation, dont l’objectif principal est d’améliorer les méthodes d’enseignement, grâce aux technologies de l’information.« Renforcer le niveau éducatif de nos enfants sera décisif pour la survie de l’humanité », assène-t-il. Rien de moins.

Pouvoir et influence

Pour faire avancer leur cause, ces 40 « super-philanthropes » souhaitent naturellement que leur club s’élargisse. Bill Gates a donc déjà repris son avion, notamment vers l’Asie, pour convaincre des milliardaires chinois et indiens de rejoindre le « Giving Pledge », afin de lui donner une dimension plus internationale. Sans grand succès pour le moment… Mais qu’importe. Le deuxième homme le plus riche du monde prend d’autant plus à cœur ce rôle d’évangéliste qu’il va à la rencontre de gens qu’il connaît et qui lui ressemblent. Le plus souvent des self-made-men ayant fait fortune eux-mêmes, a priori davantage prêts à se séparer de leur fortune que ceux qui en ont hérité. C’est lui qui le dit.Leur motivation principale viendrait du fait qu’ils échangent finalement de l’argent contre du pouvoir et de l’influence.« Ce modèle de philanthropie est basé sur des résultats concrets et sur le fait que les donateurs peuvent contrôler les actions et les résultats des causes auxquelles ils se consacrent », décrypte Matthew Bishop, coauteur de « Philanthrocapitalism : How the Rich Can Save the World ».« Par exemple, il y a encore cinq ans, personne ne pensait sérieusement que l’on pourrait prochainement éradiquer la malaria, alors que l’ONU y travaille depuis quarante ans. Pourtant, Bill Gates est parvenu à assembler une coalition regroupant des gouvernements, de grandes multinationales de la santé et plusieurs ONG afin que des actions concrètes soient mises en place, en plus des financements qu’il apportait. Aujourd’hui, grâce à ces actions, on considère que la malaria pourra bel et bien être vaincue dans le monde avant la fin de la décennie. »Ce qu’explique Bill Gates à ses pairs, c’est que, avec ce capitalisme philanthropique, ils pourront continuer d’appliquer des recettes familières, celles qui leur ont permis de s’enrichir : suivre des stratégies de type capital-risque, recourir à des techniques de management et des outils technologiques pour mesurer les « performances » de leurs investissements, etc. Sans oublier qu’ils peuvent continuer à se servir de leurs puissants réseaux relationnels pour ces actions nouvelles.

De l’opacité au népotisme

Si personne ne peut critiquer en soi le concept de capitalisme philanthropique, ni reprocher à Bill Gates une initiative telle que le Giving Pledge, certains commencent néanmoins à s’inquiéter du phénomène. En pointant le danger qu’il y aurait à orienter l’essentiel des dons vers des fondations constituées – et souvent pilotées – par ces milliardaires eux-mêmes. L’influence et le pouvoir qu’ils en retirent« pourraient avoir un effet perturbateur sur le fonctionnement de la démocratie », estime ainsi Christopher Caldwell, éditorialiste du « Financial Times ». D’autres s’interrogent aussi sur le fait que des sommes de plus en plus importantes puissent être gérées par des structures finalement opaques, échappant à tout contrôle – contrairement aux grandes entreprises qui réalisent des chiffres d’affaires comparables mais sont contraintes à un minimum de transparence. Certains soulignent également le risque de népotisme inhérent à ce type de structure : une fondation peut très bien servir à verser des salaires importants à des membres de sa famille ou des amis…Viennent enfin les critiques de fond. Si certaines fondations, comme celle de Bill Gates, deviennent « trop riches », elles pourraient devenir, de fait, la seule source de financement de certaines causes. Avec l’inconvénient paradoxal de ne pouvoir distribuer autant d’argent que s’il venait de plusieurs sources. Bill Gates, lui-même, reconnaît que sa fondation reste une « minuscule » structure et donc qu’elle ne peut dépenser autant qu’il le souhaiterait.Pour autant, cela ne l’empêche pas de jouer déjà un rôle important dans la société américaine.« Parce qu’il a déjà donné plus de 650 millions de dollars à des écoles ou des organismes éducatifs publics qui partagent ses idées sur la façon d’éduquer les enfants, certains estiment qu’il est le ’vrai’ ministre de l’Education », résume Matthew Bishop. Son influence s’étend donc jusqu’à la sphère politique, et ce n’est certainement qu’un commencement.D’une façon générale, le Giving Pledge risque de modifier en profondeur la conception de la philanthropie dans le monde, et les spécialistes du sujet estiment indispensable une réflexion nouvelle sur son rôle et ses missions. Aux Etats-Unis, la philanthropie telle qu’elle se pratique depuis quarante ans est le fruit d’un vaste débat de société, qui a eu lieu en 1969, et a abouti à une grande réforme fiscale. Aujourd’hui, l’essor du phénomène nécessite sans doute un nouveau débat dans le pays, sous l’égide du gouvernement américain. A en croire Bishop, le moment serait d’autant plus propice que« Barack Obama est le président américain le plus favorable à un partenariat avec la philanthropie capitalistique depuis longtemps »…

Michel Ktitareff à Palo Alto

Bill Gates, le visionnairede l’informatique sur  lesechos.fr/diaporama Convaincu de la nécessité de donner une dimension plus internationale au programme Giving Pledge, Bill Gates a pris son bâton de pèlerin. Comme ici, en juin, au Mexique.bloomberg

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