Le président américain ne cesse de s'inviter dans la crise des économies européennes. Lors des craintes de défaut sur la dette grecque, il reçoit le premier ministre grec, Georges Papandréou. Lorsque l'Espagne renâcle à lancer un plan d'austérité, il téléphone à José Luis Zapatero, le chef du gouvernement. Lorsqu'à l'inverse Berlin veut jouer l'exemplarité, il envoie Tim Geithner, son secrétaire au Trésor, pour convaincre la chancelière Angela Merkel de modérer son plan de rigueur. Résultat, un mini-plan d'austérité en Allemagne - moins d'un demi-point de PIB - et, au contraire, des purges dans l'ensemble de l'Europe du Sud. Pourquoi tant de sollicitude ?
En réalité, Barack Obama protège l'intérêt de son pays. Avec un déficit budgétaire abyssal, les Etats-Unis ne peuvent risquer une contagion de crises de dettes souveraines partie de l'autre rive de l'Atlantique. De même, la forte reprise mondiale, dont celle des Etats-Unis (3,5 % de croissance prévue pour 2010) ne doit pas être obérée par une rigueur trop généralisée en Europe.
Puisqu'il s'agit de l'intérêt de l'Amérique, pourquoi les Européens suivent-ils les conseils d'Obama ? Une première interprétation est l'incapacité de l'Europe, engluée dans ses atermoiements, à régler la crise grecque : l'appel au Fonds monétaire international (FMI), où les Etats-Unis jouent un rôle essentiel, donne de fait à ces derniers un droit de tutelle sur nos économies. La seconde interprétation est que les pressions d'Obama relèveraient du bon sens économique, celui des " bons choix " que devraient opérer les pays européens.
Une myriade d'analystes nous expliquent en effet depuis plusieurs semaines que les " PIIGS " (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne) ne peuvent faire autrement, et que les économistes " savent " qu'au-dessus de 90 % de PIB d'endettement public la croissance s'effondre. Tout cela sans préciser que l'Espagne, par exemple, est encore loin d'atteindre ce niveau d'endettement, ou que ce chiffre fatidique est issu d'une unique étude du National Bureau of Economic Research (NBER) publiée en janvier par deux économistes américains prestigieux, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff.
Dans le détail, les plans d'austérité de nombreux pays européens reprennent le principe initié en France depuis 2007 : le non-remplacement partiel des fonctionnaires partant à la retraite. Dans la plupart de ces pays, cela va se traduire par des réductions drastiques des effectifs dans l'éducation.
Or, le contraste est saisissant avec la politique menée par M. Obama... aux Etats-Unis. L'éducation primaire et secondaire y dépend de districts locaux. Ces derniers ont été ruinés par l'effondrement des marchés immobiliers, car une source essentielle des finances locales est constituée d'impôts basés sur la valeur du foncier. Ils ont donc lancé de vastes plans de réduction des effectifs dans les établissements d'enseignement, de taille comparable aux réductions programmées pour l'éducation nationale sur le quinquennat en France.
Mais l'administration fédérale a jugé insupportable ces pertes d'emplois. Il ne faut pas, estime-t-elle, dégrader les services de l'éducation au risque d'handicaper la croissance des -prochaines décennies et -d'approfondir les inégalités.
Du coup, l'Etat fédéral a lancé un gigantesque " bailout " (plan de sauvetage) de l'éducation locale en recyclant les montants remboursés par les banques. Les lecteurs intéressés - notamment les enseignants - peuvent visiter les " news " du site Web www.ed.gov (département de l'éducation américain), longue litanie d'annonces de centaines de millions de dollars déversés sur les Etats américains dans le cadre de l'American Recovery and Reinvestment Act. Si l'administration Obama obtient du Congrès la rallonge de 23 milliards de dollars (18,7 milliards d'euros) qu'elle négocie actuellement, l'Etat fédéral aura distribué en un an, pour maintenir les postes d'enseignants, l'équivalent des budgets de l'éducation primaire et secondaire cumulés des " PIIGS "...
Résultat, le déficit américain se creuse autour de dix points de PIB, largement plus que le déficit français. M. Obama a dû promettre la rigueur et l'austérité, créant une commission bipartisane qui doit lui faire " bientôt " des propositions. La cible est de ramener le déficit fédéral courant à 4 % du PIB en 2020. A cette date, la dette publique américaine aura atteint un niveau " méditerranéen ".
En choisissant de ne pas insulter l'avenir, en continuant à investir dans la jeunesse, M. Obama prend le risque d'un " surendettement " public. Le fait même qu'il le prenne montre qu'il n'y a pas de " vérité économique " en la matière. Malgré les arguments d'autorité assenés aux populations européennes, un débat démocratique sur le contenu de la politique de leurs Etats est donc légitime. Il ne peut être confisqué ni par " les savants " ni par Washington.
Philippe Askenazy
Philippe Askenazy, directeur de -recherche au CNRS, Ecole d'économie de Paris.