Combien y en a-t-il et combien coûtent-elles ? Quelle est leur utilité économique et politique ?
Niches fiscales... Depuis six mois, ce terme revient plus qu'à son tour dans l'actualité politico-budgétaire française. Il sera encore à la " une " dans les semaines qui viennent avec l'examen, par le Parlement, du projet de loi de finances pour 2011. Il est devenu une sorte de mot magique : le gouvernement compte, pour une bonne part, sur la réduction de ces niches pour se procurer plus de recettes et donc abaisser le déficit public, tout en continuant à dire qu'il tient sa promesse de ne pas augmenter les impôts de façon généralisée.
Dans cette entreprise, il n'hésite d'ailleurs pas à mettre la barre de plus en plus haut. Ces niches devront procurer 10 milliards d'euros d'économies sur les 40 milliards que représente l'abaissement du déficit de 8 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2010, à 6 % fin 2011. Il y a six mois, le gouvernement parlait de rogner les niches de 5 à 6 milliards d'euros sur trois ans. Entre-temps, il a revu à la baisse sa prévision de croissance pour l'année prochaine. Or, qui dit moindre progression du PIB dit aussi moins de rentrées fiscales automatiques, via l'impôt, les taxes...
Une définition floue Qu'appelle-t-on niche fiscale ? C'est un régime d'imposition dérogatoire permettant d'alléger la charge d'imposition de certaines catégories de contribuables à des fins d'incitation économique ou d'équité sociale. Il peut s'agir d'exonérations de revenus, d'abattements ou de déductions d'impôts, ou encore de demi-parts supplémentaires, de taux réduit d'imposition, de crédits d'impôt... Officiellement, le terme de " niches fiscales " n'existe pas. C'est de " dépenses fiscales " qu'il convient de parler. Parce que ces régimes dérogatoires, même s'ils constituent de moindres recettes pour l'Etat, sont répertoriés comme des charges dans son budget.
Tous les avantages fiscaux ne sont pas considérés comme des dépenses fiscales. Sous ce vocable, on classe des " dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'Etat une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de la charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la norme, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ".
Définition " trop imprécise ", déplore la Cour des comptes. Or, ce flou conduit à ce que certains avantages fiscaux soient répertoriés dans les dépenses fiscales et d'autres pas. Ou à ce que certains le soient certaines années, puis ne le soient plus ensuite.
Notant que " certains pays (Suède, Belgique, Etats-Unis, Canada) ont une définition plus précise et une liste plus cohérente ", la Cour des comptes presse le gouvernement " d'engager rapidement - le - chantier " d'une " définition plus rigoureuse des dépenses fiscales " et de " revoir " la liste des dispositifs à classer dans cette catégorie.
Un nombre et un coût croissants d'année en année En 2010, 468 dispositifs fiscaux dérogatoires sont officiellement classés comme dépenses fiscales. En 2003, le Conseil des impôts en recensait 418. Toutefois, leur " nombre réel est sous-estimé ", selon la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui met en avant le fait que " la suppression d'un dispositif " dans le périmètre de recensement officiel " ne signifie pas la suppression effective de la mesure ".
Pour 2010, le manque à gagner pour l'Etat a été estimé à près de 74,8 milliards d'euros (72,2 milliards hors mesures relevant du plan de relance), contre 73 milliards en 2008 et 56 milliards en 2000. A noter que les 16 dépenses fiscales les plus lourdes représentent à elles seules 50 % du coût total.
Ce chiffrage relève cependant de l'approximation car " pour 47 % des dépenses fiscales, en nombre, le coût indiqué est seulement un ordre de grandeur ", souligne la Cour des comptes. Par ailleurs, le montant réel de la facture est probablement le double si l'on prend en compte les dispositifs retirés de la liste officielle mais existant toujours : ceux-ci représentaient 80 milliards d'euros en 2008, a calculé la Cour des comptes.
Un exemple est fourni par la " niche Copé ". Elle a été instaurée par Jean-François Copé, l'actuel chef de file des députés UMP, lorsqu'il était ministre délégué au budget, entre 2004 et 2007. Elle porte sur la défiscalisation des plus-values réalisées par une personne physique ou morale (holding par exemple) lors de la vente de parts d'entreprises détenues depuis plus de deux ans.
Cette disposition a coûté à l'Etat 3,4 milliards d'euros en 2007, 12,5 milliards en 2008 et 6,1 milliards en 2009. Or cette niche n'est plus officiellement classée comme dépense fiscale.
L'impôt sur le revenu, principale cible Les dépenses fiscales s'adressent pour une large part aux ménages : 50 % du coût total des niches (37,5 milliards en 2010) concerne les abattements, exonérations, crédits d'impôts, etc., s'appliquant à l'impôt sur le revenu. Loin devant les taux réduits de TVA (17 milliards de manque à gagner) ou les dérogations à l'impôt sur les sociétés.
La commission des finances de l'Assemblée nationale a calculé, en 2008, que les dérogations affectant l'impôt sur le revenu avaient représenté plus de 65 % des 60,5 milliards d'euros de recettes que ce dernier aurait théoriquement dû produire.
Le nombre de bénéficiaires des niches est très variable : cela va de quelques dizaines ou centaines de ménages à plusieurs millions : quand douze ménages d'exploitants agricoles se partagent une enveloppe totale de 1 million d'euros pour une réduction d'impôt sur le revenu " à raison des intérêts perçus au titre du différé de paiement ", 8,9 millions de ménages se partagent 3,2 millions d'euros au titre de la prime à l'emploi.
Les plus gros contribuables, principaux bénéficiaires Les niches constituent bien souvent un outil d'optimisation fiscale pour ménages aisés. La Cour des comptes relève que " beaucoup des dépenses fiscales, notamment celles qui grèvent l'impôt sur le revenu, profitent surtout à des ménages à hauts revenus ".
Dès lors, elles " limitent fortement la redistribution opérée par cet impôt ", constate la juridiction financière. Pour éviter les plus gros abus - certains contribuables particulièrement habiles parvenaient à ne plus payer d'impôt grâce à ces dispositifs -, le Parlement a plafonné un certain nombre de niches (20 000 euros plus 8 % du revenu imposable).
Pas ou peu d'évaluation Le soutien à l'emploi constitue l'un des principaux objectifs assignés aux niches par les gouvernements successifs. On évalue à 40 milliards d'euros ce que l'Etat " cède " en fiscalité sur ce terrain. Le soutien à l'épargne et à l'investissement est un autre gros poste (quelque 11 milliards d'euros).
Difficile de dire si les niches sont efficaces. Des rapports ponctuels ont été réalisés, par exemple sur les services à la personne et l'emploi à domicile ou le crédit impôt recherche pour les entreprises. Mais l'évaluation " demeure imprécise ", déplore la Cour des comptes. En tout cas, ni globale, ni systématique.
Le gouvernement, par la voix du ministre du budget, François Baroin, a assuré qu'il était " capable d'utiliser quelques semaines de façon intelligente et pragmatique pour évaluer l'efficacité " des niches " en termes de coût par rapport à l'impact économique ou social " et décider lesquelles il supprimera ou rabotera. C'était en avril. Le résultat final de cette évaluation est désormais attendu vers le 20 septembre. p
Philippe Le Coeur
Dans leur jargon, les spécialistes de la fiscalité peuvent être amenés à parler de niches fiscales " verticales ",
" horizontales ", " actives " ou " passives ".
Les niches " verticales " ou " actives " signifient la même chose. Ce sont des dispositifs fiscaux qui visent à modifier le comportement d'un contribuable. Celui-ci s'engage, pour en bénéficier, dans une démarche d'investisseur. Ces niches sont supposées avoir un effet direct stimulant sur l'activité économique.
Exemples : les niches d'investissement industriel ou locatif dans les collectivités d'outre-mer, les dispositifs Robien dans l'immobilier, etc.
La niche fiscale représente la contrepartie assurée par l'Etat du risque pris par le contribuable.
Les niches " horizontales " et " passives " recouvrent également une même réalité. Elles sont liées à des caractéristiques propres aux contribuables : on en bénéficie de par son statut, moyennant un minimum de démarches, voire aucune.
Exemples : la prime pour l'emploi, la prise en charge de la dépendance ou du handicap, etc.
On parle de niches passives parce que, économiquement, elles ne contribuent pas à créer de valeur.