LONDRES – Le nouveau gouvernement de coalition britannique fait la une des journaux avec son plan d’austérité et de restrictions budgétaires. Pourtant, le cabinet de David Cameron rompt avec ses prédécesseurs dans un autre domaine clé : celui des droits de l’homme. Car, sur ce point, la tentative du gouvernement travailliste de Tony Blair a échoué.
Tandis que certains reprochent au Human Rights Act son incapacité à prévenir des mesures anti-terroristes « illibérales », d’autres critiquent le fait qu’il entrave toute politique contreterroriste. En effet, beaucoup ridiculisent la notion même des droits de la personne, qui est vue comme donnant lieu à des concessions « ahurissantes » en faveur des délinquants et des terroristes. Dans l’ensemble, qu’il s’agisse de la presse ou du public, tous réagissent de manière désillusionnée et/ou cynique.
C’est bien connu, l’Angleterre n’a pas de constitution écrite, ni, jusqu’à récemment, quoi que soit approchant une Déclaration des droits contemporaine. A la place, nous avons la Grande Charte [ou Magna Carta] et le cricket. Le concept des droits universels de la personne est littéralement étranger – inscrit dans les principes schématiques de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ou Convention européenne des droits de l’homme), dont la cour siège à Strasbourg. Jusqu’à il y a peu, toute personne qui souhaitait assigner en justice le gouvernement britannique pour atteinte aux droits de l’homme devait aller en France.
Les temps ont changé à l’arrivée au pouvoir de Tony Blair en 1997. En fanfare teintée d’idéalisme – reflétée dans le slogan « Rights Brought Home » [Rapatrions nos droits] – le Human Rights Act est entré en vigueur en l’an 2000. Mais le libéralisme vertueux de l’élite de l’époque n’avait pas tort non plus : si le gouvernement avait du linge sale, il se devait de le laver dans les cours britanniques plutôt que devant un éventail de juges internationaux.
Qui plus est, le grand public n’aime pas cette loi et ne l’a jamais vraiment adoptée. Tout comme Cherie Booth, avocate spécialiste des droits de l’homme et épouse de Tony Blair, l’a déploré « la majorité de la population ne se sent pas concernée par les droits de l’homme ».
Ainsi, « Ne répare rien qui ne soit pas cassé » (ou les actes en disent bien plus que les paroles) serait une leçon à retenir.
Comparées aux abus commis envers les droits de l’homme qui accablent l’humanité, les plaintes traitées par les cours britanniques ne sont que broutilles. La question de la recherche d’une école appropriée à un certain type d’enfant ou de l’attribution d’un logement social à un certain type de personne en difficulté touche certes beaucoup de monde (et provoque diverses réponses). Mais recourir à l’expression sommaire « droits de l’homme » à tout bout de champ banalise le concept et empêche le véritable débat d’éclater. Après tout, quel organe public responsable souhaite être accusé de violer les droits de l’homme ?
En effet, la crainte d’être assignés en justice contraint les fournisseurs de services publics à redoubler de prudence et à se tenir sur la défensive. En conséquence, la presse populaire crie à tout va que nous traversons une ère coûteuse et bureaucratique et vivons dans une « culture des droits de l’homme » incompétente – accusation très connotée du point de vue politique. Avant de devenir Premier ministre, Cameron a déclaré que le Human Rights Act devrait être remplacé par quelque chose de plus « britannique ».
Comble du comble, d’aucuns estiment que les droits de l’homme ne sont pas du tout efficaces là où ils sont le plus nécessaires. Bon nombre de députés en faveur de l’intégration de la Convention européenne des droits de l’homme à la loi britannique en sont venus à considérer la reconnaissance des droits de l’homme comme un sérieux obstacle lorsqu’ils ont été confrontés à des cas de terrorisme du style d’Al Qaeda. En bref, après avoir rapatriés les droits, le gouvernement Blair a fini par s’efforcer de les cacher sous le tapis.
Le débat concernant la durée de détention d’éventuels terroristes sans motif ni jugement illustre très bien ce casse-tête. A l’origine, Blair a essayé d’imposer la possibilité d’enfermer une personne jusqu’à 90 jours sans chef d’accusation. Le Parlement a finalement opté pour 28 jours – ce qui correspond toujours à la période de détention la plus longue dans le monde occidental.
Autant pour l’article 6 de la Convention européenne, qui stipule que toute personne inculpée pour crime a le droit « d’être informée dans le plus court délai » de la nature de son accusation. Autant pour la Grande Charte, qui stipule qu’« aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné […] sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. »
L’attitude de Blair n’est pas exceptionnelle. En réalité, toute loi supposée incarner les droits de l’humain est entièrement tributaire d’un système politique contrôlé par le parlement. Il est donc inévitable que le Human Rights Act s’efface devant une loi plus récente. Chaque loi est passée par simple majorité. Et les juges ne peuvent pas l’invalider. Résultat ? Un jour, les droits sont de retour. Un autre, vous pouvez enfermer quelqu’un pendant un mois sans chef d’accusation.
Qui plus est, lorsqu’il est aujourd’hui question des droits de l’homme et de cette cause, le Human Rights Act est ignoré. En mai dernier, dans son premier grand discours politique, le vice-Premier ministre Nick Clegg a annoncé le nettoyage de l’état « Big Brother » instauré par Blair : fini les cartes d’identité ou le registre d’identité nationale, bonjour les restrictions sur la conservation de l’ADN, une réglementation plus ferme des circuits électroniques de vidéosurveillance qui ont fait des Anglais les habitants les plus surveillés au monde, etc. Tout ça sans parler une seule fois de « droits de l’homme » – absence qui montre combien ce sujet est épineux dans le paysage politique britannique actuel ; approbation tacite que lorsque les enjeux sont grands, il est impossible de compter sur le Human Rights Act.
Mais comment le gouvernement de Cameron peut-il s’extirper de Big Brother ? Aller de l’avant reviendrait à aller plus loin que Blair en réservant certains principes et en créant une sorte de cour constitutionnelle pour les défendre. Mais le prix à payer pour certaines règles si rigides serait élevé, et leur efficacité – ainsi que les aléas du dossier des droits de l’homme aux Etats-Unis nous le montrent – ne sera pas toujours aussi infaillible qu’on ne l’imaginerait.
Ainsi, dans une démocratie mûre, les droits de l’homme devraient peut-être être traités dignement, par des actes plus que des paroles. Au lieu d’introduire davantage de règles, perçues comme avariées et inutiles par l’imaginaire collectif, l’Angleterre pourrait, après tout, faire confiance à sa constitution qui fera montre d’efficacité à chaque fois qu’il est nécessaire de sauvegarder les libertés et l’équité. Pour le meilleur et pour le pire, un sentiment démocratique triomphera et le dossier anglais des droits de l’homme, même imparfait, restera solide.
Jonathan Small est Conseil de la Reine à Londres.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Traduit de l’anglais par Aude Fondard