925 millions de personnes souffrent de sous-alimentation, selon le rapport des Nations unies, publié le 14 septembre
Bien qu'en recul, la faim dans le monde " reste à un niveau élevé inacceptable " : selon les estimations publiées mardi 14 septembre, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) acte certes d'une amélioration de la situation en 2010, mais elle se garde bien de toute euphorie.
En 2010, le nombre de personnes souffrant de la faim est retombé à 925 millions, en dessous de la barre du milliard franchie en 2009, mais il reste cependant supérieur à ce qu'il était avant la crise de 2008 (850 millions). " On est encore bien loin de l'objectif du Millénaire consistant à réduire de moitié la population souffrant de la faim ", relève l'organisation onusienne en rappelant qu'il faudrait pour cela ramener, d'ici à 2015, dans les pays en développement cette population de 20 % à 10 %. Or dans ces pays, elle s'élève encore à 16 %.
Les progrès enregistrés en 2010 appellent à d'autant plus de circonspection que cette tendance pourrait à nouveau s'inverser si la récente hausse des prix alimentaires se poursuit. Les manifestations contre la vie chère au Mozambique, début septembre, ont réveillé le spectre des émeutes de la faim qui avaient touché plusieurs pays en 2008. Le 1er septembre, les faubourgs déshérités de Maputo se sont enflammés à l'annonce d'une hausse de 25 % du prix du pain. Le soulèvement s'est soldé par un bilan de treize morts et plus de 400 blessés... Avant que le gouvernement mozambicain n'effectue, le 7 septembre, un vitrage à 180 degrés et annonce une hausse des subventions publiques afin de compenser les augmentations.
Si la sécheresse en Russie, qui a forcé Moscou à décréter un embargo sur ses exportations de céréales, déstabilise les marchés, la situation apparaît néanmoins plus saine qu'il y a trois ans. En 2008, l'insuffisance des stocks alimentaires n'avait pas permis de contenir la flambée des prix. Depuis, ils se sont reconstitués. La FAO s'attend même à ce que la récolte céréalière de 2010 soit la troisième jamais enregistrée. Quand aux prix du blé, s'ils se sont envolés cet été à la suite de l'annonce russe, ils restent inférieurs de 38 % à leur record de juin 2008.
" Il n'y aurait pas à craindre de conséquences de la sécheresse ou des pluies que connaissent un certain nombre de pays exportateurs, si les opérateurs ne se mettaient pas à spéculer, déplore le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, Olivier de Schutter. Selon lui, la communauté internationale doit répondre rapidement au regain d'instabilité " en adoptant des mesures de régulation et en développant une gouvernance mondiale des stocks reposant sur une gestion plus transparence des réserves que chacun des pays producteurs détient. " Cette question cruciale de la stabilité des marchés sera au coeur de la réunion organisée par la FAO le 24 septembre. La France entend, elle aussi, faire de la régulation des marchés des matières premières agricoles le sujet central du G20 agricole qu'elle organisera en février 2011.
Olivier de Schutter, comme les organisations non gouvernementales (ONG) espèrent cependant que lors de ces différentes échéances, la communauté internationale dépassera cette fois les simples déclarations d'intention. " Le recul de la sous-alimentation dans le monde en 2010 doit plus à une conjoncture favorable cette année, notamment dans les pays en développement, qu'aux efforts de la communauté internationale ", relève Jean-Denis Crola, de l'ONG Oxfam. Les promesses faites à L'Aquila (Italie) en 2008 sont en effet loin d'être tenues. Lors de ce G8, les chefs des Etats et des gouvernements s'étaient engagés à réunir 22 milliards de dollars (16,8 milliards d'euros) en trois ans afin de lutter contre l'insécurité alimentaire. A cette époque, tous soulignaient l'importance d'augmenter la part des investissements agricoles dans l'aide publique au développement, tombée de 17 % en 1980 à 3,8 % en 2006, avant de remonter autour de 5 %.
Or la concrétisation de ces engagements tarde. Les seules prémices de réalisation à ce jour sont dans l'annonce, le 22 avril, d'un " programme global pour la sécurité alimentaire " doté d'un montant de 900 millions de dollars, financé par les Etats-Unis, le Canada et la Corée du Sud, auxquels s'est jointe la fondation Bill et Melinda Gates. Cette annonce s'est traduite, le 23 juin, par le déblocage d'une première enveloppe de 224 millions de dollars en faveur de cinq premiers destinataires (Bangladesh, Haïti, Rwanda, Sierra Leone, Togo).
" Réduire la faim dans le monde ne sera pas possible sans investissements massifs dans l'agriculture des pays en développement ni sans donner la priorité aux cultures vivrières ", relève Jean-Denis Crola. Olivier de Schutter ajoute : " Si la plupart des pays pauvres sont encore très vulnérables, c'est parce que leur sécurité alimentaire dépend excessivement d'importations alimentaires dont les prix sont de plus en plus élevés et de plus en plus volatiles. "
Laetitia Van Eeckhout