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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

En Inde, le microcrédit se mue en business très rentable

En Inde, le microcrédit se mue en business très rentable

Le leader local SKS vient d'être introduit en Bourse. Au risque d'oublier sa mission de lutte contre la pauvreté
New Delhi Correspondance
 

Nous emmenons les pauvres vers les marchés de capitaux et les marchés de capitaux vers les pauvres ", a indiqué SKS Microfinance, leader indien du secteur, mercredi 28 juillet, jour de l'introduction en Bourse de 22 % de son capital. Une opération qui devrait lui apporter 350 millions de dollars (268 millions d'euros).

En cinq ans, celle qui était une petite organisation non gouvernementale (ONG) est devenue un mastodonte de la microfinance avec 6,8 millions de microentrepreneurs cette année, contre 200 000 en 2005. Son fondateur, Vikram Akula, toujours vêtu d'une kurta, l'habit traditionnel indien porté par Nehru, estime que l'introduction en Bourse sortira de la pauvreté des milliers de femmes en leur donnant accès à davantage de capitaux. Il n'en est pas moins un homme d'affaires avisé, qui a vendu pour 10 millions de dollars une partie de ses actions dans SKS.

Diplômé de l'université américaine de Yale, il s'est inspiré des méthodes de McDonald's pour former ses salariés et réduire les coûts. Chez SKS, on parle de " clients " plutôt que de microentrepreneurs, et de " stratégie marketing " pour concurrencer les 1 200 organismes du secteur. Ces méthodes de management ont permis à l'entreprise d'afficher des revenus de 159 millions d'euros et un taux de rendement des capitaux propres de 24 %, lors de l'année fiscale se terminant au 31 mars 2010. De quoi attirer les investisseurs.

Le marché des pauvres, ou du " bas de la pyramide " comme le nomment pudiquement les économistes, est le nouvel eldorado boursier. Des sociétés comme SEIL Microfinance et Capital Trust ont vu leur cours boursier augmenter respectivement de 494 % et 618 % l'année dernière.

L'éradication de la pauvreté fait la " une " des pages boursières des quotidiens économiques indiens, moins pour une question de philanthropie que de retour sur investissement. Entre 2004 et 2009, le secteur a connu une croissance annuelle moyenne de 107 % de ses encours d'emprunt, et de 91 % du nombre d'emprunteurs, selon l'étude publiée en mars 2010 par l'Institut Intellecap. Avec des taux de remboursement moyens de 99 % et des taux d'intérêt qui oscillent entre 20 % et 30 %, les organismes de microfinance dégagent des bénéfices substantiels. Ils ont désormais besoin de capitaux pour poursuivre leur expansion.

Les autorités indiennes ne les autorisent pas à collecter de l'épargne, les obligeant à se financer auprès des banques ou des fonds d'investissement. " Le seul moyen d'attirer les capitaux n'est plus d'être seulement rentable, mais extrêmement rentable ", a expliqué le fondateur de SKS, Vikram Akula, au quotidien Mint.

Mais la recherche de profits est-elle compatible avec les objectifs de réduction de pauvreté ? Interrogé par The Wall Street Journal, Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix et fondateur au Bangladesh de la Grameen Bank, déplore cette nouvelle étape franchie par SKS : " Le microcrédit ne doit pas être présenté comme une opportunité de gagner de l'argent. Cette introduction en Bourse envoie un mauvais message. "

Chez SKS, on répond que seul un bon retour sur investissement permet d'attirer l'argent auprès des populations exclues du système bancaire. Mais un tel afflux de capitaux en si peu de temps fait redouter à certains la formation d'une bulle, similaire à celle des subprimes qu'ont connue les Etats-Unis à l'automne 2008. Seuls trois Etats du sud du pays, l'Andhra Pradesh, le Karnataka et le Tamil Nadu, assurent la moitié de la croissance du secteur, et le taux de pénétration y est déjà très élevé.

" Les organismes de microfinance distribuent des microcrédits sans se soucier de la solvabilité des bénéficiaires, ni savoir s'ils bénéficient déjà d'autres emprunts ailleurs, comme c'est souvent le cas ", déplore Sanjay Sinha, directeur du cabinet de conseil Micro-Credit Ratings International.

Les bénéficiaires remboursent leurs anciens emprunts par de nouveaux, et entrent dans une spirale infernale du surendettement. Dans le district de Kolar, au Karnataka, des habitants s'en sont violemment pris, en 2008, à des organismes de microfinance, responsables, selon eux, d'avoir ruiné des villageois. Un quart des emprunteurs avaient contracté plus de six prêts auprès d'organismes différents.

Un bureau du crédit vient d'être créé par les principaux organismes de microcrédit indiens pour réguler le secteur. Il interdit par exemple d'accorder plus de quatre prêts à un même bénéficiaire. Encore faut-il que tous les organismes souscrivent à ces règles pour qu'elles soient respectées, ce qui n'est pas encore le cas.

" Nous sommes dans la même situation qu'à la fin de l'empire des Moghols, estime Sanjay Sinha. A force de vouloir étendre son empire, Aurangzeb a perdu tout contrôle sur son territoire. " Si l'empire de la microfinance s'effondre en Inde, les pauvres en seront les premières victimes.

Julien Bouissou

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