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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Encore sept années de temps difficiles ?

Encore sept années de temps difficiles ?

Robert J. Shiller


 

NEW HAVEN – Un article présenté en août 2010 à l’occasion du symposium économique de Jackson Hole en présence d’un grand nombre de banquiers centraux et d’économistes, a concentré une grande partie des débats. Ce travail est une analyse assez sinistre de l’avenir de l’économie mondiale.

L’article intitulé Après la chute (After the Fall,) a été rédigé par les économistes Carmen Reinhart et Vincent Reinhart et s’inspire du récent ouvrage que Carmen Reinhart a co-écrit avec Kenneth Rogoff, Cette fois, c’est différent : huit siècles de folie financière (This Time Is Different: Eight Centuries of Financial Folly).

D’après l’étude des Reinhart, « la croissance du PIB et les prix de l’immobilier sont nettement plus faibles et le chômage plus élevé » dans la décennie qui suit les crises financières, comme celle commencée il y a trois ans, que dans la décennie qui précède celles-ci. On pourrait donc en conclure qu’il faut s’attendre à encore sept ans de difficultés.

La théorie économique n’est pas suffisamment aboutie pour prédire les tournants majeurs sur la base des principes premiers ou des modèles mathématiques. Notre méthodologie nécessite donc une approche historique. L’histoire est peut-être une science sociale « douce », mais nous devons l’étudier, y compris l’histoire ancienne, si nous voulons comprendre d’autres exemples de crises majeures.

Nous devons en outre nous intéresser au monde entier. La plupart des économistes étudient l’histoire récente de leur propre pays, ce qui leur est plus facile, et leurs résultats satisfont la plupart de leurs concitoyens. Mais selon les standards de n’importe quel pays particulier, les crises financières majeures sont rares, et il faut donc aller puiser dans l’histoire pour récolter suffisamment d’informations permettant d’évaluer les mécanismes de ces crises.

Les recherches des Reinharts et de Rogoff sont une extension et une généralisation de la pensée informelle d’un grand nombre de personnes, comparant souvent le présent avec les grands épisodes de passé.

Depuis le début de la crise en 2007, beaucoup se demandent si la Grande Dépression, induite par le crash boursier de 1929 et la crise bancaire du début des années 30, peut permettre de comprendre ce que nous vivons aujourd’hui. Un des faits troublant avec la Grande Dépression est qu’elle fut sévère, globale et a duré plus d’une décennie – et qu’elle est survenue à la suite de l’éclatement d’un boum immobilier et boursier, de façon assez similaire aux évènements qui ont précédé la crise actuelle.

De même, nombreux sont ceux qui se posent la question de savoir si l’anémie que le Japon a connu dans les années 90 suite au krach boursier et immobilier, peut avoir une quelconque pertinence avec ce que nous traversons actuellement. On l’appelle souvent la « décennie perdue » du Japon. Il serait plus approprié désormais de parler de « décennies perdues ».

Ces exemples constituent-ils des modèles pour notre avenir ? Ils donnent quoi qu’il en soit matière à réfléchir. Mais ils ne constituent pas forcément des preuves suffisantes pour établir des perspectives d’avenir ; il faut en effet plus de deux éléments pour constituer une preuve.

Les Reinhart et Rogoff ont donc analysé systématiquement un bien plus grand nombre d’exemples dans l’histoire financière moderne. Il y a aussi eu la crise financière internationale induite par la crise pétrolière de 1973 et 1979, ainsi que les crises financières propres à certains pays comme en Espagne en 1977, au Chili en 1981, en Norvège en1987, en Finlande et en Suède en 1991, au Mexique en 1994, en Indonésie, en Corée, en Malaisie, aux Philippines, et en Thaïlande en 1997, en Colombie en 1998, et en Argentine et en Turquie en 2001.

Il existe donc bien plus que juste deux exemples modernes (bien que pas totalement indépendants les uns des autres, compte tenu de leur rapprochement dans le temps). A partir de ces exemples, les Reinharts et Rogoff ont pu déterminer par exemple que les taux moyens de croissance annuelle du PIB par habitant dans les pays avancés perdaient un point dans la décennie postérieure à la crise, tandis que les taux de chômage moyens augmentaient de 5 points.

Quelle en est l’explication ? Ils ont remarqué que, en général, les niveaux de dette et les effets de levier augmentent au cours de la décennie précédent ces crises, entrainant une hausse des prix des actifs sur le long terme. Reinhart et Rogoff décrivent un syndrome de « cette fois, c’est différent » au cours du boum de pré-crise, permettant à ces bulles de se maintenir bien trop longtemps car il est alors généralement estimé que les épisodes précédents sont sans rapport avec la situation en cours.

C’est dans ces phénomènes que les Reinhart et Rogoff semblent puiser la source de leur nouvelle théorie économique, bien qu’elle ne soit pas clairement énoncée. Elle semble avoir une composante comportementale économique puisque le syndrome « cette fois-ci, c’est différent » semble d’ordre plus psychologique que rationnel. Mais cette théorie manque encore de précision pour permettre d’établir des prévisions sur lesquels on puisse compter.

Il y a en outre des raisons de penser que cette fois-ci sera effectivement différente. Je n’aime pas dire cela, car je ne voudrais pas tomber dans le piège de leur « syndrome », mais cette fois-ci pourrait bien être différente car tous les exemples modernes de crises passées sont advenus lorsque tous les économistes partout dans le monde exhortaient les vertus du modèle économique des « attentes rationnelles ». Ce modèle suggérait qu’une économie de marché devait être, autant que possible, laissée à elle-même, et les gouvernements ont donc laissé faire.

Si l’on s’en réfère aux « attentes rationnelles », les bulles n’existent tout simplement pas – ce qui veut dire que l’on a laissé ces bulles enfler. Mais cette approche est progressivement abandonnée et les gouvernements et le monde des affaires préviennent régulièrement des bulles et adoptent des mesures pour les contrecarrer. Donc, cette fois-ci, on peut dire que les choses sont pour ainsi dire un peu différentes.

Dans ce cas peut-être, toutes ces décennies difficiles induites par les crises n’ont plus de pertinence. Mais l’espoir que les lendemains de la crise actuelle seront meilleurs relève encore de l’hypothèse, de la théorie et des rêves, non de la science.

Il est faux de dire que lorsque vous cassez un miroir, vous aurez sept ans de malheur. C’est une superstition. Mais si vous laissez un marché financier tourner en roue libre jusqu’au point de rupture, vous encourrez effectivement le risque d’années de malaise économique. C’est un schéma historique.

Robert Shiller, professeur en économie à l’université Yale et chef économiste chez MacroMarkets LLC, a co-écrit avec George Akerlof Animal Spirits: How Human Psychology Drives the Economy and Why It Matters for Global Capitalism.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
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