Le législateur s'alarme traditionnellement, quand il examine le projet de loi de finances, du coût galopant des dépenses fiscales et de la menace qu'elles font peser, dans leur ensemble, sur l'équilibre de nos comptes publics. Sa détermination sincère à contenir l'érosion des recettes se tempère néanmoins lorsqu'il s'agit de supprimer ou de diminuer la portée de telle ou telle mesure dérogatoire, nécessairement " essentielle " à la préservation de l'emploi, de la compétitivité ou de l'équité. Pire, cette détermination s'estompe parfois totalement, pour laisser place à de vibrants plaidoyers en faveur d'une nouvelle réduction, d'un nouvel abattement ou d'une nouvelle exonération d'impôt, " signal fort " en direction du public que l'on veut aider et dont le coût supplémentaire n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des pertes de ressources annuellement subies par l'Etat.
De telles ambiguïtés ne peuvent perdurer, et la situation des finances publiques impose de mettre, sans tarder, un coup d'arrêt à l'inflation du coût des niches. En 2010, près de 470 dispositifs dérogatoires ont grevé les recettes du budget de l'Etat d'un montant estimé à 75 milliards d'euros, en constante progression.
Une longue démonstration n'est nullement nécessaire pour conclure que les niveaux de déficit et d'endettement atteints par la France ne sauraient s'accommoder plus longtemps d'une hausse continue de la dépense fiscale.
Mais les enjeux ne sont pas seulement budgétaires. Il y va également de la lisibilité, de l'équité et de l'efficacité de notre système fiscal. On conçoit aisément que plus la liste des dérogations fiscales s'allonge, moins la législation fiscale est claire. Le maquis des niches devient alors préjudiciable à l'attractivité économique de notre pays, en déroutant des investisseurs soucieux de sécurité juridique et de clarté des règles applicables. Il est également un puissant vecteur d'iniquité, les ménages les moins aisés ou les entreprises de taille modeste ne pouvant recourir à d'avisés conseillers en optimisation pour réduire leur impôt. Il est enfin économiquement nuisible, dans la mesure où bien des subventions fiscales aboutissent à déformer la structure des prix, à offrir des rentes aux vendeurs et à constituer l'argumentaire des messages publicitaires.
Des initiatives ont déjà été prises, tendant par exemple à plafonner le montant des avantages fiscaux cumulables par un même contribuable, mais une revue systématique de l'ensemble des niches, débouchant sur de réelles diminutions ou suppressions se fait encore attendre. Si la détermination du gouvernement à maîtriser la dépense fiscale ne fait aucun doute, les instruments qu'il propose relèvent davantage d'une approche pointilliste que d'une remise en cause généralisée. Le " rabot " qu'il entend appliquer ne rapportera que 440 millions d'euros sur les 37,5 milliards de niches afférentes à l'impôt sur le revenu. Le " bouquet " de mesures ciblées, nonobstant son caractère bucolique, ne va pas assez loin.
Dans ces conditions, il appartiendra au Parlement de formuler des propositions complémentaires. Je crois, pour ma part, qu'un taux intermédiaire de TVA de 10 % à 12 % pourrait être appliqué à des secteurs tels que la restauration ou la rénovation de logements. Le coût galopant de dispositifs mal maîtrisés doit également être contenu. Comment justifier que le crédit d'impôt développement durable ait vu son coût dépasser systématiquement les prévisions, ou encore que la dépense associée au crédit d'impôt recherche soit passée de 1,5 milliard d'euros en 2008, à 4 milliards en 2009, alors même que le volume des investissements de R & D ne progressait, dans le même temps que de 200 millions d'euros ? Soutenir fiscalement l'investissement se défend, à condition que l'avantage fiscal ne soit pas capté par les nombreux intermédiaires qui prospèrent grâce à la complexité grandissante de la norme fiscale.
Enfin, l'aggiornamento fiscal dont la France a besoin ne saurait se cantonner à la réduction des niches. L'amélioration de la compétitivité de notre système de prélèvements obligatoires impose de mettre en oeuvre d'importants changements d'assiette, afin d'alléger la pression fiscale pesant sur le travail.
La préservation de l'équité fiscale doit ensuite nous encourager à en finir avec les montages complexes et autres subterfuges consistant à " miter " ou à plafonner les impôts que l'on n'ose pas supprimer. C'est dans ce but que je proposerai à nouveau, dans les semaines qui viennent, une tétralogie fiscale tendant à supprimer conjointement l'impôt sue la fortuen (ISF) et le bouclier fiscal, en contrepartie d'une augmentation de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu et d'une hausse de la taxation des plus values mobilières et immobilières. La justice fiscale y gagnera, les comptes publics aussi.
Jean Arthuis
Président de la commission des finances du Sénat