Pourquoi l'idée d'une " TVA sociale " ou " anti-délocalisations " est-elle relancée ? Quels seraient ses effets sur la compétitivité ?
Il faut instituer " une TVA sociale, rebaptisée TVA anti-délocalisations ". La proposition, sans plus de précisions sur son contenu, a été formulée par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, le 4 octobre dans un entretien au Figaro. Elle relance un débat ouvert par la droite en 2007. Mais vite refermé.
La majorité avait estimé avoir payé cher cette idée aux élections législatives de juin 2007, après que le Parti socialiste avait fait du caractère " non social " de ce surcroît de taxation le slogan de sa campagne de second tour.
En insistant sur le terme " TVA anti-délocalisations " - " pour bien expliquer aux Français ce qu'elle est réellement " - M. Copé, qui était hostile à une TVA sociale en 2007, cherche à réorienter un peu le débat. Il reçoit le renfort inattendu de Manuel Valls et de Jean-Marie Le Guen. Dans une tribune adressée au Monde, les deux députés socialistes appellent à " ne s'interdire aucun tabou " et reprennent cette idée d'utiliser la TVA pour " améliorer la compétitivité ", faisant de celle-ci " un moyen de protection face à la production à bas coût des pays émergents ". Reste à savoir si un tel mécanisme constitue vraiment " la " réponse au problème des délocalisations.
Un mécanisme à deux bras La " TVA anti-délocalisations " est un double dispositif. Il s'agit d'une part d'augmenter la TVA " sur les produits vendus en France et soumis à la concurrence internationale ", détaille Jean Arthuis, le président (Union centriste) de la commission des finances du Sénat.
Cela vaut pour les produits fabriqués en France mais aussi, et surtout, pour ceux qui sont importés. Ce surcroît de TVA est " utilisé " pour financer la Sécurité sociale. Ce qui permet - deuxième bras du mécanisme - d'abaisser conjointement les cotisations sociales des employeurs et salariés.
En abaissant ces cotisations, on réduit le coût de revient. Cela doit contribuer à " une amélioration de la compétitivité des produits réalisés en France ", explique Mathieu Plane, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). " Les prix hors taxes baissant, ces produits sont plus compétitifs en France, mais surtout à l'exportation. Cela améliore le commerce extérieur et génère de la croissance. " " C'est la seule dévaluation que nous puissions nous payer. Sans cela, nous verrons d'autres activités quitter le territoire ", assure M. Arthuis. " Si on fait reculer notre coût du travail, on favorise l'emploi dans le pays ", fait valoir M. Copé.
" On ne peut pas considérer que, par un coup de baguette magique, la tendance à la délocalisation s'arrêtera. Mais cela y contribuera ", tempère Philippe Marini, rapporteur général (UMP) du budget au Sénat. " Cela peut être un élément décisif pour les délocalisations en Europe centrale, mais c'est une goutte d'eau pour les délocalisations en Asie, dans des pays à très bas coût du travail. " " S'il s'agit de s'aligner en matière de coût du travail pour éviter les délocalisations, cela ne suffira pas ", appuie Jérôme Cahuzac, le président (PS) de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
" Raisonner au niveau européen " " Il ne faut surtout pas oublier que l'euro fort est l'un des facteurs poussant à la délocalisation ", rappelle M. Plane, et que cela " pèse plus sur les coûts de production que la fiscalité ". " La TVA anti-délocalisations c'est une clownerie, un remède qui n'est pas à la hauteur du mal. On ne peut pas soutenir l'industrie avec cette arme dans un monde de changes flexibles ", assène Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis. " L'euro s'est apprécié de 16 % depuis juin, poursuit-il, c'est une dimension incroyablement supérieure à tout ce que l'on peut faire avec la TVA sociale. "
Pour le député (UMP) Hervé Mariton, " il ne faut pas laisser croire " qu'une TVA anti-délocalisations constituerait " une muraille de Chine ". " Ce dont la France a besoin, ce sont des réformes structurelles et de compétitivité ", ajoute-t-il. " Le problème, c'est le positionnement de nos produits en milieu de gamme, où l'on dépend beaucoup plus du prix de vente ", renchérit M. Artus. Il faudrait, ajoute-t-il, aller vers du plus haut de gamme, avec les emplois plus qualifiés associés. Et avoir des PME plus grosses, plus présentes à l'export.
" Plutôt que de jouer une carte individuelle, pour se protéger contre la concurrence déloyale de pays qui contournent les règles internationales, le plus efficace est de raisonner au niveau européen, plaide le député (PS) Pierre-Alain Muet. Il faut imposer des contributions - taxes - sur les produits importés en Europe et qui viennent de pays ne respectant pas les normes sociales et environnementales ".
Le risque inflationniste Si l'" arme TVA " peut avoir des effets positifs en termes de compétitivité à l'extérieur, elle peut avoir des conséquences négatives en interne. " C'est un mécanisme dangereux, souligne M. Plane, car on maîtrise mal le comportement des entreprises " en matière de prix. Il n'est pas dit, en effet, que celles-ci répercutent intégralement la baisse des charges en baisse des prix de vente.
Et comme les produits importés seront plus chers, le risque inflationniste existe. Selon l'OFCE, 3 points de TVA en plus conduisent à 1 point d'inflation supplémentaire. " L'Allemagne a augmenté de 3 points sa TVA. L'inflation n'a pas été relancée ", relativise toutefois M. Marini.
" Le risque sur les prix, c'est que cela réduise le pouvoir d'achat des ménages et donc la consommation ", poursuit M. Plane, qui précise que les Français les plus modestes sont les plus exposés à la hausse de la TVA : " L'effet est anti-redistributif. 3 points de TVA en plus, c'est 1,3 point de revenu en moins pour les 10 % de ménages les plus modestes, et 0,7 point de moins pour les 10 % les plus aisés. "
" Une façon de faire : accepter une hausse de la TVA " " En Allemagne, cela a déprimé pendant plusieurs années la consommation ", rappelle M. Artus. Or, en France, " la consommation est le moteur de l'économie ", rappelle M. Cahuzac. Le risque est donc d'affecter la croissance. Et d'avoir, in fine, " un marché du travail qui se dégrade ", souligne M. Plane.
Selon M. Cahuzac, l'utilisation du terme " TVA anti-délocalisations " masquerait en réalité " une façon de faire accepter une hausse de la TVA au moment où le gouvernement a absolument besoin de recettes supplémentaires pour combler les déficits ", tout particulièrement ceux de la Sécurité sociale.
" C'est bien de l'augmentation des financements de la protection sociale et de la modification de la base de ce financement, à travers un transfert cotisations-TVA, dont il est question derrière ça, considère, lui aussi, M. Mariton. Il faut le dire. Ce serait plus honnête. Le terme de TVA sociale avait le mérite de dire les choses. "
Philippe Le Coeur