Fourmis françaises et cigales anglo-saxonnes
2. taux d'épargne et investissement
Deux autres caractéristiques ont également contribué à limiter les dégâts : l'endettement immobilier contracté par les ménages est très majoritairement à taux fixe en France et il n'existe pas de mécanisme de crédit hypothécaire qui permette, comme aux Etats-Unis, de se servir de la hausse des prix de l'immobilier pour s'endetter davantage en crédits à la consommation (2).
De plus, il ne faut pas observer simplement le niveau de l'endettement mais aussi celui de l'épargne : les Français figurent parmi les champions du monde en la matière. Bien sûr, il ne s'agit pas de tous les Français, mais seulement de ceux qui peuvent se permettre d'épargner parce qu'ils gagnent suffisamment bien leur vie. Il n'en reste pas moins que les ménages épargnaient en moyenne 15,6 % de leurs revenus en 2007, selon les données d'Eurostat. Un niveau que peu de pays dépassent. Ils investissaient également beaucoup dans l'immobilier : 10,2 % de leurs revenus, un niveau lui aussi élevé. Mais comme leur épargne était encore plus importante, les ménages mettaient quand même de côté 5,4 % de leurs revenus en moyenne sous forme de placements financiers. Un niveau dépassé seulement par les Allemands, les Autrichiens et les Suédois.
L'excès d'épargne n'est pas une bonne chose : le fait que les ménages allemands, français et italiens épargnent autant entretient un rapport direct avec le fait que la croissance économique ait été durablement faible dans la zone euro. Mais l'excès inverse n'est pas conseillé non plus. Or, au cours de la dernière période, les ménages s'étaient mis dans de nombreux pays à s'endetter pour acheter de l'immobilier bien davantage qu'il n'existait d'épargne disponible. C'était le cas massivement aux Etats-Unis, en Irlande, au Royaume-Uni et en Espagne, mais aussi au Danemark, en Finlande et, dans une moindre mesure, aux Pays-Bas. Qui plus est, ils s'endettaient souvent à taux variables, entraînant une forte hausse des paiements d'intérêt en période de raréfaction du crédit.
Dans ces pays, la crise a déclenché une violente correction : les ménages cherchent à se désendetter le plus rapidement possible et les taux d'épargne remontent en flèche. Ce qui à la fois limite fortement la consommation et entraîne une contraction brutale de l'activité dans le bâtiment. D'où une spirale qui aggrave la récession. La pression en ce sens est nettement moins forte dans un pays comme la France, qui était restée en excès d'épargne malgré la bulle immobilière. On a bien assisté à une légère remontée du taux d'épargne des Français au quatrième trimestre 2008, mais l'ampleur du phénomène est sans commune mesure avec ce qui est observé dans les pays les plus affectés.
De plus, l'épargne des Français est le plus souvent placée dans des produits financiers à faible risque (livrets A, assurance-vie...), alors que dans beaucoup d'autres pays développés, et en particulier dans les pays anglo-saxons, elle est plus fréquemment investie en actions, notamment pour financer les retraites par capitalisation. Cette préférence française pour la sécurité n'est pas sans inconvénients : elle est responsable en particulier du fait qu'une part plus importante qu'ailleurs du capital des grandes entreprises françaises est détenue par des fonds étrangers. Mais dans la crise actuelle, cette caractéristique limite la perte de valeur des patrimoines financiers des ménages français compte tenu du plongeon enregistré par le cours des actions sur les marchés. Ce qui explique également pourquoi les Français éprouvent moins que d'autres le besoin d'accroître leur épargne pour reconstituer un patrimoine qui a fondu...