Un économiste français, Emmanuel Saez, vient de lâcher une petite bombe aux Etats-Unis. Celle-ci a fait d'autant plus d'effet que ce jeune homme y est honorablement connu. L'American Economic Association vient même de lui décerner la prestigieuse John Bates Clark Medal pour " sa contribution significative à la pensée et à la connaissance économique ". A moins de 40 ans, celui-ci est désormais entré dans le cercle des nobélisables de demain.
Sa spécialité : l'étude des revenus sur une longue période. Son instrument de travail : les archives des administrations fiscales. Se basant sur les travaux menés depuis plusieurs années avec son complice Thomas Piketty, Emmanuel Saez vient de publier sur le site de l'université de Berkeley ses dernières recherches sur l'évolution des plus hauts revenus avant impôt aux Etats-Unis. Celles-ci portent sur l'année 2007.
Durant les années Clinton (1993-2000), la croissance du revenu annuel moyen a été de 4 %, supérieure à celle des années Bush (2000-2007) : 3 %. Les Américains les plus riches (le 1 % qui déclarait en 2007 un revenu supérieur à 398 900 dollars) ont connu une progression de 10,3 % sous Clinton et de 10,1 % sous Bush.
Et les autres ? C'est-à-dire 99 % de la population ? Leurs revenus ne se sont accrus que de 2,7 % sous Clinton et de 1,3 % sous Bush. " Moins qu'en France ", note Thomas Piketty pour les années Bush. Dit autrement, le " Top 1 % " a accaparé sous Clinton 45 % de la croissance des revenus, un pourcentage évidemment déjà élevé mais qui a bondi à 65 % sous George W. Bush. Pas mal, non ?
Vue sous l'angle fiscal, <st1:metricconverter productid="2007 a" w:st="on">2007 a</st1:metricconverter> été une bonne année : le revenu moyen y a progressé de 3,7 %. Et l'on a beau savoir que l'histoire ne se répète pas et que " comparaison n'est pas raison ", comment ne pas avoir, rétrospectivement, froid dans le dos quand on lit sous la plume d'Emmanuel Saez qu'en 2007 le Top 1 % a accaparé 23,5 % des revenus, un record depuis 1913 à l'exception de... 1928 (23,9 %).
Mais même les riches ne sont pas égaux entre eux. En 2007, le Top 0,01 %, c'est-à-dire les 14 998 familles qui ont déclaré plus de 11,5 millions de dollars de revenus, possédait 6,04 % du total, soit davantage qu'en 1928 (5,04 %). Bref, " <st1:metricconverter productid="2007 a" w:st="on">2007 a</st1:metricconverter> été une année incroyablement bonne pour les super-riches ", note Emmanuel Saez, qui observe : " Ce ne sont pas des rentiers qui tirent leurs revenus d'une fortune passée, mais plutôt des "working rich", des salariés très bien payés ou des nouveaux entrepreneurs. "
Que peut faire Barack Obama ? Augmenter les impôts des plus riches ? C'est ce qu'avait fait Clinton, ce qui explique que l'augmentation des inégalités de revenu n'a pas été très critiquée dans les années 1990. D'ores et déjà, M. Obama met fin à partir de 2010 aux réductions d'impôts décidées entre-temps par George Bush. Ira-t-il plus loin, notamment pour financer son plan d'assurance-santé ? Il dispose d'une réelle marge de manoeuvre économique. Sur le plan politique, c'est moins sûr.
Frédéric Lemaître