Les écarts de revenus n’ont jamais été si grands entre pauvres et riches. L’agence de presse officielle Xinhua tire le signal d’alarme.
Jingji Cankao Bao (Economic Information Daily)
L’écart entre pauvres et riches en Chine s’approche dangereusement de ce qui peut être jugé intolérable par la société. Même si les avis divergent sur la valeur du coefficient de Gini, qui mesure cet écart (ce coefficient varie de 0 à 1, 0 signifiant l’égalité parfaite et 1, l’inégalité totale), les milieux universitaires s’accordent en général sur le chiffre de 0,47 avancé par la Banque mondiale. “Après avoir franchi il y a dix ans la limite de 0,4, généralement considérée comme une cote d’alerte sur le plan international, notre coefficient de Gini a continué de grimper au fil des ans, et l’écart entre pauvres et riches a dépassé la barrière du raisonnable”, estime Chang Xiuze, professeur à l’Institut de recherches en macroéconomie de la Commission des réformes et du développement (CERD).
Les dépenses des pauvres portent sur l’alimentation
Pour Su Hainan, directeur de l’institut de recherches sur les salaires au ministère du Travail, l’écart des revenus en Chine tend à se creuser à tous les niveaux. De nos jours, les revenus des citadins sont 3,3 fois plus élevés que ceux des ruraux, alors que, au niveau mondial, ce rapport est au maximum de 2. Les écarts des salaires sont également très marqués selon les professions, les meilleurs salaires étant 15 fois supérieurs aux plus faibles. Enfin, les différences se creusent rapidement entre les groupes sociaux. Les cadres supérieurs des entreprises publiques cotées en Bourse gagnent environ 18 fois plus que les ouvriers de base de ces entreprises, et 128 fois plus que le salaire moyen. Le responsable du Centre d’études sur la répartition des revenus et la pauvreté à l’Ecole normale de Pékin, Li Shi, a participé à quatre grandes enquêtes sur les revenus des ménages depuis les années 1980. Selon lui, l’écart entre les 10 % des revenus les plus élevés et les 10 % des revenus les plus faibles s’est creusé, passant de 1 à 7,3 en 1988 à 1 à 23 en 2007 !
“Les statistiques montrent une augmentation de tous les revenus ces dernières années, aussi bien chez les ménages aisés que chez les ménages pauvres. Mais si l’on prend en compte les modes de consommation, on constate qu’une grande partie des dépenses des ménages pauvres porte sur l’alimentation et sur les produits de première nécessité, les plus touchés par l’inflation. L’écart de répartition de revenus présente donc une dangereuse tendance à s’accentuer”, note pour sa part Tang Jun, secrétaire du Centre d’études sur la politique sociale à l’Académie des sciences sociales de Chine.
D’après les spécialistes, les trois grands instruments de production que sont la terre, les matières premières et le capital ont joué un rôle démesuré dans le rééquilibrage des richesses. L’immobilier, le secteur minier, la Bourse sont devenus des secteurs propices à l’enrichissement éclair et ont permis à une minorité d’accéder du jour au lendemain à la fortune. Ainsi, dans le classement Forbes 2009 des hommes les plus riches de Chine, les magnats de l’immobilier occupaient 154 places parmi les 400 plus grandes fortunes. Dix-neuf d’entre eux figuraient parmi les 40 plus riches du pays et ils étaient cinq à faire partie du top 10. “Bien que la société actuelle accepte plus facilement les écarts de revenus que par le passé, si l’on ne comble pas le fossé qui s’élargit entre riches et pauvres, les conséquences risquent d’être très lourdes”, estime Yang Yiyong, directeur de l’Institut de recherches sur le développement social au sein de la CERD.
Larémunération du travail est très faible
En 2009, le PIB par habitant en Chine a frôlé les 3 700 dollars [3 000 euros]. L’expérience des pays d’Amérique latine prouve qu’à ce stade crucial de développement, il faut surtout veiller à éviter un arrêt de la croissance économique, un creusement du fossé entre pauvres et riches ou des troubles sociaux. Su Hainan explique que le système de répartition des revenus entre l’Etat, les entreprises et les ménages pose véritablement problème. La rémunération du travail est extrêmement faible, et aucun mécanisme d’augmentation normale de cette rémunération n’a été mis en place. Au niveau des différents budgets de l’Etat, la part des recettes qui doit être affectée ou transférée à la protection sociale n’est pas bien définie. Il est donc difficile de garantir l’équité et la pertinence de la redistribution. Les autres types de transfert concernent des volumes restreints, car les mécanismes d’incitation aux dons philanthropiques auraient besoin d’être améliorés et la fonction de régulation de ces dons reste limitée.
De nos jours, la répartition primaire s’effectue beaucoup trop en faveur du capital, la part dévolue à la rémunération des travailleurs est trop basse par rapport à l’ensemble. La hausse des salaires des travailleurs ne parvient pas à rattraper celle des bénéfices réalisés par les entreprises. Su Hainan souligne que, dans les pays développés, les salaires représentent en général environ 50 % des coûts de fonctionnement d’une entreprise, tandis que, chez nous, ils n’atteignent même pas 10 %. Par ailleurs, du fait du caractère inachevé de notre système de protection sociale, la redistribution n’aboutit pas à une régulation efficace. Selon la Fédération nationale des syndicats chinois, parmi la population active citadine, les taux d’adhésion à la sécurité sociale et à une retraite garantie sont seulement de 60 % et 62 %. Chez les ouvriers d’origine rurale, ces pourcentages sont encore plus bas. Les spécialistes estiment que si l’on veut éviter une catastrophe liée aux écarts entre riches et pauvres, il faut lancer au plus vite une réforme globale du système de répartition des revenus.